Les comités d’anciens pèlerins : inscrire le pèlerinage dans la durée

Après quarante jours de pèlerinage, le retour à Marseille est souvent douloureux, tant pour la foi qui risque de tiédir, que pour les sentiments d’amitié qui ont pu se créer le long du pèlerinage, et qui une fois de retour dans la mère patrie se relâchent.

Au fils des années et de la multiplicité des caravanes, les assomptionnistes trouvent dans les anciens pèlerins des relais pour faire connaître les Pèlerinages de Pénitence en Terre Sainte et inciter à y participer ou à y souscrire. Les Augustins de l’Assomption, devenus des organisateurs hors pair, se rendent cependant vite compte du peu d’efficacité que peut avoir un bouche à oreille improvisé. Ils décident alors de créer une structure permettant d’établir un lien entre tous les valeureux croisés pour poursuivre et amplifier les sentiments de foi et leur rappeler leur rôle de prêcheurs pour envoyer des pèlerins en Palestine.

En 1888 est créée l’Association des Anciens Pèlerins de Terre-Sainte dont le but est d’établir un lien entre tous les participants aux pèlerinages en Palestine. Les statuts indiquent cette volonté que les liens tissés entre pèlerins, que la foi renforcée perdurent et qu’une communauté d’anciens pèlerins, perçu par les assomptionnistes comme une nouvelle légion sacrée et forte de son lien avec la Terre Sainte, pourra défendre dans son pays la religion catholique fortement éprouvée en cette fin de siècle.

Les statuts de l’association indiquent que le but est de « travailler au triomphe du Christ dans la société, de lutter contre le respect humain par l’affirmation publique de la foi, et de propager l’amour de la Croix et des Saintes Ecritures » 485 .

Cette association, dans sa volonté d’unir les pèlerins au-delà des quarante jours de pèlerinage se propose différents objectifs : 

« 1° D’unir entre eux les Pèlerins de la Terre Sainte

2° De les maintenir dans les sentiments de ferveur et de zèle qui les ont animés au cours du pèlerinage.

3° De soulager les âmes du Purgatoire et en particulier celles des Associés défunts.

4° De populariser les mouvements des Pèlerinages vers les Lieux-Saints.

5° D’aider les pauvres à y participer.

6° De soutenir les œuvres de Terre-Sainte, et en particulier l’Hôtellerie de Notre-Dame de France » 486 .

Il est précisé que cette association se compose de chrétiens pratiquants et sont tenus à différentes obligations de prières, de lecture sainte et de communion.

Le T. R. P. Picard préside l’association entouré de deux vice-présidents, de trois secrétaires dont l’un est à Jérusalem et les autres à Paris. Cette association devient outre le relais des anciens pèlerins, le comité organisateur des Pèlerinages de Pénitence comme nous l’avons étudié précédemment.

Avec cette association nationale des anciens pèlerins de Terre Sainte, les dirigeants ont la volonté de créer des passerelles régionales pour une meilleure connaissance de part la France des Pèlerinages de Pénitence. C’est l’occasion d’encourager encore plus chaque diocèse, chaque ville à envoyer des pèlerins.

A la fin du siècle, de nombreux diocèses créent leur association d’anciens pèlerins de Terre Sainte. Le diocèse de Lyon réunit à partir de 1908, de manière régulière, les anciens pèlerins et plus globalement tous ceux qui sont intéressés par la Terre Sainte. L’habitude est prise de se réunir une fois l’an et en règle général en janvier.

Le 22 janvier 1908, une réunion inaugurale a lieu à Notre Dame de Fourvière sur l’initiative de son chapelain, l’abbé Chaffanjon, ancien pèlerin et une messe est célébrée en présence de tous les « croisés lyonnais ». C’est l’occasion de rappeler le nom de deux bienfaiteurs locaux dont le plus célèbre est le comte de Piellat, qui, tout en étant propriétaire d’un château dans l’Isère (Diémoz), n’en reste pas moins lyonnais par ses nombreux séjours dans la capitale des Gaules. L’autre bienfaiteur pour la Palestine est M. Guinet, qui fonde l’hôpital de Jaffa au profit des sœurs de Saint Joseph et reste toute sa vie très attaché à la Terre Sainte, ayant fait à de nombreuses reprises le voyage vers les Lieux Saints. Au cours de la journée, des conférences ont lieu pour se remémorer les souvenirs des différentes caravanes et le soir le chanoine Gerbier en donne une dont l’intitulé est « de Marseille à Jérusalem ».

L’année suivante, une cinquantaine d’anciens pèlerins se retrouvent à Notre Dame de Fourvière. La revue Jérusalem, qui est en partie l’organe des différents comités d’anciens pèlerins, écrit que « le comité compte à l’heure actuelle quatre-vingts membres inscrits » 487 . Hormis la messe et une conférence sur les peuples à Jérusalem, les pèlerins « décident la constitution d’une bourse ou d’une demi-bourse qui facilitera à quelques prêtres de Lyon le pèlerinage en Terre Sainte » 488 .

Ces réunions, que l’on retrouve dans de nombreux diocèses de France, font en sorte que la flamme d’un pèlerinage aux Lieux Saints, parfois déjà ancien, ne s’éteigne pas, tant par le biais des conférences rappelant les lieux visités et les évolutions de la Palestine, que par les souscriptions pour favoriser l’envoi de pèlerins en Terre Sainte.

Ces hommes et femmes dispersés à travers le pays et au-delà constituent à travers les années et les caravanes, cette communauté tant souhaitée par les assomptionnistes, de fiers catholiques, défenseurs acharnés de leur religion, et à ce titre, ils sont les avant-postes de cette reconquête religieuse, de plus en plus hypothétique, de la population française.

Les croix des pèlerinages : souvenir des pérégrinations en Terre Sainte et propagande pour de nouveaux candidats

Le pèlerinage des mille, dans sa panoplie croisée, n’a pas oublié d’emporter en Palestine les croix dont les mesures correspondent à celle qui servit à la crucifixion du Christ. Elles sont bénies sur les lieux de sa souffrance et sont utilisées pour les chemins de croix, et à l’automne 1882 sont remises au Pape et plantées au Vatican.

De cette première initiative, toutes les autres caravanes ont leur croix, parfois deux, présentes sur la « basilique flottante » et tout le long des pérégrinations des pèlerins. Les programmes de chaque caravane mentionnent qu’une ou deux croix sont présentes. Dans l’annonce de la Xe caravane, en 1891, il est écrit :

« Deux croix seront plantées sur le navire et portées à la Voie douloureuse. Elles seront ensuite solennellement transportées dans deux sanctuaires qui seront ultérieurement désignés » 489 .

Cette annonce est la même pour tous les autres pèlerinages, et présente dans tous les programmes jusqu’à la Première Guerre mondiale.

Une fois de retour de Terre Sainte, un ou plusieurs sanctuaires est choisi pour planter la ou les croix. Lors du pèlerinage de 1882, l’installation des croix au Vatican a une signification des plus symboliques, et il en est de même pour les suivantes, avec le choix du Sacré-Cœur de Montmartre en 1883, de La Salette en 1884, de Lourdes en en 1885. On peut ainsi dénombrer environ 76 croix qui sont réparties de part de la France 490 .

Les assomptionnistes ont par le biais de ces croix la volonté de promouvoir l’intérêt des catholiques pour la Terre Sainte, pour les inciter à s’y rendre ou à promouvoir les Pèlerinages de Pénitence : « Ces croix sont des arbres glorifiés au Calvaire pour être transplantées en notre sol. (…) En allant à ces croix on va à Jérusalem » 491 .

Pour chaque installation d’une croix dans un site de France, une fête a lieu 492 , qui est l’occasion de réaffirmer l’importance des pèlerinages catholiques en Terre Sainte et inciter les participants à s’y rendre.

Le 15 juin 1898 a lieu à Pibrac, proche de Toulouse, une fête, sous la protection de Sainte-Germaine, pour l’installation de la croix de la XVIIe caravane de Noël 1897. L’article qui retranscrit cet événement montre l’importance d’un tel événement avec en particulier la présence de Monseigneur Mathieu, archevêque de Toulouse :

« A Pibrac, en dépit du temps menaçant, on travaille sans relâche ; les rues du village forment de véritables allées de verdure, les guirlandes qui les traversent en se croisant font le plus gracieux effet. (…) la châsse de sainte Germaine est portée en avant de la Croix de Jérusalem, une relique de la vraie Croix ferme la marche du cortège qui s’avance lentement et difficilement au milieu d’une foule énorme.

Mgr Mathieu y prend place quand la Croix arrive à la hauteur de l’église, de là, (…) on remonte sur l’esplanade où la Croix va être érigée. (…) Les innombrables pèlerins arrivés depuis le matin sont massés sous les arbres, les ouvriers s’emparent de la Croix, les cordes se raidissent sous les efforts de leurs leviers et le signe de notre rédemption se dresse lentement et majestueusement, tandis que la musique joue, que les vivats retentissent, que les bravos éclatent de toute part » 493 .

Parmi les discours, celui du R. P. Marie-Antoine, capucin à Toulouse, et ancien pèlerin de la IXe croisade, est des plus enthousiaste pour l’arrivée cette croix, symbole de ce lien qui s’est recréé avec les Pèlerinages de Pénitence entre la France et la Terre Sainte :

« J’ai eu l’honneur et le bonheur d’être pèlerin de Jérusalem et pèlerin de la première heure, il y a ici un grand nombre de pèlerins de Jérusalem.

Oh ! Chers pèlerins ! Quelle joie pour nous de nous retrouver ensemble au pied de cette Croix ! Quelles acclamations et quelles prières ces acclamations et ces prières nous rappellent ! Quelles acclamations à la Croix dressée sur notre vaisseau quand il fendait la vague écumante ! Et quand ensemble nous portions la Croix dans les rues de Jérusalem, quelles prières ardentes ! (…) Et quand au retour, nous vînmes à Rome l’offrir au Pontife suprême et qu’il la plaça près du trône où il rend ses oracles et d’où descendent ses bénédictions, quelle sainte fierté d’être pèlerin de la France tant aimée des Papes et pèlerin de Jérusalem qui aime tant la France » 494 .

Cet enthousiasme des foules et des anciens pèlerins se reproduit une à plusieurs fois par an, à travers la France, essayant de faire prendre conscience aux catholiques de l’importance des pèlerinages en Terre Sainte et du soutien qu’il convient d’y apporter.

Notes
485.

Association des Pèlerins de la Pénitence, octobre 1888, AAR, UF 177.

486.

Ibid.

487.

Jérusalem, AAV, tome 3, 1908-1909.

488.

Ibid.

489.

Echos de Notre-Dame de France, n°8, janvier 1891.

490.

Voir annexe, Lieux d’implantation en France des croix des pèlerinages.

491.

La croix des pèlerinages, Echos de Notre-Dame de France, n°2, octobre 1888.

492.

De nombreuses cérémonies pour installer la croix ont lieu le 14 septembre, jour de l’exaltation de la croix.

493.

Les annales de sainte Germaine de Pibrac, juillet 1898.

494.

Ibid.