La Custodie est pendant la première partie du XIXe siècle la seule représentante officielle des catholiques en Terre Sainte, en charge de la protection des Lieux Saints. Pour les pèlerins, que ce soit à Jaffa, Jérusalem ou Bethléem, la maison d’accueil reste la casa nova des franciscains. Chateaubriand, Lamartine, les pèlerins de la caravane de 1853 et des suivantes, une partie des « croisés » de 1882 logent dans les hôtelleries de la Custodie.
La restauration du Patriarcat en 1847 modifie en partie cette situation, créant une rivalité parfois violente entre les deux autorités catholiques.
Les Pèlerinages de Pénitence essayent d’entretenir des rapports courtois avec les deux entités catholiques, même si les suspicions apparaissent vite face à une Custodie souvent accusé d’italianisme et peu encline à défendre les intérêts de la France et de ses congrégations présentes dans les Lieux Saints.
Il n’en reste pas moins qu’une certaine solennité s’instaure dans la venue des caravanes de pénitence, avec en particulier l’accueil à Jaffa par un membre du consulat de France accompagné d’un représentant de la Custodie. Les processions dans la Ville Sainte se déroulent en présence du custode ou de l’un de ses représentants, et à chaque séjour à Jérusalem, une messe du pèlerinage dans le couvent de St Sauveur célébrée par le custode.
Lors de la venue de la IIe caravane de pénitence, le père custode, dans une correspondance au Père Vincent de Paul Bailly, se montre attentionné à l’égard des pèlerins :
« Permettez-moi de venir, en mon propre nom et au nom du vénérable Discrétoire, qui forme le conseil de la Custodie de Terre Sainte, vous souhaiter, dès votre arrivée au port de Jaffa, une heureuse et sainte bienvenue.
Correspondant avec un fraternel empressement aux désirs du très révérend père Picard, j’ai la satisfaction de vous présenter le révérend père Marcel de Neuillac, membre de notre Conseil, qui vient vous prendre à bord, vous accompagnera et mettra à la disposition de tous vos pèlerins tout son zèle et son dévouement.
J’espère également que le Frère Liévin, (…) si ses forces lui permettent, se joindra au révérend père Marcel à Jaffa » 508 .
Cependant les rapports s’enveniment assez vite, en particulier lors de la construction de Notre-Dame de France et l’installation des assomptionnistes. La construction de cette hôtellerie fait immanquablement du tort aux franciscains et à leur casa nova, et la forte propension des Augustins de l’Assomption à surdimensionner l’importance de ce nouveau bâtiment n’arrange pas les choses.
D’autre part, les franciscains, en tant que gardiens des Lieux Saints, se montrent très pointilleux sur les visites et célébrations qui sont faites par les pèlerins à l’intérieur de ces dits lieux. Autant de vexations qui n’encouragent pas à développer des relations cordiales. La correspondance du Père Vincent de Paul Bailly fourmille d’exemples de mesquineries franciscaines suivies de réconciliations cordiales dont voici un florilège :
En 1890, il écrit : « Nous avons eu ici une lutte au début avec les Franciscains qui se plaignent de nous et de tous, tandis que les autres se plaignent d’eux » 509 . En 1891 : « Le custode est ici, je l’ai vu, il a pris des prétextes pour s’absenter de toutes nos cérémonies, on n’a pas donné l’eau bénite aux évêques, car je sens que l’ordre est de ne pas la donner cette année au pèlerinage. Un excellent Franciscain que j’ai connu aux congrès des œuvres, le Père Joseph, me conte toutes ses misères, il se fâche avec ses confrères qui voudraient le renvoyer en France, il a fait notre éloge chez eux » 510 . En 1892, tout va bien : « Les Franciscains nous ont bien accueillis, nous et d’autres, ils ont fait la paix avec les Frères et les Sœurs de St Joseph et aussi avec le consulat » 511 .
Autant de brouilles qui vont rythmer la vie de cette micro-communauté catholique, car nous sommes ici loin des grands centres de la chrétienté et Jérusalem reste une petite ville où tout le monde se rencontre et surtout où les rumeurs vont vite.
Les assomptionnistes dans leur volonté de pérenniser les Pèlerinages de Pénitence ont su s’appuyer, avec parfois plus ou moins de succès, sur les autorités civiles ou religieuses. Les rapports sont courtois par obligation, tendus à certaines périodes, que cela soit avec le Consulat ou la Custodie, voire le Patriarcat, surtout à partir du moment où les assomptionnistes s’implantent durablement à Jérusalem avec la construction de Notre-Dame de France. Leur volonté de peser sur la destinée de la communauté latine de Palestine va aller à l’encontre des intérêts du Patriarcat et de la Custodie, déjà concurrencée par les œuvres du patriarche.
L’importance prise par les Pèlerinages de Pénitence fait que chacun tente néanmoins d’établir un modus vivendi pour la bonne cohésion latine en Terre Sainte et sa prospérité.
Lettre du Père custode de Terre Sainte au Père Vincent de Paul Bailly, le 9 mars 1883, AAR, NS26.
Vincent de Paul Bailly, Lettres, de Vincent de Paul Bailly au Père Ambroise Jacquot, le 19 mai 1890, n°2528, tome X.
Vincent de Paul Bailly, Lettres, de Vincent de Paul Bailly au Père Picard, le 18 avril 1891, n°2544, tome X.
Vincent de Paul Bailly, Lettres, de Vincent de Paul Bailly au Père Picard, le 23 mai 1892, n°2598, tome X.