L’apôtre de la pénitence

A travers les 28 pèlerinages effectués, le personnage de Vincent de Paul Bailly apparaît comme rempli d’une fougue religieuse, d’une foi rayonnante, que cela soit lors de ses multiples conférences sur le bateau ou dans les différents sanctuaires de Palestine.

Dans un discours qu’il fait à Nîmes, en 1893, il montre l’enthousiasme qu’il a, comme le reste de la congrégation, pour les pèlerinages : 

« On partit, car, pour savoir si on aura la victoire, il faut aller au-devant et un peu batailler. (…) La bannière du Christ se déploya sur tous les chemins sanctifiés. Vous vous souvenez de l’indignation de certains employés de chemin de fer qui se croyaient un monde nouveau, émancipé à jamais du Christ, et qui voyaient leurs gares envahies par la prière. (…) On crut à une folie passagère et guérissable ; mais non, la semence poussait toujours plus serrée, sur les chemins de fer eux-mêmes. Au grand scandale de l’homme d’Etat célèbre par ses lunettes, les pèlerinages étaient rentrés dans les mœurs…à toute vapeur » 519 .

Les prises de paroles du directeur du pèlerinage sont reconnues par tous comme les moments où il sait insuffler de l’énergie à des pèlerins désespérés comme ce fut en particulier le cas lors du « pèlerinage des tempêtes » 520 , de la vigueur religieuse pour ceux qui ont oublié qu’ils sont dans une caravane de pénitence.

L’abbé Renard, pèlerin, le décrit comme l’âme du Pèlerinage : 

« Nous attendons avec impatience le premier ordre du jour pour le lendemain. Cet ordre du jour, qui se répétera chaque soir, est, au dire des anciens pèlerins, un vrai régal, où la verve et l’à propos spirituel du P. Bailly se donneront libre cours, à la satisfaction générale » 521 .

Mgr Guilibert, vicaire général de Fréjus lors de son pèlerinage en 1893, est également touché par cette personnalité et par ses discours : 

« Vers la fin de chaque repas, le P. Vincent de Paul Bailly monte dans une chaire, placée au centre, et s’efforce, en s’époumonant et parlant très lentement, de donner les avis pour le lendemain, avec récapitulation de ce qui s’est passé le jour même. Le mot s’efforce ne vise que l’effort matériel pour se faire entendre aux extrémités ; au demeurant, jamais feu d’artifices ne jeta de plus éblouissants jets d’étincelles, jamais source ne fut plus intarissable, jamais sirène plus séduisante. C’était le plus succulent mets du festin, deux fois par jour.

Le Père Vincent de Paul Bailly est né pour être aimable et séducteur » 522 .

Nombreux sont les poèmes qui lui sont consacrés par des pèlerins qui ne sont jamais en mal d’inspiration, à l’image de celui de l’abbé Helbert :

‘« Vive le Père Bailly’ ‘Vive le bon Père’ ‘Suivez ce bon matelot’ ‘Lancé dans l’espace !’ ‘Il vous remet d’un seul mot’ ‘Le cœur à sa place !’ ‘Il ressuscite à plaisir’ ‘Des gens qui croyaient mourir » 523 .’

Son secrétaire, le Père Ernest Baudouy, qui sort tout juste de son noviciat, est fasciné par la rigueur de sa foi, l’ascendant qu’il a sur les pèlerins et cette force de persuasion que l’on a pu constater chez le R. P. Picard lors du pèlerinage des mille. L’épisode de l’absence du bateau à Jaffa au moment du retour de la IIe caravane atteste cette emprise que le Père Bailly a sur ses pèlerins : 

« Mais voici qui n’est pas enchanteur. On scrute l’horizon pour découvrir la Guadeloupe. Invisible. Elle a fui la tempête. Nous voilà propres ! Il faut camper à Jaffa. Où aller ? Nous sommes 300.

Le Père Bailly, s’il est déconcerté -on le serait à moins- a le talent de ne pas le faire paraître.

Il groupe tout son monde chez les Sœurs de Nazareth pour une bénédiction du Saint Sacrement et insuffle à tous une bonne dose d’optimisme. Ils en avaient besoin. Mais après l’allocution du P. Vincent de Paul ils furent persuadés que rien de meilleur ne pouvait nous arriver et que la divine Providence avait pour nous des attentions très maternelles.

Puis les Sœurs improvisent une généreuse hospitalité pour les dames. Les hommes seront hébergés au couvent des Franciscains, à l’hôpital des Sœurs de Saint-Joseph, à l’école des Frères » 524 .

Ce religieux, dont chaque récit de pèlerin en fait des éloges d’organisation, de patience, d’abnégation n’en reste pas moins un homme de Dieu qui voit en ce pèlerinage en Terre Sainte la plus belle des pénitences, celle de pouvoir cheminer sur les traces de Jésus et se recueillir sur son tombeau.

Le Père Ernest Baudouy, son secrétaire en 1883, en est le premier ému lors des innombrables tempêtes qu’a subi la Guadeloupe où il a fallu déménager la chapelle installée sur le pont, et qui dit chapelle, dit Saint-Sacrement : « Le Père monte aussitôt sur le pont avec son secrétaire, prend le tabernacle à bras le corps, et, le pressant sur son cœur , l’emporte à travers les ténèbres et la bousculade de toutes choses, à travers les lames qui déferlaient sur le navire, tandis que son secrétaire lui servait d’acolyte dans ce sauvetage mouvementé.

Il faut avoir vu le P. Bailly dans ces circonstances pour se faire une idée de l’ardeur de son amour de Dieu. Son attitude, ses paroles, exprimaient la désolation, l’angoisse, l’adoration, une sollicitude inquiète, l’oubli total de lui-même. Assurément, il paraissait plus soucieux du bon Dieu que de lui. (…) Il arriva jusqu’à sa cabine avec son précieux fardeau, le déposa respectueusement sur la table et passa en adoration le reste de la nuit » 525 .

Cet homme de foi, qui, dès son plus jeune âge s’investit dans les organisations religieuses, dont les Conférences de St Vincent de Paul sont les plus éloquentes, multiplie, une fois entré en religion, les actions pour promouvoir la religion catholique, celle sur laquelle on s’acharne, espérant la voir disparaître. Dans ces nombreuses initiatives, dont la presse est l’élément central, une attention particulière est accordée aux âmes des défunts.

Tout au long des pèlerinages en Terre Sainte, il sollicite sans cesse les pèlerins pour des prières aux âmes du purgatoire, comptant ainsi sur leur aide pour l’éloignement de tous les obstacles et la réussite de toutes choses. Il multiplie les De profundis durant tout le pèlerinage, fait une messe des défunts sur les lieux où sont morts des pèlerins, en Palestine ou sur mer…

Non content de communiquer à ses pèlerins les convictions et les ardeurs de cette dévotion, il met en place une association destinée à la promouvoir et à la propager. Créée en 1894, il lui donne le nom de croisés du purgatoire, pour ce qui doit être une véritable croisade en faveur du purgatoire. Le siège est établi à Notre-Dame de France et tous les pèlerins de pénitence y sont associés tout comme ceux qui sont dévoués au culte des trépassés. Des messes sont célébrées chaque semaine à Jérusalem et de nombreux pèlerinages sont effectués dans les Lieux Saints pour les croisés du purgatoire.

Le Pape apporte son soutien à l’Oeuvre des croisés par un Bref : 

« Pieuse association établie canoniquement à Notre-Dame de France pour ménager comme il convient des suffrages aux âmes des fidèles défunts des Eglises d’Orient et d’Occident, qui seraient détenues dans les flammes du Purgatoire » 526 .

Les obligations des croisés sont des prières quotidiennes en faveur des âmes du purgatoire et au moins une fois par mois une communion pour les trépassés. Le croisé doit acquitter une aumône d’au minimum 1 fr.20 par an et ceux qui donnent 50 francs sont inscrits à vie.

Enfin les Echos de Notre Dame de France deviennent la publication réservée aux âmes du purgatoire. Jusqu’en 1898, elle avait vocation à prolonger les liens entre les pèlerins et à promouvoir les Pèlerinages de Pénitence mais à partir de cette date elle se consacre à l’association des croisés du purgatoire et est dirigé et presque entièrement rédigé par le Père Bailly et ce, jusqu’à sa mort. Les Echos d’Orient remplacent les Echos de Notre Dame de France pour continuer à être la publication de soutien aux Pèlerinages de Pénitence.

Au cours des dernières années de sa vie, le Père Bailly est très attaché à cette association et à sa revue ainsi qu’à tous les morts qui partent d’après lui dans l’indifférence générale, ce qui lui vaut ce parallèle avec l’affaire Dreyfus : « Il y a là des prisonniers aimés de Dieu qu’il importe bien autrement de délivrer que celui qui absorbe tous les esprits » 527 .

Le Père Vincent de Paul Bailly, à l’image des autres fils du Père d’Alzon, a tout au long de sa vie une multitude d’activités, de cette fougue religieuse propre aux jeunes congrégations, à cette défense de la bannière catholique et patriotique. Son légitimisme et son attachement au pape sont comme pour le Père d’Alzon ou le Père Picard, les grandes causes de ses combats, la plume à la main ou à la tête de la chevauchée croisée.

Notes
519.

Discours de Vincent de Paul Bailly, le 29 juin 1893, Mémoire Assomptionniste, Ecrits au fil des ans, 1850-2000, AAV,p.39.

520.

Le pèlerinage de 1883 est intitulé « pèlerinage des tempêtes » par le fait que la traversée est éprouvante, confrontée à une mer déchaînée.

521.

Abbé Renard, Au pays du Sauveur, Paris, 1900, p.13.

522.

Pages d’archives, mars 1957, AAR, GU 187.

523.

Abbé Sagary, Sur mer et sur terre, Paris, 1895, p.17.

524.

Ernest Baudouy, Le Père Vincent de Paul Bailly, pèlerin, in Jerusalem, AAV,tome VII, 1931.

525.

Ibid, p.323.

526.

Echos de Notre-Dame de France, n°73, juillet 1899.

527.

Pages d’archives, troisième série, n°1, avril 1963.