L’année 1898 assiste au milieu des tourments que sont les venues de Guillaume II et des caravanes Saint-Louis 696 , à l’arrivée d’une caravane d’un demi millier de pèlerins catholiques autrichiens, sous la direction du colonel Von Himmel.
Cette venue comble les assomptionnistes qui retrouvent dans ce pèlerinage toute la ferveur, la pénitence de leurs premières caravanes. Ils ont de nouveau l’impression d’avoir été ces fiers croisés qui ont ouvert la route vers les Lieux Saints. Le parallèle est d’autant plus fort que les caravanes se renouvèlent de manière périodique avec un effectif de plusieurs centaines de personnes.
L’organisation du premier pèlerinage fait l’admiration des assomptionnistes de Notre-Dame de France qui accueillent une partie des pèlerins, et l’abbé Galeran s’émerveille devant ces autrichiens qui lui font quelque peu oublier ceux du pèlerinage Saint-Louis qu’il a vu quelques semaines auparavant :
« Le pèlerinage tyrolien est un splendide pèlerinage, l’idéal des vrais pèlerinages. On se croirait transporté à ces temps anciens, où la foi simple et ardente poussait les foules vers le Saint-Sépulcre. C’est la foi, la discipline, l’ordre, le calme et la piété la plus touchante unis ensemble.
Le directeur parle partout de l’aimable réception à Notre-Dame de France. (Il ne se gêne pas pour dire qu’ailleurs il n’a pas trouvé les mêmes manières franches, ni le même empressement fraternel). Père Bailly, soyons humbles, sous cette averse d’éloges » 697 .
Des propos qui, s’ils sont exacts, confortent l’ego assomptionniste !
L’abbé Galeran poursuit son éloge avec l’entrée dans Jérusalem de ces nouveaux pèlerins de pénitence :
« Deux trains spéciaux, (…), nous ont amené 510 pèlerins. Une fois tous réunis, ils se sont formés en procession pour se rendre de la gare au Saint-Sépulcre. C’était un spectacle magnifique et très émouvant. Après les cawas, les pèlerins (tous hommes, il n’y avait point de femmes) s’avançaient deux à deux, chantant puis récitant le chapelet. (…)
La vue de ce cortège s’avançant lentement, dans un ordre parfait ; tous ces hommes récitant l’Ave Maria ; ces pèlerins portant tous leur besace sur le dos ; ces visages visiblement attendris à la vue de l’insigne basilique, tout remplissait nos cœurs d’une douce émotion, que partageaient les Grecs et les Arméniens étonnés. Les larmes coulaient des yeux, je vous l’assure, cher Père, et bien des voix disaient : « que c’est beau ! Voilà un vrai pèlerinage ! Voilà des catholiques ! 698 » Et l’abbé Galeran de rajouter : « c’est ici qu’il faut dire que nul pèlerinage n’a égalé encore la belle organisation des Tyroliens. Il n’y a qu’une opinion dans Jérusalem : les vrais pèlerinages sont ceux de Notre-Dame de France et celui des Tyroliens » 699 .
La caravane du colonel Von Himmel fut certainement d’une grande perfection, pour enthousiasmer à ce point les assomptionnistes, plutôt avares de compliments envers les autres pèlerinages, les caravanes de l’abbé Potard en savent quelque chose.
Ce colonel autrichien, ancien pèlerin en Terre Sainte, semble avoir mis en place une organisation toute militaire, ne négligeant aucun détail dans les pérégrinations des 500 Tyroliens (aucune femme ne participe à cette première caravane). Le chiffre est d’autant plus impressionnant qu’ils viennent tous du Tyrol et que les inscriptions ont été closes plusieurs mois avant le départ 700 . D’après le Père Gervais de Notre-Dame de France, le colonel Himmel prévoit l’organisation d’autres caravanes avec la participation des dames.
L’origine des pèlerins ne nous est connue que par le biais des comptes-rendus assomptionnistes qui voient en eux les fidèles comparses des pèlerins de la Pénitence :
« Nous avons à Notre-Dame de France les deux dernières centaines de pèlerins dont 72 en 1e classe. A nous seuls, nous avons près de 40 prêtres ou religieux, et je crois quelques officiers actifs ou retraités, des magistrats… et surtout un bon nombre de braves paysans qui ouvrent tout grands leurs yeux limpides devant les grands corridors et la lumière électrique » 701 .
Une description qui ne nous renseigne que peu sur l’origine des pèlerins, mais qui confirme pleinement la satisfaction des assomptionnistes d’accueillir les descendants des pèlerins de la caravane des mille qui suivent en tout point l’exemple des premiers croisés pacifiques.
Le programme est organisé pour de vrais pèlerinages aux Lieux Saints et non pas de voyages pour touristes religieux comme le sont partiellement devenus les Pèlerinages de Pénitence. Les pèlerins autrichiens, tous originaires du diocèse de Brixen dans le Tyrol Autrichien, partent pour 20 jours de Trieste à Trieste, et affrètent un bateau spécial au Lloyd. Nous ne connaissons pas leur itinéraire en Palestine, mais il semble que la caravane est restée à Jérusalem avec certainement des excursions à Bethléem et peut-être au Jourdain, comme l’atteste une étude du consulat de France : « Jusqu’à présent, les pèlerins de l’Empire Austro-Hongrois se sont contentés de visiter la Judée, Jérusalem et ses environs. A cause de la modicité des prix du pèlerinage, il faut le grand nombre » 702 .
Ils sont restés vraisemblablement neuf jours à Jérusalem du 12 au 21 octobre, si l’on s’appuie sur les registres de Casa Nova 703 .
Le seul impair de ce pèlerinage semble avoir été une réclamation des orthodoxes auprès du gouverneur de Jérusalem pour atteinte au statu quo. Ce dernier, dans un courrier au custode expose ses remontrances aux franciscains et aux pèlerins qui les accompagnaient pour non respect du statu quo :
« Le patriarcat grec expose que les pèlerins catholiques autrichiens venus à Jérusalem le mercredi 30 septembre, lors de leur entrée au Saint-Sépulcre avec les religieux franciscains, ont joué de la musique, ce qui est contraire à l’usage. (…) En conséquent, les faits actuels ne pourront pas être considérés comme des précédents pour l’avenir, et je vous prie de donner à qui de droit les avertissements et les instructions précises à ce propos, de prendre les mesures pour que ces faits ne se renouvellent pas » 704 .
Ces protestations orthodoxes sont monnaie courante dans les querelles intestines que se livrent les différentes branches du christianisme. L’arrivée d’une nouvelle caravane catholique de cette importance ne pouvait ravir les orthodoxes, et les faits et gestes des pèlerins autrichiens ont du être méticuleusement étudiés.
Les caravanes du colonel Himmel reviennent en Terre Sainte à plusieurs reprises comme l’atteste le panorama des pèlerinages européens en Terre Sainte dressé par le consulat de France à Jérusalem :
« Un Comité de Pèlerinage en Terre Sainte s’est fondé en 1898 à Brixen. (…) Depuis M. Von Himmel, qui réunit ses pèlerins par province de l’empire, a conduit deux pèlerinages de la Haute-Autriche, du Tyrol et de la Suisse, de la Bohème et de la Moravie. Le colonel compte poursuivre son œuvre. Le Cardinal Archevêque de Budapest l’a déjà invité à se rendre auprès de lui, afin d’établir et de préparer un pèlerinage Hongrois.
(…) Ces pèlerinages sont encouragés et soutenus par l’Empereur François-Joseph II» 705 .
La revue Jérusalem dans son article sur l’Autriche-Hongrie à Jérusalem montre que le colonel Von Himmel a conduit de 1898 à 1906 près de 4500 pèlerins. L’article précise les différents pèlerinages qu’il organise à la suite de celui de 1898 :
« En 1901, deux grands pèlerinages populaires furent organisés en Tyrol et les femmes admises pour la première fois ; le nombre de pèlerins était de 439 ; en 1903, pèlerinage suisse ; en 1904, pèlerinage de la Haute-Autriche et premier pèlerinage bavarois et wurtembergeois » 706 .
Ces pèlerinages allemands revêtent pour notre étude une importance toute particulière dans l’impact qu’ils ont pu avoir pour les catholiques de Palestine, en particulier pour les gardiens de Notre-Dame de France.
Les pèlerinages catholiques de la fin du XIXe siècle ne sont plus que de pâles répliques des premières caravanes assomptionnistes, peu nombreux et d’une piété intermittente. La venue à Jérusalem en ce mois d’octobre 1898 des troupes du colonel Von Himmel apporte un peu de réconfort aux congrégations catholiques de Palestine, tétanisées par la venue du « nouveau Luther » qui risque de tout emporter sur son passage.
La caravane de l’abbé Potard est présente à Jérusalem dans la première quinzaine de septembre, celle des Autrichiens dans le courant du mois d’octobre et Guillaume II et sa délégation à la fin du même mois !
Lettre de l’abbé Galeran au Père Vincent de Paul Bailly, Souvenirs, n°370, 5 novembre 1898.
Ibid.
Ibid.
Propos du Père Gervais dans la revue Souvenirs, n°370, 5 novembre 1898.
Ibid. Les assomptionnistes logent 200 pèlerins autrichiens, les franciscains 204 et l’hospice autrichien la dernière centaine.
MAE, Nantes, Jérusalem, 125/127, Mouvement des pèlerinages vers Jérusalem, septembre 1905.
Archives de la Custodie de Terre Sainte, registre de Casa Nova, 1893-1921.
Lettre du gouverneur de Jérusalem au custode de Terre Sainte, le 12 novembre 1898, série B, 29, Jérusalem.
MAE, Nantes, Jérusalem, 125/127, Mouvement des pèlerinages vers Jérusalem, septembre 1905.
L’Autriche-Hongrie à Jérusalem, op. cit.