La fin de l’âge d’or

De profonds bouleversements politiques

La timide ouverture de la Palestine à l’Europe et au monde au XIXe siècle a permis à certaines puissances étrangères de s’imposer dans cet espace oriental que l’Empire Ottoman a de plus en plus de mal à gérer. La France, l’Angleterre, la Russie et l’Allemagne réussissent au nom d’intérêts religieux, économiques ou politiques à s’imposer et à rivaliser pour obtenir une place privilégiée auprès des autorités de la Porte, et surtout auprès des populations palestiniennes.

La France, fière de ses capitulations, a su s’imposer depuis le milieu du siècle comme une force de premier plan, à la fois religieuse comme protectrice des catholiques de l’Empire ottoman, et politique grâce à sa victoire en Crimée. L’évolution politique intérieure française, la montée en puissance du IIe Reich de Guillaume II, les velléités russes sur les territoires européens de la Porte et le soutien apporté aux chrétiens orthodoxes, font que la prépondérance française connaît à la fin du XIXe siècle de sérieux remous.

A ces batailles entre puissances étrangères sur fond de déliquescence de l’Empire ottoman, incapable de mener à bien des réformes pour moderniser son appareil politique et mieux gérer ses territoires, s’ajoutent des revendications des populations juives suivant une nouvelle politique mise en place sous l’impulsion de Théodore Herzl, le sionisme. Des deux premières alyot, et d’un début d’organisation politique de la communauté juive découlent les premières manifestations d’un nationalisme arabe.

Les premières années du XXe siècle sont ainsi une période où toutes les revendications s’éveillent sur fond de colonisation et d’amertume par rapport à des droits bafoués.

La France est, à la veille de la Première Guerre mondiale, un empire qui semble débordé de toutes parts, attaqué par les autres puissances catholiques réclamant l’abrogation des capitulations, et par l’Allemagne dont la visite fastueuse de Guillaume II à Jérusalem en 1898, lui a permis de créer un partenariat privilégié avec la Porte.

Dans un article sur la France en Palestine, écrit en janvier 1914, A. d’Anthouard s’inquiète de cette perte d’influence d’un pays qui a su au cours du XIXe siècle, en particulier grâce à ses religieux, s’imposer comme la force principale :

« Notre situation en Orient et en Palestine notamment, est toujours considérable. (…) Reposant sur des traditions séculaires jouissant d’un prestige traditionnel, elle est développée par une élite d’hommes intelligents et dévoués dignes de notre profonde reconnaissance. Mais des indices font craindre qu’elle ne soit arrêtée dans ses progrès. Un recul même est possible si l’on n’y prend garde. Que lui manque- t-il donc ? Le concours judicieux et persévérant de la métropole. (…) L’émulation entre nations prend une intensité que l’on n’avait jamais vue. Sous l’influence de la démocratie, le nationalisme s’étend aux collectivités, aux institutions qui, jusqu’ici, ne s’en étaient pas souciées ; il pénètre toutes les manifestations de la vie publique et de la vie morale et son ardeur, son intransigeance sont d’autant plus vives qu’il est plus jeune. L’Orient s’ouvre de plus en plus largement à cette concurrence et la lutte y est plus âpre que jamais. Est-ce le moment pour la France d’y affaiblir ses forces ? » 743 .

Ces inquiétudes s’ajoutent à celles de tous ceux, religieux ou non, qui sont soucieux des intérêts de la France en Orient, même si elle reste encore extrêmement présente, en particulier par le nombre de ses établissements scolaires et hospitaliers, et le personnel français y afférant 744 .

La Palestine ne pouvait qu’être un lieu de discorde en ces temps coloniaux, au cœur d’un « Empire malade », sur la route des Indes et abritant la ville trois fois sainte. La France a su au cours du XIXe tirer son épingle du jeu et acquérir un certain prestige mais les appétits des autres puissances européennes et les égarements de la politique intérieure vont contribuer à ce que cette présence française s’étiole, la Première Guerre mondiale donnant le coup de grâce.

Notes
743.

A. d’Anthouard, La France et la Palestine, in La Revue hebdomadaire, janvier 1914.

744.

Ibid. L’auteur donne les chiffres suivants sur les établissements français de Palestine : « La statistique enregistre soixante-trois établissements scolaires avec près de cinq mille élèves, parmi lesquels figuraient trois collèges, une école professionnelle, un institut biblique, une école normale, deux séminaires, quatorze établissements hospitaliers, une colonie agricole et une vaste hôtellerie pour pèlerins. La plupart de ces créations ont été accomplies par des religieux français ».