Le Patriarcat latin de Jérusalem

La restauration du Patriarcat de Jérusalem en 1847 change radicalement le paysage catholique de Terre Sainte puisque la Custodie, gardienne des Lieux Saints depuis le Moyen Age n’est plus la représentante des latins et se replie à l’intérieur de son couvent de Saint-Sauveur. La venue de Mgr Valerga, comme patriarche de Jérusalem, est une période de grand développement des missions, de la construction d’un séminaire et de la venue de nombreuses congrégations, principalement françaises.

Lors de la venue des Pèlerinages de Pénitence, Mgr Valerga n’est plus. Mgr Bracco, patriarche depuis dix ans, est, tout comme son prédécesseur, plutôt favorable à la France. Il n’en est plus forcément de même à partir de 1889 avec la nomination de Mgr Piavi, Franciscain, suspecté d’animosité vis-à-vis de la France et de ses représentants locaux, religieux ou non. Il n’en demeure pas moins que les liens sont étroits entre la France et ses représentants à l’image de la congrégation des sœurs de St Joseph qui est sous la protection du patriarche. Il en est de même pour l’hôpital St Louis de la famille de Piellat qui tout en étant reconnu comme l’hôpital français n’en appartient pas moins au Patriarcat, suivant la volonté de Mme de Piellat.

D’autre part, le personnel du Patriarcat a toujours compté des Français qui représentaient la quasi-totalité des effectifs dans les années 1850. Trois religieux français sont appelés à détenir un rôle important au sein de l’institution latine dans la deuxième moitié du siècle, les RR.PP. Poyet et Moretain et le R.P. Dequevauviller. Ce dernier est chancelier du patriarcat jusqu’à sa mort en 1864, en charge des affaires courantes et des relations avec le consulat de France et des bienfaiteurs du Patriarcat comme l’Oeuvre de la Propagation de la foi de Lyon.

Mgr Poyet, présent en Palestine pendant près de 40ans 503 , est très proche des pèlerins, surtout avec les caravanes des Conférences de St Vincent de Paul qu’il attend à Jaffa ou aux portes de Jérusalem. Ses rapports avec les caravanes de pénitence sont réguliers. On lui doit d’avoir trouver le nom de Notre-Dame de France pour l’hospice des pèlerins, et d’être le souscripteur, à titre personnel, de la cellule de Notre-Dame de Fourvière.

En ce qui concerne les relations avec le patriarche, elles apparaissent empruntes de solennité puisqu’il est le représentant catholique de Jérusalem, valeur qui, pour les premières caravanes, est bien supérieure à un consul de France, aussi prévenant soit-il. Le patriarche préside une messe du pèlerinage au patriarcat à chaque séjour des pèlerins à Jérusalem et reçoit la visite des dirigeants du pèlerinage.

Un événement important peut également avoir lieu lors de la venue de pèlerins, c’est la cérémonie des chevaliers du St Sépulcre. Cette « milice dorée » date des premiers temps des croisades, de la conquête des Lieux Saints et de la protection qui en suivit 504 .

En 1847, après des siècles d’oubli, Mgr Valerga souhaite la réorganiser en deux points. Tout d’abord, il demande la division des chevaliers en grades pour pouvoir récompenser ceux qui se seraient signalés par des mérites particuliers. Pie IX, par le bref Cum Multa Sapienter du 2 janvier 1868, lui donne satisfaction et institue les trois classes demandées : Chevaliers, Commandeurs, Grands-Croix. Enfin, il cherche à augmenter le nombre de chevaliers en remplaçant la clause de noblesse exigée jusqu’alors, par l’appartenance à une élite. Ainsi de 1848 à 1872, Mgr Valerga créé 1.417 chevaliers. Il obtient également l’autorisation d’accepter des femmes à partir de 1871. Mgr Bracco, son successeur en accepte une centaine de 1873 à 1889.

Figure 20
Figure 20 Armoirie de l’Ordre du Saint-Sépulcre, Musée de Fourvière, L’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem et la Terre Sainte, Catalogue de l’exposition, 1990.

Le but de l’Ordre reste après sa restauration de « d’exciter l’amour des Lieux Saints, et récompenser leur zèle par l’honneur qui lui est dû » 506 .

De nombreux pèlerins reçoivent les armes de chevalier, principalement « l’élite » du pèlerinage, et peu ceux qui ont bénéficié des souscriptions. On retrouve les pèlerins des caravanes de pénitence les plus célèbres : Messieurs Tardif de Moidrey, de Piellat et Bailly, les trois principaux organisateurs du pèlerinage des mille 507 .

Les rapports au fil des caravanes apparaissent comme cordiaux, le patriarche voyant dans la venue de pèlerins catholiques un soutien fort à sa politique de création de missions, d’installation de congrégations religieuses, toujours dans le souci de lutter contre les Grecs.

Cependant, avec la disparition en 1889 de Mgr Bracco et l’intronisation de Mgr Piavi, les rapports seront moins courtois, allant jusqu’à l’affrontement à la fin du siècle, lorsque le Patriarcat soutient un pèlerinage français concurrent, le pèlerinage St Louis de l’abbé Potard, aspect que nous étudierons dans la IIIe partie.

Notes
503.

Il est né en 1815 à St Germain l’Espinasse (diocèse de Lyon). Il arrive à Jérusalem en compagnie de l’abbé Moretain en 1852 et il décède au patriarcat en 1893. Il est honoré du titre de protonotaire apostolique en 1866, puis chevalier du St Sépulcre. Il est longtemps pressenti pour être le premier chancelier du patriarcat mais un mauvais caractère semble l’en avoir privé…

504.

Durant la période franque à Jérusalem (1099-1187), des chevaliers, anciens croisés, se retirent auprès du Saint-Sépulcre pour y mener une vie de prière. Ils vont former une sorte de tiers-ordre. C’est après la perte de la Terre Sainte, que la dénomination d’ « Ordre du Saint-Sépulcre » apparaît.

Dans leur pays d’origine, ceux que l’on commence à appeler chevaliers du Saint-Sépulcre s’emploient à faciliter les pèlerinages en Terre Sainte. En 1496, le custode de Terre Sainte reçoit d’Alexadndre VI le privilège d’armer à Jérusalem les chevaliers du Saint-Sépulcre. Durant cette période, il s’agit encore de chevalerie pure, de l’idéal suprême de la croisade. Par la suite, l’institution évolue avec un rituel d’adoubement qui s’affine et se développe. Au XIXe siècle, avec le rétablissement du Patriarcat Latin de Jérusalem, la nomination des chevaliers concerne le patriarche et non plus le custode. Mgr Valerga, avant de prendre possession de son diocèse, commence, selon les instructions pontificales, par se faire adouber chevalier du Saint-Sépulcre. La cérémonie a lieu le 15 janvier 1848 dans l’église du Saint-Sépulcre.

505.

Armoirie de l’Ordre du Saint-Sépulcre, Musée de Fourvière, L’Ordre du Saint-Sépulcre de Jérusalem et la Terre Sainte, Catalogue de l’exposition, 1990.

506.

Les chevaliers du St Sépulcre, Jérusalem, AAV, tome 2, 1906-1907.

507.

Le premier pèlerin adoubé chevalier du Saint-Sépulcre au XIXe siècle est Chateaubriand, le 10 octobre 1806.