Les autres caravanes de pèlerins catholiques 

Aucune autre caravane de pèlerins jusqu’en 1914 n’a l’importance des caravanes assomptionnistes ou autrichiennes. Par contre, nombreux sont les groupes de pèlerins ou de touristes (la distinction est parfois difficile à faire) à se rendre en Palestine, devenue une halte classique dans la découverte de l’Orient.

Les assomptionnistes ne manquent jamais d’affirmer auprès des nouvelles caravanes leur rôle de pionnier dans le retour des pèlerins européens en Terre Sainte, comme l’affirme le Père Léon Gerbier, directeur de la XXVe caravane de pénitence : 

« Les pèlerinages français sont d’autant plus importants que, depuis quelques années, la plupart des autres nations européennes ont développé ce même mouvement : les Allemands, les Autrichiens, les Suisses, les Espagnols, les Italiens sont venus en grand nombre. Il est de toute nécessité, au point de vue de notre influence nationale, que le mouvement français, qui a la prépondérance, et affirme ainsi son influence en même temps que la raison d’être de notre protectorat » ⁷⁰⁷ .

A la lecture de différentes statistiques, on peut recenser la venue d’un certain nombre de caravanes à l’ampleur significative.

A l’hôtellerie de Notre-Dame de France, on dénombre entre octobre 1898 et octobre 1900, la présence de la caravane autrichienne en octobre 1898, la caravane de Pénitence en avril 1899 tout comme en octobre, de nouveau la caravane autrichienne en avril 1900, puis celle de la Pénitence en mai et celle de pèlerins allemands en octobre. A cela, il faut ajouter sur ces deux années, la présence de 80 hôtes isolés ⁷⁰⁸ .

Concernant l’hôtellerie de Casa Nova ⁷⁰⁹ , on remarque pour les années 1901-1902, la présence d’une caravane mexicaine en janvier 1901, puis les pèlerins de l’abbé Potard en avril, d’une caravane bavaroise, puis belge en mai, du Pèlerinage de Pénitence en mai, de la caravane du colonel Von Himmel en septembre. En 1902, on note la présence d’une caravane espagnole en avril, puis mexicaine en mai, du Pèlerinage de Pénitence en mai, des pèlerins de l’abbé Potard en septembre et d’une caravane italienne en octobre ⁷¹⁰ .

Ces différentes statistiques, même si elles sont imparfaites, démontrent qu’au début du siècle toutes les grandes nations envoient des pèlerins en Terre Sainte, que cela soit la France, l’Autriche-Hongrie, l’Espagne ou l’Italie. Les minorités catholiques dans les pays protestants sont également présentes comme les Allemands ou les Américains.

Plus globalement, la revue Jérusalem donne pour chaque année les statistiques des pèlerins et touristes qui ont fréquenté Jérusalem. Pour 1904, le chiffre de pèlerins catholiques est de 3000 dont une caravane espagnole de 220 personnes ; allemande de 50 personnes ; autrichienne de 300 personnes ; anglaise de 150 personnes ; italienne de 80 personnes ; française (XXVIIIe caravane de Pénitence) de 260 personnes; française (abbé Potard) de 26 personnes ; du Mexique de 50 personnes ; de Brooklyn avec 60 personnes ⁷¹¹ .

Pour cette même année, le nombre de pèlerins protestants est de 1400 et celui des pèlerins orthodoxes de 8000 ⁷¹² .

Pour les années 1909-1911, on dénombre 92 673 pèlerins, toutes branches chrétiennes confondues. Dans le détail, on recense pour l’année 1909 : 434 Français, 897 Autrichiens-Hongrois, 13 502 Russes… pour l’année 1910 : 426 Français, 3032 Autrichiens-Hongrois, 11 984 Russes… et pour l’année 1911 : 665 Français, 12 298 Russes… Il n’y a pas de caravanes d’Autriche-Hongrie ⁷¹³ .

Ces chiffres montrent l’importance prise par les pèlerinages en ce début de XXe siècle, même si les catholiques restent minoritaires par rapport aux orthodoxes, Russes en particulier. Les caravanes françaises ont, à l’approche de la Première Guerre mondiale, un effectif assez faible, ne serait-ce que par rapport aux caravanes autrichiennes, résultat d’un essoufflement que nous avons déjà largement évoqué.

Cette même revue Jérusalem fait une statistique à part pour les touristes et donne pour les trois années précédemment citées le nombre de 21 831. Dans le détail, les différentes nationalités représentées sont les Anglais avec 9931 personnes, les Américains avec 3531 personnes, les Allemands avec 4795 personnes. Le reste est réparti entre différentes autres nationalités ⁷¹⁴ . Les Français semblent être peu présents en tant que touristes dans cette partie du monde, les populations anglo-saxonnes dominant très largement cette partie d’Orient sous la houlette de l’entreprise Cook.

Hormis les Français et les Autrichiens, les autres nations catholiques, comme l’Espagne et l’Italie, ont un certain mal à organiser des pèlerinages de grande ampleur.

En ce qui concerne l’Espagne, l’initiative d’un député basque aux Cortès, M. José Maria de Urquijo semble être la seule tentative réussie d’organiser des pèlerinages en Palestine. L’étude faite par le consulat de France à Jérusalem en retrace l’historique :

« L’Espagne avait conduit jadis un petit pèlerinage à Jérusalem. Mais en 1902 M. José Maria de Urquijo, de Bilbao, député aux Cortès s’est mis à la tête d’un comité et a organisé déjà 3 pèlerinages : le premier en 1902, composé de 200 pèlerins environ des pays basques, a voyagé sur un paquebot anglais. Le second en 1904, composé aussi en majeure partie de pèlerins des mêmes provinces, s’est fait avec le vapeur français l’Etoile. En 1905, M. de Urquijo, soutenu par l’épiscopat espagnol, s’est adressé à toute l’Espagne. Il a réuni 220 pèlerins (…). Les pèlerinages espagnols ont bien réussi. Je crois que M. de Urquijo est dans l’intention de les continuer » ⁷¹⁵ .

Dans un courrier du mois de mars 1904, le Père Eugène décrit au Père Emmanuel Bailly un pèlerinage espagnol haut en couleurs à bord de l’Etoile (loué pour la circonstance)dont la traversée a beaucoup de similitudes avec le pèlerinage des tempêtes de 1883 :

« Depuis Marseille, nous avons eu une mer démontée qui nous a tous mis sur le flanc et en bien d’autres positions…Plus de 20 fois la vague passa par-dessus le navire, renversant tout ce qu’elle trouvait sur son passage. (…) la pauvre chapelle ressemblait à une cave, et j’avais une peur terrible de voir s’envoler toute la sacristie » ⁷¹⁶ .

Il poursuit sa lettre en décrivant des pèlerins très « latins » : « Les Pèlerins pour la plupart Basques, arrivèrent de Bilbao (…) Les 87 prêtres célébrèrent à bord !!! oh ! quelle cohue ! ces 25 petits autel envahis par ces bons curés, qui renversaient tout, ornements, calice, burettes… disant : « que tout cela est petit ! » et qui à peine le saint sacrifice terminé criaient tout haut : « ahora, vamos a comer… ! » (…) et au milieu de ce grand navire, dans cette chapelle, quand toutes les messes furent dites, je me vis bien isolé pour arranger ces 25 autels et remettre tout en ordre dans ce grand désordre » ⁷¹⁷ .

Les caravanes espagnoles connurent au début du siècle quelques succès mais semblent s’être très vite arrêtées, plus aucune trace de la venue de caravanes espagnoles n’apparaît avant la guerre.

En ce qui concerne l’Italie, une caravane en 1903 composée de 230 pèlerins semble être le seul fait important pour les pèlerinages de ce pays.

L’étude faite par le consulat de France à Jérusalem en retrace l’historique :

« Plusieurs petits pèlerinages italiens avaient eu lieu ; deux étaient venus sous la direction de Mgr Vicini, chanoine de Bologne, leur organisation laissait à désirer.

En 1902, un comité se formait et s’intitulait Comitato Nazionale per « Palestina ». Mgr Radini-Tedeschi était à la tête. Il organisa le grand pèlerinage présidé par son éminence le Cardinal Ferrari, archevêque de Milan. Il y avait environ 230 pèlerins. (…) En 1904, le comité lança le programme d’un second pèlerinage ; il ne put réunir un nombre suffisant de pèlerins pour louer un bateau spécial ; mais Mgr Radin-Tedeschi obtint du Ministre des Postes italien que le paquebot-poste italien modifiât sa route. (…) ces pèlerins n’étaient que 80.

Au printemps 1905, une circulaire du Comitato Nazionale annonçait un grand pèlerinage italien pour le mois d’octobre. On m’affirme que ce pèlerinage ne viendra pas » ⁷¹⁸ .

Il semble que les caravanes de Mgr Radini-Tedeschi continuent cependant de venir régulièrement en Palestine, puisqu’en 1906, il y a une caravane de 100 personnes ⁷¹⁹ . Il semble en être de même pour les petites caravanes de Mgr Vicini, qui peu nombreuses, continuent de venir en Terre Sainte comme c’est le cas en 1907 ⁷²⁰ .

L’Italie, malgré sa population profondément catholique, et la présence papale sur son territoire, n’a pas organisé de pèlerinages de grande ampleur, en dehors de celui de 1902, aucun ne fait date.

L’Allemagne connaît une situation particulière puisqu’elle incarne pleinement la puissance protestante de l’Europe dont Guillaume II est l’autorité ; mais le pays a une importante minorité de catholique, tout aussi désireux de se rendre en Terre Sainte.

Depuis le milieu du XIXe siècle, les Allemands catholiques sont présents à travers différentes œuvres, en particulier avec la Société de Cologne, qui, outre une implication dans le domaine éducatif, envoie de manière régulière des petites caravanes en Terre Sainte. En 1895, cette société se réunit avec l’Association de Palestine des Catholiques d’Allemagne en Association allemande de Terre Sainte, qui vient au secours des catholiques de Palestine, subventionne des écoles, des dispensaires, a fait construire une hôtellerie près de la Porte de Damas et organise des caravanes à l’effectif réduit aux Lieux Saints.

Deux caravanes d’Allemands catholiques composées de 400 pèlerins chacune ont été organisées en 1904, l’une de Bavière, l’autre du Wurtemberg, mais nous n’en connaissons pas les organisateurs, et elles ne semblent pas avoir été renouvelées.

Pour les autres nations, la venue de caravanes est ponctuelle ou irrégulière. Les Belges sont associés dès le début aux Pèlerinages de Pénitence, tout comme les Hollandais. Les Anglais catholiques ont organisé en 1904 un pèlerinage composé de 150 pèlerins, mais il ne semble pas avoir été renouvelé. Les Américains catholiques, quant à eux, viennent de manière régulière, en petit nombre, ne dépendant pas d’une organisation spécifique.

Les pèlerinages étrangers, hormis les orthodoxes dont le succès est indéniable, restent d’une ampleur modérée. Seule l’Autriche-Hongrie réussit à organiser des caravanes à l’effectif important et à la venue régulière. Ce succès autrichien peut s’expliquer à la fois par le soutien d’un souverain très attaché à la Terre Sainte et à l’initiative de particuliers qui surent, à l’image des assomptionnistes, créer une entreprise crédible.

Il n’en reste pas moins que jusqu’à la Première Guerre mondiale, aucune organisation, à part celle du colonel Von Himmel, ne rivalise avec les Pèlerinages de Pénitence. Mais cela concerne uniquement les caravanes catholiques car celles des orthodoxes comprennent un nombre de pèlerins très important, même si leur prestige est moindre.