Nos propos ne sont pas ici de faire un historique des loisirs ou des premiers voyages mais de mettre en avant le développement des loisirs, autre aspect de ce siècle industriel, surtout dans sa deuxième moitié.
A l’origine, les jours fériés étaient des jours de fêtes religieuses, et, depuis le Moyen Age, la plupart des voyages, lorsqu’ils n’avaient pas un but commercial, étaient entrepris à des fins religieuses. Avec le temps, la foi céda le pas à la santé comme but avoué de voyage, et les hauts lieux du tourisme en Europe, au début de l’époque moderne, durent leur célébrité aux eaux.
A l’aube du XIXe siècle où il n’est encore pas question de congés payés, les loisirs sont l’apanage des classes aisées. Les voyages lointains, le Grand Tour anglais ne sont que des exceptions, la campagne, la villégiature en bord de mer et quelques rares excursions sont les modèles de loisirs de la noblesse puis des classes bourgeoises de la première moitié du XIXe siècle. Cela est vrai pour l’ensemble des pays européens.
Deux inventions vont révolutionner les loisirs, le chemin de fer et le bateau à vapeur. Le chemin de fer est certainement le plus puissant instrument de transformation sociale au XIXe siècle, et son apparition transforme totalement l’usage du temps libre.
Roy Porter analyse parfaitement l’importance de la révolution ferroviaire pour les loisirs :
« Avant l’apparition du chemin de fer, le voyage était cher, lent, pénible et même dangereux. Les voyages de masse étaient impossibles sur route. Ainsi, hors de toute considération temporelle, les divertissements supposant de long déplacement avaient été le domaine réservé des riches. En revanche, un seul train pouvait transporter des milliers de personnes ; le chemin de fer rendit le voyage accessible à la multitude » 610 .
Les assomptionnistes doivent leur succès pèlerin en grande partie au chemin de fer capable d’emmener des milliers de personnes aux sites mariaux comme ce fut le cas dans les années 1870 ou à Marseille pour rejoindre la Terre Sainte en bateau.
Le bateau à vapeur, dont la technique est mise au point à la fin du XVIIIe siècle joue lui aussi un rôle important. L’impact sur la population est par contre plus réduit par rapport au chemin de fer puisque très vite le bateau devient le paquebot signe de luxe, de palace. Il n’en reste pas moins que la construction de paquebots de croisière est importante dans la deuxième moitié du XIXe siècle, de grandes compagnies comme la Compagnie générale transatlantique ou la Lloyd autrichienne développent une importante flotte pour la traversée de l’Atlantique ou pour les croisières en Europe ou en Méditerranée.
Les pèlerins de Terre Sainte, que cela soit les caravanes de la rue de Furstenberg ou des Pèlerinages de Pénitence profitent pleinement de ces innovations leur permettant de traverser la Méditerranée en quelques jours, cinq pour le pèlerinage des mille alors que Nerval en 1843 met encore quinze jours.
Au cours de ce siècle où éclot le tourisme, le voyage lointain suscite de plus en plus d’intérêt. L’appel de l’Orient domine tout le siècle avec la découverte de paysages, de sites inconnus, de population aux mœurs si particulières. De Chateaubriand qui « ouvre la carrière » à Barrès qui estime clore en 1914 une période des voyageurs au long cours pour laisser place à la meute des touristes : « Le général Gouraud a créé de grandes routes qui ouvrent ces régions aux curiosités les plus paresseuses. Des touristes iront bâiller, où le cœur me battait si fort (…). J’aurais clos en juin 1914 la longue série des pèlerins du mystère » 611 .
Pour les hommes et dans une moindre mesure les femmes qui partent à la découverte de l’Orient, ils s’affirment comme des voyageurs et non comme des touristes, terme qui prend à la fin du XIXe siècle une connotation péjorative, synonyme de masse, de population inculte, bruyante, ne pouvant pas comprendre les charmes mystérieux de l’Orient.
La dépréciation des touristes par les assomptionnistes à la fin du XIXe siècle rejoint cette vision de masses de personnes incapables d’être touchées par la Terre Sainte et son message biblique. L’ouverture de l’Orient à une population de plus en plus nombreuse et donc le développement qui en découle pour ces régions explique davantage ce rejet des touristes dissipant l’image biblique d’une Palestine immuable depuis Jésus.
Roy Porter, Les Anglais et les loisirs, in Alain Corbin, L’avènement des loisirs 1850-1960, Paris, Aubier, 1995, p.29.
Berchet J. C. Le Voyage en Orient, Paris, Laffont, collection « Bouquins », 1985, Introduction.