La XIIe caravane de pénitence ou l’ultime retour des croisés

Ce XIIe pèlerinage apparaît à tout point de vue comme un tournant dans l’histoire des Pèlerinages de Pénitence, à la fois par le nombre de pèlerins, par la modernisation des moyens mis en place pour le bon déroulement du pèlerinage et surtout par l’impact qu’eut le congrès en Palestine et en Europe.

Du point de vue du nombre de pèlerins, personne n’espérait plus revoir une caravane aussi importante que celle de 1882, habitué à des caravanes de 200 à 300 personnes. Celle de 1893, tout en n’atteignant pas le chiffre de 1013, nécessite tout de même l’affrètement de deux bateaux : le Poitou, déjà utilisé les années précédentes, et la Ville de Brest, qui vient en renfort. Concernant le chiffre exact de pèlerins, le nombre est fluctuant suivant les récits : le colonel Prévot, pèlerin, estime à 622 le nombre de pèlerins 603 , d’autres récits oscillent davantage autour des 800. Les chiffres du colonel semblent être les plus fiables, ne serait-ce que par la rigueur toute militaire avec laquelle il fait le récit de son pèlerinage et les incessantes recommandations qu’il fait à la direction pour une conduite plus efficace des différents groupes formant la caravane.

Ce pèlerinage diffère également des précédents par toute une série de nouveautés qui facilitent les pérégrinations et apporte un peu plus de confort mais peut-être un peu moins de pénitence aux pèlerins. La première nouveauté a lieu à Marseille, où, traditionnellement, les pèlerins avant d’embarquer se rendent à Notre Dame de la Garde et y reçoivent la bénédiction de Mgr Robert, évêque de la cité. L’ascension de la colline était pour beaucoup une première pénitence dont ils se seraient bien passés. La modernité faisant son chemin, un ascenseur est mis en place qui évite d’emprunter un chemin raide et tortueux !

De son côté, la Palestine se modernise, avec l’installation d’une ligne de chemin de fer entre Jaffa et Jérusalem, dont l’inauguration a lieu à la fin de l’année 1892. Depuis la fin des années 1860, les pèlerins peuvent emprunter une route, ce qui est déjà une première amélioration par rapport au chemin accidenté qui existait auparavant, mais l’entretien de cette dite route n’est pas apparu comme la priorité des autorités ce qui la rend la plupart du temps aussi difficilement praticable que le chemin d’avant.

Figure 27
Figure 27 Martin Gilbert, Jérusalem, illustrated History atlas, Jérusalem, 1977, p.49.

Avec cette nouvelle ligne de chemin de fer -la première en Palestine- les pèlerins peuvent rejoindre la Ville Sainte en quelques heures et il en est fini des lamentations sur des montures indociles et des chutes à répétition.

Figure 28
Figure 28 Echos de Notre-Dame de France, n°10, mars 1894.

Pour le confort des pèlerins, une grande innovation apparaît à Jérusalem pour le pèlerinage, puis le congrès : l’électricité.

Cette merveilleuse énergie, symbole de ce siècle industriel, est pour la première fois utilisée pour recevoir les pèlerins de la XIIe caravane. Une grande tente est dressée dans un terrain en contrebas de Notre Dame de France et une grande croix composée de 400 ampoules est dressée, et s’allume au moment du dessert !

Concernant cette tente, elle produit un grand effet sur les pèlerins, par ses dimensions de 50 mètres de long sur 20 de large. Cette nouveauté est due à la générosité d’une pèlerine et les Echos de Notre Dame de France laissent éclater leur fierté : « Ce n’est pas une tente, c’est un vrai monument habillé en toile. Abraham, dans sa puissance, Salomon, dans sa splendeur, n’ont jamais pénétré dans un tabernacle de 50 mètres de long, 20 mètres de large, avec une propylée de seize colonnes en bois ; des portiques de toile et un vaste velum sous toute la longueur du toit pour empêcher la chaleur : une serre fraîche » 606 .

Hormis ces nouveautés, le pèlerinage de 1893 consacre véritablement l’entreprise pèlerine des assomptionnistes. C’est dans le contexte de la caravane de pénitence qu’est mis en place le VIIIe Congrès eucharistique international sous la direction de Mgr Langénieux, légat du pape.

Dans un premier temps, le déroulement est presque identique aux pèlerinages précédents, avec un départ de Marseille le 12 avril, puis une halte en Italie pour une audience papale, ce qui n’est pas une nouveauté mais qui en raison du Congrès Eucharistique de Jérusalem est un peu plus solennelle.

Le Père Picard dans son adresse s’enflamme comme à son habitude pour ce « pèlerinage eucharistique » : 

« Les paroles de Votre Sainteté sont toujours fécondes en victoires. Il y a douze ans, je me permettais de soumettre à Votre Sainteté le projet d’un pèlerinage populaire de pénitence à Jérusalem. L’entreprise était difficile. Elle passait même pour audacieuse et téméraire. Malgré sa témérité, Votre Sainteté daigna la bénir et la combler de faveurs. (…) Votre parole est encore victorieuse aujourd’hui, Très Saint-Père, Elle donne à notre pèlerinage de Pénitence une grande nouvelle ; Elle en fait un pèlerinage eucharistique et unit le monde entier en un même acte de solennelle réparation et d’immense amour » 607 .

Léon XIII bénit pleinement cette nouvelle « croisade pacifique » et encourage cette initiative d’une congrégation qui n’a jamais faiblie dans son soutien au pape prisonnier.

Une fois en Palestine, les visites se font toujours suivant trois groupes distincts, et le congrès commence quelques jours après l’arrivée des pèlerins à Jérusalem puisque le légat du pape est accueilli le 13 mai. En temps normal, les pèlerins résident environ quinze jours dans la Ville Sainte, et peuvent donc, cette année, participer aux réunions du congrès, dont certaines se déroulent à Notre Dame de France.

Durant les dix jours que dure le congrès, les pèlerins de la XIIe caravane participent aux solennités eucharistiques, que cela soit les différentes réunions, les messes ou les adorations. Ainsi, une messe pontificale est dite chaque jour en un rite différent.

D’autre part, des festivités concernent directement les pèlerins dont la plus importante est la bénédiction et la pose de la première pierre de l’église de Notre Dame de France par Mgr Langénieux suivie comme il se doit d’un repas où tous les pèlerins sont conviés.

Les assomptionnistes acquièrent lors de ce congrès eucharistique une prépondérance qu’ils souhaitaient, en particulier par rapport aux autres congrégations catholiques de Jérusalem. L’abbé Guillibert, futur évêque de Fréjus, a ses mots sur le Père Vincent de Paul Bailly, directeur du pèlerinage et grand ordonnateur de ce congrès eucharistique : « Le Père Vincent de Paul Bailly, supérieurement monté, va et vient comme un commandant d’armée qui a monté l’œuvre et qui en surveille l’exécution. C’est son triomphe à lui que cette entrée du cardinal de l’Eglise romaine à Jérusalem » 608 .

L’abbé Galeran de commenter : « Jérusalem n’oubliera jamais le pèlerinage de 1893 ; c’est un événement mémorable qui a produit un bien immense. Cela seul valait bien la peine d’établir les pèlerinages de pénitence qui ont rendu le congrès possible. A moins d’avoir vu les Pères et les Frères Augustins de l’Assomption à l’œuvre, on ne saurait se faire une idée de leur zèle, de leur tact et de leur courage, qui a changé tous les obstacles en succès » 609 .

Ces louanges, qui sont en partie dictées par les personnalités fortes de certains assomptionnistes, n’en ont pas moins leur fond de vérité, et le pèlerinage de 1893 représente bien l’apothéose des Pèlerinages de Pénitence à Jérusalem. Mais de ces formidable succès, où la pénitence a été quelque peu mise de côté, les lendemains sont toujours difficiles.

L’après 1893, comme il y eut un après 1882, s’avère délicat à gérer. Le développement des voyages au long cours, la modernisation du transport, l’atténuation des conflits en particulier par rapport au pape, l’essoufflement de l’organisation tout comme la concurrence, font que les caravanes de pénitence mises en place après le Congrès Eucharistique de Jérusalem n’ont plus cette notion de « croisade pacifique ». Subrepticement elles glissent vers le tourisme religieux.

Notes
603.

Colonel Prévot, Pèlerinage national à Rome et Jérusalem, Jubilé épiscopal de Léon XIII, 1893, Paris, Maison de la Bonne Presse, 1894, p.6.

604.

Martin Gilbert, Jérusalem, illustrated History atlas, Jérusalem, 1977, p.49.

605.

Echos de Notre-Dame de France, n°10, mars 1894.

606.

Echos de Notre Dame de France, n°3, février 1893.

607.

Audience du pèlerinage international de Terre Sainte, 15 avril 1893. AAR, UH 165.

608.

Pages d’archives, juin 1963, troisième série, n°2, p.112.

609.

Ibid, p.113.