Amédée de Piellat naquit à Vienne (Isère) le 25 janvier 1852. Son père Victor de Piellat était directeur d’une fonderie 476 . Amédée est le quatrième enfant de la famille et le seul garçon précédé de trois sœurs. Sa famille, profondément chrétienne lui donne une éducation dans ce sens. C’est en 1874, ses études terminées, que le comte de Piellat fait son premier pèlerinage en Terre Sainte après avoir été reçu dans le tiers ordre de St François d’Assise. L’année suivante il revient avec sa mère. C’est à l’occasion de ce pèlerinage et, en accord avec elle, qu’il décide de consacrer ses revenus aux œuvres catholiques de Terre Sainte.
Lors de la célébration de son jubilé de présence en Terre Sainte (1874-1924), la revue Jérusalem retrace ce dévouement total pour la Palestine :
« Cinquante années d’un dévouement incessant et combien généreux, autant dire d’un dévouement vraiment français, sur ce sol béni de Palestine (…) le jubilaire porte un nom qui est connu de Dan à Bersabée et que des milliers d’anciens pèlerins ne peuvent évoquer sans entendre résonner encore à leurs oreilles la voix métallique qui, jadis, scandait les avis donnés aux « Cavaliers » ou la trompette qui sonnait le boute-selle des chevauchées en Galilée et en Samarie : c’était M. le comte Amédée de Piellat, le fondateur de l’hôpital Saint-Louis, à Jérusalem, l’infatigable auxiliaire de Sœur Joséphine dans toutes ses œuvres et, pour tout résumer en un mot, la Providence de tout ce qui s’est fondé en Palestine depuis un demi-siècle » 477 .
En 1877, Amédée de Piellat, qui s’interroge depuis de nombreuses années sur son orientation religieuse tout en ne s’engageant nulle part, s’installe définitivement en Palestine. Le 11 juillet 1878, il achète un premier terrain, premier d’une très longue liste, pour construire un hôpital en remplacement de l’hôpital catholique de la vieille ville, devenu trop vétuste. Cet établissement construit sur un terrain de 3000 m² était la propriété du consul de Prusse et a l’avantage de se trouver en dehors des murs, dont l’air est plus sain, tout en étant en bordure de la route de Jaffa.
L’hôpital Saint-Louis est la grande œuvre de sa vie, soutenue par sa mère qui fait de fréquents séjours à Jérusalem apportant soutien financier et matériel à un fils qui apparaît parfois exalté dans cet environnement particulier de la Ville Sainte.
A la fin de l’année 1881, les Sœurs de Saint-Joseph de l’Apparition sont habilitées à œuvrer dans ce nouvel hôpital comme elles le faisaient dans celui de la vieille ville, sous la direction d’un médecin français, le docteur Sabadini. Lors du pèlerinage des mille, il est en service avec 40 lits disponibles et accueille les premières victimes de la IXe croisade !
En 1883, le Comte de Piellat construit le premier étage, ainsi que la chapelle dont il fait en partie la décoration intérieure - sur l’un des vitraux fabriqués à Lyon, il est représenté en médaillon d’après une photo prise à l’âge de 25 ans - qui est achevée lors de la venue de la IIIe caravane de pénitence.
L’hôpital Saint-Louis, figure emblématique de la France catholique en Terre Sainte comme l’est l’établissement voisin de Notre-dame de France, est l’œuvre la plus aboutie d’Amédée de Piellat, à laquelle il est attentif tout au long de sa vie et, dans laquelle il décède dans la chambre qui était la sienne depuis sa fondation.
L’hôpital est cependant loin d’être sa seule réalisation et il dépense une énergie énorme tout comme sa fortune dans l’acquisition de multiples terrains pour installer des congrégations catholiques françaises, ce qui lui vaut la réputation d’être le plus grand agent immobilier de Palestine !
Le supérieur de Notre-Dame de France, dans l’éloge funèbre du Comte de Piellat, rend hommage à ce grand bâtisseur, à cet architecte autodidacte :
« Le voici donc, M. le Comte, au service des communautés catholiques, achetant des terrains, dressant des plans, dirigeant et surveillant lui-même les travaux, comme le plus vigilant des entrepreneurs ou des contremaîtres. (…) Faut-il esquisser une énumération ? Elle sera nécessairement désordonnée et incomplète. Elle esquissera du moins l’étendue de nos dettes envers ce grand bienfaiteur des œuvres catholiques et françaises de Palestine. Je nomme Notre-Dame de France : achat des terrains et construction de l’hôtellerie, jusque vers 1890. (…) monastère des Clarisses sur la route de Bethléem ; couvent de Sainte-Marthe à Béthanie ; monastère des Bénédictines du Calvaire sur le mont des Oliviers ; monastère des Carmélites de Caïffa ; pensionnat des Sœurs de Saint-Joseph à Jaffa ; hôpital des Sœurs de Saint-Joseph à Nazareth… » 478 .
Il faut ajouter l’aide apportée à l’acquisition de nombreux terrains, soit en apportant une part de l’argent nécessaire, soit en prêtant son nom, comme l’endroit où il repose, Saint-Pierre en Galicante, acheté en son nom avant de le céder aux assomptionnistes et d’y faire construire un caveau pour les pèlerins 479 .
Pour notre étude, l’intérêt que nous portons au comte de Piellat est surtout lié au rôle important, mais le plus souvent discret qu’il joue dans l’organisation des Pèlerinages de Pénitence, et ce, dès 1882 jusqu’à la Première Guerre mondiale. Nous avons déjà souligné l’enthousiasme qu’il mit dans la réussite du pèlerinage des mille. Il sera de caravane en caravane toujours présent bien souvent dès Jaffa pour accompagner les pèlerins jusqu’à Jérusalem où il a au préalable tout organisé en vue de l’arrivée de plusieurs centaines de personnes. Il en est ainsi pour le pèlerinage de 1883, dont il a assumé toute l’organisation locale et qui tout au long du séjour des membres de la IIe caravane de pénitence, assiste, guide les différents groupes.
Il recrute des drogmans pour palier la logistique. Dans le contrat qu’il passe avec trois drogmans, le comte de Piellat a le titre de représentant du Comité du Pèlerinage Populaire de Pénitence à Jérusalem. Ce contrat stipule toutes les obligations des drogmans de l’arrivée à Jaffa, au voyage jusqu’à Jérusalem… Le consul de France a également paraphé le document pour validité.
Dans une correspondance avec le Père Picard, il évoque également tous les problèmes d’intendance qu’il doit régler avant la venue de la caravane et en particulier le logement :
« On a demandé que chacun est un lit quelconque- pas coucher à terre- (…) Quant aux draps et couvertures je consulte les Sœurs de St Joseph ; elles cousent en ce moment nos draps, bien simples mais bons. Je pense que beaucoup de pèlerins en porteront avec eux, mais on pourra en donner à tous » 480 .
Il ajoute également des indications sur la nourriture proposée en spécifiant qu’avec de tels menus ils ne mourront pas de faim mais que c’est nécessaire vu le temps et la fatigue :
‘« - Matin : café-lait-chocolat’ ‘- Midi : Potage’ ‘Deux plats de viande’ ‘Un plat maigre’ ‘Dessert (fruit et fromage)’ ‘Café’ ‘½ bouteille de vin (à volonté)’ ‘- Soir : Potage’ ‘Un plat de viande’ ‘Un plat maigre’ ‘Dessert’ ‘Café’ ‘½ bouteille de vin » 481 .’Le comte de Piellat est ainsi durant les premières années des Pèlerinages de Pénitence « l’homme indispensable » au bon déroulement des caravanes de pèlerins. Il est d’autant plus indispensable que, jusqu’en 1887, il n’y a pas d’assomptionnistes en résidence à Jérusalem et qu’ainsi ces derniers se reposent sur le comte aidé par les congrégations religieuses, les frères des écoles chrétiennes et les sœurs de Saint Joseph en tête.
A propos du pèlerinage de 1887, le Père Vincent de Paul Bailly lui fait parvenir le courrier suivant concernant l’arrivée de la VIe caravane :
« Dieu soit loué, le pèlerinage est largement assuré. Nous allons vous télégraphier les chiffres qui dépasseront les 300. Les premières sont combles et je vais me mettre en seconde. (…) Il est convenu que vous ferez au mieux pour les drogmans. (…) Vos dispositions sont admirablement prises (…) Le pèlerinage est bien composé du reste, sauf une série de mauvais caractères pour affiler la pointe de notre patience » 482 .
A la suite de ce même pèlerinage, le Père Vincent de Paul Bailly le remercie et lui demande les comptes du pèlerinage :
« Nous recevons votre lettre d’adieu de Jaffa, j’y vois que nous demeurons plus unis qu’après les précédents pèlerinages. L’hôtellerie doit être l’œuvre de l’Esprit Saint ; elle est construite là-bas par vos actes d’amour de Dieu. (…) Je vous prie de nous donner au plus tôt les comptes du pèlerinage afin d’apprécier s’il y a gros déficit ou non » 483 .
En parallèle à l’organisation et à la bonne réception des caravanes en Palestine, il est l’un de ceux qui sont à l’origine de l’hospice des pèlerins qu’est Notre-Dame de France. Il est celui qui achète le terrain, voisin de sa propriété de l’hôpital Saint-Louis, et en partie dirige les travaux jusqu’à la venue du Père Germer-Durand en 1887.
Après cette date, le comte de Piellat se consacre essentiellement à l’installation de congrégations religieuses ou à ses travaux d’architecte. Ainsi, en 1887, il dresse sous l’autorité du Capitaine Guillemot les plans pour le séminaire de Sainte Anne, puis l’année suivante il travaille à Ein Karem pour les sœurs de Sion, tout en accueillant les sœurs Réparatrices qui veulent s’installer à Jérusalem et surtout en préparant l’installation des carmélites à Haïffa. A cette frénésie de projets, il faut ajouter durant cette année 1887 l’achat en son nom du terrain Frutiger qui jouxte Notre-Dame de France et qui permettra dans le futur le développement de l’œuvre.
Il en est ainsi pendant de très nombreuses années où il parcourt la Palestine pour l’achat, la construction d’établissements religieux mais également pour accompagner les pèlerins des caravanes de pénitence ou encore la découverte de sites anciens. Il fait ainsi de nombreuses excursions avec le Frère Liévin.
Dans une lettre de 1897 à l’attention du Père Vincent de Paul Bailly, on peut constater qu’il est toujours actif dans l’organisation des pèlerinages puisqu’il fait une série de propositions sur l’organisation en Galilée :
« A Nazareth, tout le monde pourra loger dans les couvents. Je préparerai des billets de logements comme pour Jérusalem. J’avais conseillé de supprimer la Samarie, je le conseille encore. On nous obligera sans doute à prendre une petite escorte de deux ou trois soldats comme on l’a fait en certaines années : il y aura à la payer » 484 .
En 1903, il est toujours présent, à titre de conseiller, dans le comité des pèlerinages en Terre Sainte.
Dans ce tourbillon qu’est sa vie entre les multiples projets en cours à travers la Palestine, il rentre de temps en temps en France, toujours par le biais du bateau des pèlerinages, et revient en Terre sainte par la même voie, pour être auprès de sa mère qui s’éteint le 31 décembre 1905.
Il en est ainsi d’une existence au service des congrégations religieuses et des pèlerins qu’il accompagne jusqu’au dernier pèlerinage de 1914. Il rentre avec le bateau du pèlerinage et la guerre l’oblige à rester en France. Il n’est de retour en Palestine qu’en 1921 pour y terminer sa vie ; il décède en 1925.
Outre ces relais palestiniens qui sont en partie la clé du succès des caravanes de pénitence, annuelles ou parfois bisannuelles, les assomptionnistes trouvent également en France d’autres relais indispensables à leur entreprise. Le premier moyen dont ils disposent pour faire connaître les pèlerinages aux Lieux Saints, pour créer le désir de se rendre en Palestine, est l’important réseau des journaux de la « Bonne Presse », et en premier lieu le journal qui est créé au lendemain du premier pèlerinage assomptionniste à La Salette, le Pèlerin. A partir de 1883, la Croix, mis en place après la IIe caravane de pénitence et géré par l’âme des pèlerinages le Père Vincent de Paul Bailly, est un atout supplémentaire pour développer une large information sur les caravanes de Jérusalem, d’autant que l’édition nationale s’accompagne de nombreuses Croix régionales.
Deux autres instruments sont privilégiés par les assomptionnistes pour faire connaître les Pèlerinages de Pénitence, pour attirer pèlerins et souscripteurs. Ce sont les comités d’anciens pèlerins, qui au fil des caravanes se développent dans toutes les régions de France, et les cérémonies d’installation des croix du pèlerinage dans différents sanctuaires de France.
Echos de Notre-Dame de France, n°99, juillet-septembre 1925.
Il décède en 1866, à l’âge de 56 ans, et c’est son gendre, Charles Ditton de Long qui en prend la direction. Amédée reste toute sa vie très attaché à ses sœurs et à sa région de naissance où il fait de fréquents séjours, en particulier dans la maison familiale de Diémoz (Isère). Au moment de la Première Guerre mondiale, obligé de rentrer en France, il en profite pour créer avec l’aide des Sœurs de Saint-Joseph L’Oeuvre du repos de la jeune fille au grand air à Diémoz. Cette œuvre a principalement pour but de guérir certaines filles qui ont perdu la santé dans de sombres usines. En 1921, il fait don de la propriété à la congrégation des Sœurs de Saint Joseph de l’Apparition avec l’obligation de continuer cette œuvre, ce qu’elles firent.
Un Jubilé (1874-1924), Jérusalem, AAV, tome VI (1914-1926), p.315.
Jérusalem, AAV, tome VI, p.370.
Le caveau des pèlerins est installé en 1892 et le premier qui y est porté fut un prêtre de Lyon, M. l’abbé Comboroure, victime d’un accident de cheval sur la route de Jéricho. Les Echos de Notre-Dame de France nous décrive l’intérieur de ce caveau : « Un autel de pierre a été construit, la crypte a été dallée et transformée en une chapelle mortuaire, où l’on peut célébrer le Saint-Sacrifice aux jours anniversaires, généraux ou particuliers. Une croix de pierre a été dressée à l’extérieur près de la porte ». Echos de Notre-Dame de France, n°2, 2 février 1905. Ce ne sont pas seulement les pèlerins morts en Palestine qui y sont installés mais également des Français qui habitent Jérusalem comme de nombreux assomptionnistes ou des religieuses. Voir annexe, Personnes inhumées dans le caveau des pèlerins à Saint-Pierre en Galicante de 1892 à 1914.
Lettre du comte de Piellat au Père Picard, le 8 mars 1883, AAR, maison de Jérusalem, NS1-28.
Ibid.
Vincent de Paul Bailly, Lettres, tome IX (1878-1887), lettre n°2449, à l’attention de M. de Piellat, le 15 avril 1887.
Ibid, lettre n°2450, du 13 juin 1887.
Lettre du comte de Piellat au Père Vincent de Paul Bailly, le 13 avril 1897, AAR, GU 40.