L’hôtellerie dans laquelle les premiers pèlerins sont accueillis à partir de 1887, a toujours eu la vocation d’héberger en priorité les croisés de pénitence, évitant ainsi à ces derniers de se trouver dispersés parmi les communautés catholiques de Jérusalem, et pire, dans les hôtels pour touristes qui commencent à s’ouvrir dans la Ville Sainte. La pose de la première pierre de l’église par Mgr Langénieux en 1893 renforce le caractère religieux de l’édifice.
Cependant les pèlerins doivent, pendant de nombreuses années, vivre au milieu des travaux puisque Notre-Dame de France n’est achevée qu’au début du XXe siècle.
Le bâtiment, dont la vocation est d’accueillir des pèlerins pénitents de toutes classes sociales, n’a pas été pensé au départ en terme de confort mais d’efficacité pour loger les centaines de pèlerins des caravanes assomptionnistes qui se présentent une à deux fois par an, sans compter les pèlerinages d’autres nations. La lente mutation touristique des caravanes assomptionnistes induit des améliorations en terme d’accueil, de confort, ne faisant plus de Notre-Dame de France un hospice pour pèlerins mais un hôtel pour catholiques.
Dans le rapport fait par le supérieur de Notre-Dame de France, Père Athanase Vanhove, au Père Emmanuel Bailly, supérieur de la congrégation, en 1912, il détaille les différents types de personnes ayant fréquenté l’établissement en distinguant les pèlerins des touristes. Sur la période 1906-1912, il dénombre 5958 pèlerins et 3196 touristes. Ces derniers logent à Notre-Dame de France par le biais d’agences de voyage, en particulier par l’agence Cook, qui fut honnie par les organisateurs des pèlerinages pendant des années, représentant la funeste déperdition pour le pèlerin pénitent. Les touristes représentent ainsi près du tiers des effectifs de l’hôtellerie et le Père Athanase d’expliquer que c’est en partie dû à la fermeture en 1906 de l’hôtel du Parc qui a fait venir un certain nombre de touristes et oblige les assomptionnistes à améliorer le confort. La venue régulière de clients, en dehors des caravanes de pénitence et autres pèlerinages, permet à l’établissement des rentrées d’argent non négligeables quand il faut entretenir un bâtiment d’une telle importance. La somme de 54 045 francs fut investie dans l’embellissement des chambres même si le supérieur de Notre-Dame précise qu’il faudrait « encore beaucoup d’améliorations à introduire pour mettre notre hôtellerie au niveau de la Casa Nova Franciscaine et des Hospices autrichien et allemand » 631 . Il établit une liste des éléments indispensables à acquérir pour ne pas rebuter le touriste : moustiquaires, plaques de marbre sur les tables de nuit, armoires, tapis pour les chambres, carafes pour les chambres, descentes de lit convenables…
Par ailleurs, il craint que le nombre des touristes comme celui des pèlerins ne diminuent à l’avenir du fait de l’ouverture depuis peu d’hôtels au confort européen, comme l’hôtel Fast (anciennement hôtel du Parc), et qui n’envoient des clients à Notre-Dame de France que lorsqu’ils n’ont plus de place. D’autre part, les caravanes de pèlerins sont parfois bien peu nombreuses surtout depuis l’ouverture d’un hospice allemand et il termine ses propos avec cette phrase mainte fois répétée depuis plus d’un demi-siècle : « Il importe donc que nous augmentions le nombre de nos pèlerins, que nous développions nos Pèlerinages de Pénitence qui sont la vie et la gloire de Notre-Dame de France » 632 .
En 1943, le programme du ILVe pèlerinage, présente Notre-Dame de France sous les airs d’un agréable hôtel oriental, et même si nous avons largement dépassé nos bornes chronologiques, il est intéressant de voir confirmer cette évolution touristique apparue avant guerre :
« Les pèlerins sont reçus à Jérusalem dans la vaste hôtellerie de Notre-Dame de France bâtie pour eux dans la partie la plus haute et la plus fraîche de la ville : divans spacieux, vastes terrasses et grands jardins- Electricité. (…) A la moindre fatigue, on peut recevoir à l’hôpital-infirmerie Saint-Louis, communiquant avec l’hôtellerie, les soins des excellentes sœurs de Saint-Joseph qui accompagnent d’ailleurs les pèlerins dans les expéditions, en cas de maladie et d’accidents.
Cuisine française faite par les sœurs.
A Notre-Dame de France, un secrétariat permanent est ouvert pour tous renseignements : poste, réception et expédition, timbres, change de monnaie, achats divers, inscriptions… » 633 .
Le temps de la IXe croisade, des intrépides de Samarie, des chemins tortueux et des campements sommaires est bel et bien révolu !
Notre-Dame de France connaît ainsi la même évolution que les Pèlerinages de Pénitence qui dérive à la fin du XIXe siècle et encore plus au début du siècle suivant vers le tourisme religieux. Il demeure toutefois important d’atténuer la vision de Notre-Dame de France comme celle d’un banal hôtel pour touristes européens, en montrant que la spécificité religieuse est continuellement revendiquée par les assomptionnistes. La présence d’une église, d’une maison d’études pour novices, d’une direction religieuse, des sœurs de Saint-Joseph continue d’attester que l’établissement est bel et bien catholique.
Le règlement de l’hôtellerie reste très explicite sur la vocation de l’endroit : « Desservie par des Religieux, dotée de deux chapelles et d’un musée palestinien, la maison n’est pas un Hôtel » 634 tout en affirmant qu’« on ne s’informe pas de la religion des hôtes qui se présentent isolément ; mais, comme maison catholique, l’Hôtellerie ne recevrait pas régulièrement des groupes, même de pèlerins, qui se présenteraient comme non-catholiques. (…) Des groupes de touristes ordinaires peuvent être acceptés dans la mesure des nécessités locales. Mais alors ils seront traités à des conditions analogues à celles des hôtels, tout en tenant compte eux-mêmes du caractère religieux de cette Maison » 635 .
Mais l’évolution de la demande pèlerine n’est pas le seul facteur de changement. Les vingt années qui s’écoulent de 1894 à 1914 sont le théâtre tant au niveau de la Palestine que des Pèlerinages de Pénitence, de bouleversements importants. Ces changements ne peuvent qu’avoir des répercussions sur les pèlerins eux-mêmes, leurs origines, leurs attentes et leur petit confort.
Rapport du supérieur de Notre-Dame de France au supérieur général des Augustins de l’Assomption, le 30 juillet 1912, AAR, IG 73.
Ibid.
M. Chalendard, A Jérusalem, Notre-Dame de France (1882-1970), Paris, Editions Téqui, 1984, p.49.
Règlement de l’hôtellerie de Notre-Dame de France, 1912, AAR, PK 137.
Ibid.