Un budget de plus en plus déficitaire

Devant le succès des premiers pèlerinages, la décision fut prise d’acquérir un bateau en nom propre, permettant une plus grande autonomie par rapport à l’affrètement de bateaux des Messageries Maritimes. Les années passant et l’importance numérique des pèlerins s’effritant, cette initiative judicieuse en période prospère se révèle un piège lorsqu’il faut affréter le Notre Dame de Salut avec un nombre réduit de pèlerins, les frais étant approximativement les mêmes pour 100 ou 300, ce qui n’est pas le cas pour les recettes.

L’inquiétude est ainsi grandissante au fil des caravanes du début du siècle, en particulier pour le tristement célèbre pèlerinage du printemps 1903, le plus petit des Pèlerinages de Pénitence : « Le P. Bailly a besoin de sa foi optimiste pour aller de l’avant dans l’œuvre des pèlerinages de Terre Sainte, car le présent pèlerinage, comme plusieurs autres dans le passé, entraînera un gros déficit. L’armateur M. Berteaux songe à vendre le Notre-Dame-de-Salut, qui ne parvient pas à faire ses frais » 735 .

L’étude des comptes des caravanes d’avant-guerre permet de confirmer cette vision pessimiste de la survivance des Pèlerinages de Pénitence. Nous pouvons nous appuyer sur huit budgets fiables pour la période 1901-1912 soit les 22e, 25e, 27e, 28e, 33e, 38e, 40e et 43e pèlerinages 736 .

Pèlerinages Dates recettes
22e
25e
27e
28e
33e
38e
40e
43e
Eté 1901
Printemps 1903
Printemps 1904
Eté 1904
Printemps 1907
Eté 1909
Eté 1910
Printemps 1912
+ 1946,80 francs
+ 10 574,90
+ 39 072,85
- 42 385,50
+ 204
- 37 505,41
- 23 330, 75
+ 28 113,51

Les pèlerinages bénéficiaires sont le 22e, le 25e, le 27e, le 33e et le 43e, les trois autres étant déficitaires. Si l’on observe le nombre de participants à chacun de ces pèlerinages, on peut constater que la logique est respectée puisque plus l’effectif est élevé plus le risque d’un pèlerinage déficitaire est moindre. Ainsi pour le pèlerinage des hommes, en 1901, l’effectif est encore important avec un groupe de 300, ce qui permet d’avoir un léger bénéfice. Pour les autres pèlerinages, la situation financière est des plus fragile avec des déficits alarmants en 1909 et 1910.

Il eut été intéressant d’avoir les comptes de l’ensemble des pèlerinages d’avant-guerre, même si ceux que nous avons détaillés permettent de se rendre compte de la fragilité de l’entreprise assomptionniste confronté à un effectif réduit, pouvant entraîner des déficits importants. Les organisateurs ont tout de même la chance de pouvoir compter sur un réseau catholique prêt à renflouer les caisses dans les moments difficiles via les souscriptions et les dons.

Il semble que devant les difficultés financières auxquelles les assomptionnistes doivent faire face, ce soit Notre-Dame de France la plus lésée ; les religieux de ce lieu se plaignent de ne pas recevoir les sommes correspondantes à leurs dépenses :

« Si le pèlerinage avait payé, comme toujours depuis que Notre-Dame de France reçoit les pèlerins (…) nous aurions pu faire un bénéfice pour faire vivre la communauté. (…) Pourquoi payer toutes les autres dépenses, celles du bateau, du secrétariat, du voyage… et ne pas solder au moins celles de Notre-Dame de France, si on ne peut lui laisser un centime de bénéfice ?

Pourquoi pas le même traitement pour le bateau et pour Notre Dame de France, puisque tous deux travaillent au même titre –réellement- à la même œuvre ? » 737 .

Nous n’avons pas de réponse à cette plainte, mais il semble évident que les organisateurs des Pèlerinages de Pénitence considèrent l’hôtellerie de Jérusalem comme un soutien aux pèlerinages et non comme une entreprise dont le but est de faire des bénéfices. L’appréciation de la situation diverge d’un côté et de l’autre de la Méditerranée !

L’autre aspect financier concernant les Pèlerinages de Pénitence est le poids de plus en plus lourd que représente le bateau assomptionniste Notre-Dame de Salut, rebaptisé, l’Etoile. Nous avons précédemment évoqué les différentes raisons de son acquisition en 1893, et le bien- fondé de cette décision à un moment où les Pèlerinages de Pénitence étaient en pleine expansion.

En 1912, le Conseil général des pèlerinages s’alarme de l’état de l’Etoile qu’il possède depuis près de 20 ans et qui a plus du double d’âge :

« Telle qu’elle est, on la trouve inférieure comme confort, surtout en comparaison de ce que sont obligés de faire les compagnies dans leurs nouveaux navires, pour satisfaire les exigences des voyageurs. Sans doute les pèlerins, vue la somme relativement modique qui est au tarif des pèlerinages et l’esprit de sacrifice qui doit les animer, ne peuvent réclamer le luxe et l’aisance… cependant il faut prévoir certaines améliorations… Faire un bateau neuf, c’est une somme immense à trouver… Le chiffre des frais nécessaires monte à 1,5 million minimum. Comment arriver à recueillir une pareille somme ? » 738 .

L’acquisition d’un nouveau bateau semble d’autant plus compromise que les pèlerinages sont à de nombreuses reprises déficitaires, déficit que le Conseil général des pèlerinages est obligé de combler, alors que les souscriptions florissantes du temps de la construction de Notre-Dame de France ne le sont plus à la veille de la guerre.

L’un des pèlerins de la 46e caravane s’émeut de la fin programmée de ce navire, symbole durant près de vingt ans de la grandeur du Pèlerinage de Pénitence : 

« Notre pauvre Etoile avait beaucoup fatigué pendant cette dernière traversée. On surprit plusieurs fois M. l’armateur consultant avec anxiété les pulsations de la veille machine, qui étaient inquiétantes comme les battements d’un vieux cœur usé par de longs et loyaux services. Mais on se plaisait à espérer que quelques réparations lui redonneraient une nouvelle vigueur. Il n’en était rien et c’était bien fini. On n’osait pourtant pas se l’avouer, et, en quittant le bord, on saluait d’un « au revoir » ému le vieux bateau qui nous avait procuré de si douces, de si salutaires émotions, où on avait souffert sans doute, mais où on avait passé aussi des jours si agréables et si sanctifiants » 739 .

La 47e caravane voit le retour des pèlerins assomptionnistes sur les bateaux qu’ils avaient empruntés au siècle précédent, sur des lignes régulières, tels des pèlerins parmi d’autres, à l’image de ceux de l’abbé Potard !

La disparition de l’Etoile démontre, s’il est encore nécessaire de le faire, qu’un déclin a bien été amorcé depuis le début du siècle. L’une des conséquences des déficits accumulés se traduit par l’abandon de l’Etoile, le plus cher symbole des Pèlerinages de Pénitence en dehors de Notre-Dame de France.

Notes
735.

Ibid, p.137.

736.

AAR, UG 37.

737.

Dépenses du 31e pèlerinage de pénitence à Notre-Dame de France, 6-16 avril 1906, AAR.

738.

AAR, UD 1-6.

739.

E. Bédaoui, Le dernier pèlerinage de « l’Etoile » en Terre Sainte, Paris, Maison de la Bonne Presse, p. 92.