Les descendants de la IXe croisade

Pour les assomptionnistes, les pèlerins de 1882 sont considérés comme de véritables croisés de pénitence. L’œuvre qui se continue au-delà de cette « IXe croisade » doit demeurer pénitente. Les successeurs des mille pionniers héroïques doivent continuer d’incarner ces valeureux Français qui partent prier aux lieux de l’agonie du Christ et non pas s’extasier devant quelques monuments païens.

L’effectif inespéré lors du pèlerinage de 1882 fait craindre aux organisateurs de ne pas pouvoir remplir correctement leur future caravane avec des pèlerins pénitents.

Tout au long des programmes de présentation des caravanes annuelles, il est mentionné l’importance que doit revêtir la prière, la souffrance, l’obéissance. Dans celui concernant la quatrième caravane il est indiqué de façon explicite le type de personne souhaité : 

« AVIS TRES IMPORTANT. – Pas de touristes- rien que des pénitents et des hommes de prière. – Les jeunes gens amateurs de chasse et de plaisir ne doivent pas s’unir au pèlerinage de pénitence » ⁵⁷¹ .

Dans l’annonce du pèlerinage de 1889, il en est de même : 

« Il ne s’agit pas d’un simple voyage, mais d’un vrai pèlerinage et d’un pèlerinage de pénitence. Un règlement sera établi pour le trajet comme pour la durée du séjour à Jérusalem ou à Nazareth. Tout le monde devra s’y conformer. Nul ne pourra quitter le pèlerinage sans une autorisation formelle du directeur. Quiconque ne veut pas prier, souffrir, obéir, ne doit pas se faire inscrire » ⁵⁷² .

Dans le livre du pèlerin remis aux membres de la caravane de 1892, on peut noter toute une série de recommandations concernant la piété, la pureté, l’obéissance…

Dans le chapitre de la pitié, on peut lire : 

« N’oublions jamais que nous sommes des pèlerins et non pas des touristes. (…) Tout donc pour la pitié dans notre pèlerinage, rien pour la pure curiosité » ⁵⁷³ .

Dans celui de la pureté : 

« Notre première intention était de demander à tous les pèlerins, même mariés, de s’engager par vœu à une parfaite continence pendant la durée du pèlerinage. Comme l’Apôtre, nous donnons simplement un conseil à ce sujet, mais nous insistons fortement sur la nécessité d’expier les crimes, de réparer les ravages opérés par l’amour du plaisir » ⁵⁷⁴ .

Dans celui de l’obéissance : 

« L’obéissance n’est pas seulement un mérite, elle est une nécessité. Le bien commun exige l’obéissance de tous. Nous la demandons toujours dans les pèlerinages, mais, pour le grand pèlerinage de Jérusalem, elle est l’objet d’une promesse formelle. Tous ont pris sérieusement et par écrit l’enseignement suivant : « Je m’engage librement, mais par promesse formelle et en conscience, à obéir, pendant toute la durée du pèlerinage, au directeur de ce pèlerinage ou à ses représentants » ⁵⁷⁵ .

Les assomptionnistes ont ainsi à chaque caravane la crainte que leur pèlerinage ne se transforme en voyage de touristes catholiques, peu enclin à prier pendant des semaines, préférant profiter de l’opportunité qu’il leur est faite de visiter un bout d’Orient.

Les comptes-rendus des pèlerinages insistent sur l’état d’esprit des pèlerins, ne manquant jamais de se féliciter du bon esprit des participants ou au contraire de se lamenter sur le peu de piété de certains.

Lors du pèlerinage de 1883, le Père Baudouy se félicite de trouver un groupe des plus agréables : 

« Le pèlerinage comptait une cinquantaine de jeune gens, qui lui donnaient une physionomie de vaillance et de joie, d’entrain et de résolution. Une soixantaine de prêtres et de religieux aidaient à entretenir la ferveur. Tandis qu’un beau groupe de personnes de la haute société ajoutait aux exemples d’abnégation l’agrément de la bonne compagnie. Enfin, 200 pèlerins pauvres, enrôlés grâce à la souscription, faisaient de cette expédition un pèlerinage vraiment populaire. Tous rivalisaient de bon esprit et de générosité » ⁵⁷⁶ .

En 1884, le Père Bailly s’extasie sur la caravane qu’il a intitulé « pèlerinage de la paix » du fait de la bonne entente et de la piété existante ⁵⁷⁷ . En 1886, il se félicite de conduire des pèlerins qui sont « admirables de bon esprit et ne réclament contre aucune décision utile au bien commun » ⁵⁷⁸ .

Par contre le pèlerinage de 1890, première incursion en Egypte, ne semble pas avoir été des plus pénitents puisque l’année suivante le Père Bailly écrit : « le pèlerinage est notablement plus pieux qu’en 1890 ; tout le monde le dit ; c’est un autre peuple, les hommes jeunes et vieux communient chaque jour presque tous » ⁵⁷⁹ .

Les assomptionnistes, tant bien que mal, réussissent à préserver un climat pénitent lors des 11 premiers pèlerinages même si la nécessité d’avoir un effectif satisfaisant à chaque départ fait craindre d’être obligé d’accepter des laïcs pas toujours bien préparés à la pénitence, que cela soit pour des raisons sociales ou religieuses.