Au-delà du but premier d’héberger les pèlerins de passage à Jérusalem, nombreux sont ceux qui ont vu un formidable outil pour la promotion du sentiment patriotique. L’abbé Lespinasse a ses mots : « Il fallait faire beau, il fallait faire grand, il fallait faire digne de la France. (…) cet établissement serait le monument réel, visible, palpable, effectif de son vieux protectorat. De privée qu’elle était tout d’abord, la question revêtait un caractère national » 449 .
Cette construction, par son emplacement, sa taille, est pour la France un puissant symbole comme le fut, mais de manière éphémère, la venue des mille pèlerins dans la Ville Sainte. Tous les acteurs français de Jérusalem, du consul aux congrégations religieuses ont ainsi un bon moyen d’apporter une réponse concrète à la Russie qui couvre la ville de monuments, tous plus somptueux les uns que les autres.
Si la demeure de Notre-Dame de France conserve son statut de propriété privé, elle devient pour les autorités françaises l’instrument le plus efficace pour montrer que « la Terre Sainte et la France sont sœurs (…) et que la France a, à Jérusalem, un poste d’honneur, qu’elle ne doit s’y laisser ni évincer, ni même entamer » 450 .
Dominique Trimbur commente dans une analyse plus scientifique et moins enthousiaste que l’abbé Lespinasse, qu’« en érigeant ND de France, Paris et les Assomptionnistes ont eu le souci de montrer à toute la population de Jérusalem, comme au St Siège, que la France était bien la puissance étrangère en Palestine, fière et durable héritière de la tradition croisée, pourvoyeuse de bonnes œuvres et protectrice toute puissante des catholiques de Terre Sainte » 451 .
Ces allégations apparaissent d’autant mieux fondées que le consul de France, en l’occurrence M. Ledoulx, n’hésite pas à considérer l’hôtellerie des assomptionnistes comme l’un des éléments essentiels de la suprématie française à Jérusalem :
« Je place en première ligne l’hôtellerie de Notre-Dame de France, qui sera comme le quartier général de nos opérations, mais je suis persuadé que ce vaste et bel édifice ne tardera pas à posséder les deux ailes et l’église qui lui manquent, (…) et que c’est pour nous un point d’honneur et une question de la plus haute importance de mener rapidement à bien cette œuvre essentiellement nationale. (…) Quant aux avantages moraux et politiques, ils sont incalculables, (…) je vous démontrerais aisément que le jour de la pose de la première pierre de votre Hôtellerie « la bien nommée » commencera l’ère de vraie prospérité de nos établissements français en Palestine » 452 .
Les propos du consul sont clairvoyants. A Notre-Dame de France, tout est à l’image de la France, jusqu’au drapeau qui flotte en haut de l’une des deux tours. Il apparaît par contre un peu moins lucide et optimiste dans sa vision de la présence de la France à la fin de la construction, soit en 1904, date qui incarne plutôt le déclin du pays dans la Ville Sainte et en Palestine. Cette volonté d’incarner la grandeur de la France est en grande partie extérieure mais elle l’est également à l’intérieur du bâtiment, en particulier par le biais des peintures que va effectuer Paul Hyppolite Flandrin. Ce dernier prévoit de représenter dans l’église de l’hôtellerie la France en Terre Sainte puis la Sainte Vierge en France, et également de faire le rappel de pèlerinages à La Salette ou à Lourdes 453 .
Notre-Dame de France, construite dans les deux dernière décennies du XIXe siècle s’inscrit pleinement dans cet « âge d’or français », représentant l’élément le plus visible, le plus fréquenté et peut-être le plus riche de cette France de Palestine.
Par delà l’importance que représente Notre-Dame de France, les assomptionnistes savent aussi s’appuyer sur toute une série d’acteurs indispensable à la bonne marche des Pèlerinages de Pénitence.
Abbé Lespinasse, op. cit. , p.34-35.
Ibid, p.6.
Dominique Trimbur, op. cit., p.38.
Abbé Lespinasse, op. cit. , allocution aux pèlerins de 1888, p.39-40.
Lettre de Paul Hyppolite Flandrin au supérieur de Notre-Dame de France, 7 avril 1907, AAR, GU 38.
Echos de Notre-Dame de France, n°5, 2 novembre 1905.