1893 ou l’apothéose de l’œuvre des pèlerinages assomptionnistes en Terre Sainte

Les assomptionnistes connaissent, avec ce XIIe Pèlerinage de Pénitence auquel s’est associé le VIIIe congrès eucharistique, l’un des succès les plus spectaculaires de leur entreprise, la reconnaissance des autorités chrétiennes de part et d’autre de la Méditerranée, et surtout la réussite dans leurs locaux d’un congrès hautement symbolique, dans sa volonté de rapprochement entre les chrétiens de différents rites. C’est la reconnaissance par tous de leur capacité à gérer de tels événements et de leur utilité.

D’un premier abord, l’organisation de ce congrès eucharistique à Jérusalem, en dehors de la France ou des pays catholiques limitrophes, se révèlait délicat. Outre le fait de se dérouler en terre ottomane, il risquait de fortement indisposer le pouvoir musulman, apparaissant comme une organisation trop visible destinée à rassembler les chrétiens.

La volonté des organisateurs, et des autorités françaises en particulier, est de montrer qu’il n’est qu’un complément du XIIe pèlerinage de pénitence. M. le Comte Lefebvre de Béhaine, ambassadeur de France auprès du Saint-siège, dans un courrier à M. Ribot, ministre des Affaires étrangères, écrit que tout en étant enthousiaste sur l’organisation d’une telle manifestation catholique, n’en appelle pas moins, comme son collègue d’Istanbul, à la prudence : 

« Il sera tenu en même temps [que le pèlerinage] un grand Congrès Eucharistique, auquel on aura soin, d’ailleurs, de ne pas donner un retentissement trop bruyant, M. Cambon ayant recommandé d’éviter de prononcer ce mot de congrès, dont pourraient s’offusquer les Turcs. Le Congrès Eucharistique ne sera donc en quelque sorte que le complément du pèlerinage » 599 .

Une note interne à la congrégation des assomptionnistes affirme clairement que la prudence est de mise dans l’évocation du Congrès Eucharistique qui ne doit être qu’un complément des manifestations de la XIIe caravane de pénitence. Cette note détaille les raisons d’une telle discrétion : 

« Parce que le pèlerinage est accepté et est entré dans les mœurs à Jérusalemet dans toute cette région de la Turquie. Il ne fait ombrage ni aux Musulmans, ni aux Schismatiques.

Parce que, par la loi du Statu Quo, à cause de la position acquise par les onze pèlerinages déjà faits, il a le droit de faire en ce pays difficile les réunions et cérémonies qu’il croit utiles. On les défendrait à une œuvre nouvelle.

Parce que l’ambassadeur français à Constantinople, M. Cambon, a présenté ainsi les choses au Grand Vizir et que celui-ci a répondu : « Si c’est le Pèlerinage, le Pèlerinage est non seulement accepté, mais protégé, et dès lors, avec lui sous son nom et sous son pavillon, on peut marcher sans crainte » 600 .

Cette note interne stipule qu’à partir de ces demandes de prudence, la retenue est de mise en particulier dans la presse : « Il faut que dans nos prospectus, dans les journaux, nous nous appliquions à mettre souvent le mot pèlerinage eucharistique en même temps que celui de Pèlerinage populaire de pénitence, afin qu’aux yeux du monde officiel ils se confondent » 601 .

Cependant, quelques semaines avant l’organisation de ce congrès, un télégramme du ministère des Affaires étrangères au consulat de France de Jérusalem montre que les assomptionnistes n’ont pas respecté les consignes de discrétion : « Malgré les recommandations que vous aviez cru devoir faire au Père Bailly afin d’éviter que la prochaine réunion de l’assemblée eucharistique ne prît un caractère de nature à froisser les susceptibilités du gouvernement ottoman (…) Il y a lieu de regretter, en effet, que ces conseils de prudence n’aient pas été écoutés et que les articles de la Croix et du Pèlerin, en attirant l’attention sur cette réunion, aient provoqué la défiance des autorités ottomanes et des communautés dissidentes » 602 .

Ce commentaire du ministre n’est pas surprenant concernant les assomptionnistes qui ont rarement fait preuve de modération dans la mise en place de leur projet, surtout s’agissant d’un événement d’une telle ampleur que l’organisation d’un congrès eucharistique international en présence du légat du pape.

Notes
599.

Lettre de M. le comte Lefebvre de Béhaine, ambassadeur de France, près du Saint-siège, à M. Ribot, ministre des Affaires étrangères, le 18 décembre 1892, AAR.

600.

Congrès eucharistique international de Jérusalem, AAR, UH 158.

601.

Ibid.

602.

MAE, Nantes, Jérusalem, A, 122/124, Lettre du ministre des Affaires étrangères au consul de France à Jérusalem, le 8 février 1893.