Les assomptionnistes sous le joug de la politique anticléricale

A la perte de prestige et d’influence que connaissent les Pèlerinages de Pénitence au début du XXe siècle, s’ajoutent d’importants revers pour la congrégation des Augustins de l’Assomption qui est dissoute en 1900 et se voit retirer ses biens dont le fleuron de l’entreprise assomptionniste, la Bonne Presse.

En novembre 1899, le gouvernement Waldeck-Rousseau poursuit en justice les assomptionnistes accusés d’appartenir à une congrégation non autorisée et d’avoir encouragé l’agitation lors de l’affaire Dreyfus 745 .

De janvier à mars 1900 se déroule le procès de douze assomptionnistes, surnommés les douze « moines ligueurs » :

« Le P. Picard, successeur du P. d’Alzon comme supérieur général, les P.P. Vincent-de-Paul Bailly et Saugrain, et neuf autres religieux comparaissent devant le tribunal de la Seine comme « moines ligueurs », dont les agissements mettent en danger l’ordre public et la République, cela surtout parce que le journal La Croix exerce une influence jugée séditieuse. Le tribunal prononce la dissolution de la Congrégation. Les assomptionnistes seront des proscrits » 746 .

Toutes les activités de l’institut s’en trouvent bouleversées et les religieux sont obligés de se disperser à travers l’Europe 747 , à l’exemple du Père Vincent de Paul Bailly qui abandonne la direction de La Croix 748 et part se réfugier en Belgique. Il ne revient à Paris qu’en 1906, où il loge en solitaire dans un petit appartement.

Les Pèlerinages de Pénitence ne sont pas dissous, et sont l’occasion de clamer toute leur amertume face à une France ingrate. Les annonces pour les différentes caravanes, tout comme les comptes-rendus, ne manquent pas de mettre en avant la persécution dont font preuve les assomptionnistes. Les Echos de Notre-Dame de France n’hésitent pas, en une du journal du mois de février 1900, à écrire CONDAMNES, en démontrant l’absurdité de tels procédés et les répercussions que cela peut avoir pour les intérêts français en Orient :

« Lorsque le Pèlerinage de Pénitence fera, cette année, son entrée dans la Ville Sainte, précédé du drapeau français, les Turcs se rangeront, respectueux, sur leur passage. Peut-être que dans cette foule orientale, pour laquelle la France a eu jusqu’ici tant de prestige, il se trouvera quelque voyageur allemand ou anglais pour dire : vous voyez ces moines, eh bien ! ce sont des condamnés. (…)

Qu’ont-ils fait ? répondra le Turc inquiet. Ont-ils tué, ont-ils volé ?

Non, mais ils vivent ensemble, ils prient, ils étudient, ils écrivent, tout comme ces moines qui habitent la grande maison blanche sur laquelle vous voyez le drapeau français.

Mais est-ce un crime, là-bas, dira l’Arabe étonné. Chez nous, c’est un honneur » 749 .

La XXe caravane du printemps 1900 a un effectif de 330 pèlerins, nettement supérieur aux caravanes précédentes, la dissolution de la congrégation n’étant certainement pas étrangère à ce surcroît de pèlerins. Pour les caravanes suivantes, les organisateurs ne manqueront pas de faire dans les programmes une allusion aux événements en cours. C’est le cas pour la XXIIIe caravane où sous la présentation de l’itinéraire est écrit : « En vue de délivrer les âmes du Purgatoire et de rendre grâce pour les élections » 750 . Pour la XXVe caravane, du printemps 1903, il est mentionné que l’itinéraire change car « en raison des événements de la France, le Pèlerinage commencera par le chemin de Damas. Puisse-t-il en rapporter des grâces de conversion » 751 . L’éblouissement de la conversion ne semble pas avoir atteint le gouvernement français.

En cette « Belle Epoque » qu’est le début du XXe siècle, les assomptionnistes, et plus globalement les catholiques, doivent faire face à un nouvel événement d’une toute autre ampleur, la séparation de l’Eglise et de l’Etat, votée en décembre 1905.

La bataille des inventaires au début de l’année 1906 est particulièrement virulente, provoquant des affrontements entre les forces de l’ordre et les catholiques interdisant l’entrée des églises. Les assomptionnistes, exilés, ne peuvent que se lamenter et se souvenir du temps où ils espéraient que les pèlerinages des années 1870 allaient remettre le Christ au cœur de la société. Ils n’en restent pas moins mobilisés, via les Pèlerinages de Pénitence, pour défendre ce qui reste de religion dans la société française. La caravane du printemps 1906 se présente comme une croisade face aux décisions lourdes de conséquences prises par le gouvernement de la République, régime décidément honni. Le Pèlerin de mars 1906 dans son appel aux pèlerins pour le prochain pèlerinage a ces mots : 

« La croisade qui s’apprête à s’embarquer à Marseille le 24 mars pour monter au Calvaire à Jérusalem le Vendredi Saint est une œuvre capitale aux heures si graves que traverse l’Eglise. Que tous aient à cœur de s’y enrôler : les uns, en prenant généreusement le bâton du pèlerin, c’est le dernier délai pour s’inscrire ; les autres, pèlerins de désir, en s’y unissant dès aujourd’hui par la prière et le sacrifice » 752 . Dans le compte-rendu de ce pèlerinage, on peut également lire : « Heureux catholiques, a-t-on dit, qui vont jouir de 30 jours de liberté chez les Turcs ! » 753 .

Par contre, à la différence de la dissolution de la congrégation des Augustins de l’Assomption, les pèlerins ne répondent pas aux appels angoissants des organisateurs puisque l’effectif ne dépasse pas les 150. L’explication de ce chiffre bien modeste est peut-être à chercher dans le fait que les inventaires des biens religieux sont en cours, imposant ainsi aux religieux et à ceux qui sont membres des fabriques de rester dans leur paroisse, à surveiller de près le tabernacle. A moins qu’il ne trahisse la fin de l’esprit de croisade.

Les assomptionnistes, comme la société catholique française, connaissent en ce début de XXe siècle de profonds traumatismes, d’autant plus forts, que les espoirs, vingt ans plus tôt, d’un retour à une France très chrétienne étaient fondés. Ces attaques contre les catholiques sont autant d’aspects de la fin de cet âge d’or, cette fois-ci non pas en Palestine, mais en France, auprès de cette communauté chrétienne, qui a vu disparaître son roi très chrétien, Henri V, ses ligueurs assomptionnistes (au moins du territoire français) et qui se trouvent à la veille de la Première Guerre mondiale bien démunie face à l’avenir.

Notes
745.

Les différentes revues de la Bonne Presse sont d’une virulence extrême au moment de l’affaire Dreyfus, fustigeant Juifs et francs-maçons.

746.

Lucien Guissard, Les assomptionnistes d’hier à aujourd’hui, Paris, Bayard, 1999, p.31.

747.

Cette dissolution a paradoxalement une conséquence positive, puisque l’exil forcé des religieux provoque l’implantation de la congrégation dans de nombreux pays du monde et la rend internationale ce qu’elle n’était pas ou peu jusqu’en 1900.

748.

Le journal La Croix ne disparaît pas pour autant, les amis catholiques de la congrégation veillent et c’est Paul Féron-Vrau, l’industriel du nord, soutien important lors de la création de La Croix du Nord, qui rachète le journal. C’est le 4 avril 1900 que paraît pour la dernière fois le journal rédigé par les assomptionnistes. Paul Féron-Vrau devra cependant faire face à de nombreux imbroglios judiciaires, toujours soupçonné de n’être qu’un prête-nom, permettant aux assomptionnistes de continuer leur œuvre. Il sera pendant plus de dix ans un talentueux directeur, continuant à faire de La Croix le porte-parole de la presse catholique. Après 1910, les assomptionnistes vont reprendre une partie de la direction du journal, créant un effacement pas forcément voulu de Paul Féron-Vrau.

749.

Echos de Notre-Dame de France, février 1900, n°78.

750.

MAE, Nantes, Jérusalem, 125/127, XXIIIe Pèlerinage Populaire de Pénitence.

751.

Ibid, XXVe Pèlerinage Populaire de Pénitence.

752.

Le Pèlerin, 18 mars 1906, n°1524.

753.

Jérusalem, AAV, tome II, 1906-1907.