De Marseille à Caïffa, entre prières et escales touristiques

Le rite du rassemblement de tous les pèlerins à Marseille, béni par son évêque, sous la protection de Notre Dame de la Garde, est immuable. Une fois en mer, peu d’escales interrompent le trajet, et comme se plaisent à le rappeler les assomptionnistes, ce n’est pas un voyage de touristes mais de pénitents. Une escale qui se révèle être d’importance, est l’audience auprès du pape, honneur très recherché par des hommes et des femmes qui partent aux sources de leur foi. En 1883, ils sont reçus par Léon XIII au retour du pèlerinage, l’année suivante, malgré des démarches des organisateurs pour une nouvelle audience, elle n’a pas lieu. Il faut attendre 1889 pour que les pèlerins puissent se rendre de nouveau à Rome. En 1893, les pèlerins sont de nouveau auprès du Saint-Père, avec une solennité supplémentaire, puisqu’ils vont participer au Congrès Eucharistique.

Hormis cette halte romaine, une première escale ouvre une voie à de nombreuses autres, Carthage, sur les traces du roi Saint Louis. Ils sont reçus par les Pères Blancs avec une procession dans les ruines de la cité en mémoire des martyrs chrétiens, et des messes en mémoire du roi croisé. C’est la seule fois que la caravane de pénitence fait escale en Tunisie.

Avec ce détour sur la route des Lieux Saints, une autre escale amorce l’évolution vers le « travers touristique » : c’est la visite de l’Egypte. Il fut longtemps question de savoir s’il était opportun de faire découvrir aux pèlerins un pays, qui est plus une destination touristique que pérégrine. La volonté d’apporter, après plusieurs caravanes, une nouveauté à l’itinéraire, fait qu’en 1890 puis les deux années qui suivent, l’Egypte est au programme des Pèlerinages de Pénitence. Il apparaît difficile de trouver une raison chrétienne solide pour une visite du pays des pharaons, mais les assomptionnistes montrent tout l’intérêt que les pèlerins peuvent en tirer avec en particulier la visite de Matarieh, lieu où vécut la Sainte Famille.

Dans la troisième partie, nous aborderons plus précisément l’Egypte, signe du tournant que prennent les Pèlerinages de Pénitence avec la multiplication des visites autour de la Méditerranée et la dérive touristique.

Concernant les conditions de voyage, la traversée, malgré le confort qui petit à petit s’installe sur les bateaux, et ce, jusqu’en 3e classe, dépend principalement des conditions météorologiques. La IIe caravane que l’histoire des pèlerinages retiendra sous le nom de « pèlerinage des tempêtes » reste comme la pire des traversées de l’ensemble des caravanes. Le Père Baudouy, jeune secrétaire du Père Bailly, et pèlerin de Terre Sainte décrit un contact avec la Méditerranée des plus pénitents : 

« A peine a-t-on gagné le large, on est culbuté dans tous les sens, et le mal de mer remplit le vaisseau de gémissements et d’horreurs. Pèlerins et pèlerines, affalés sur leurs couchettes, ont à peine la force de regarder d’un œil morne leurs chaussures et leurs vêtements qui nageaient sur le parquet envahi par l’eau. Chacun, s’exagérant le danger et croyant la dernière heure venue, disait : « C’est bien, nous avons offert notre vie à Marseille, Dieu l’accepte, que sa sainte volonté soit faite ! » 557 .

Les intempéries semblent avoir frappé la Guadeloupe durant toute la traversée et ce jusqu’aux côtes de Palestine où les pèlerins arrivent dans des conditions rocambolesques et un abandon total de la hiérarchie : 

« A force d’être secoué, on finit par s’aguerrir, et on affronte le pont, couvert par les lames à tout instant. On rit des accidents, des aventures de nos malheureuses bêtes à cornes dont les barrières sont rompues par l’affreux balancement du navire. Un veau tombe dans les troisièmes des hommes ; on le retire, on le soigne. Un bœuf dégringole aux troisièmes des dames ; on ne peut le tirer, on le tue là et les bouchers font de la place.

Les dames sont de nouveau conduites des troisièmes inhabitables aux secondes moins éprouvées, où on s’empile, et on pompe l’eau qui remplit leur salon.

Comme la mer semble toujours grossir, certaines imaginations s’échauffent et l’inquiétude règne. L’histoire de Jonas hante plusieurs cervelles qui croient que nous avons fait autant de chemin que son poisson » 558 .

Le débarquement à Jaffa non sans difficultés, crée quelques froissements entre les pèlerins et le vice-consul français de la ville, comme nous l’avons évoqué précédemment.

Notes
557.

Ernest Baudouy, op. cit. , p320.

558.

Ibid, p.327.