1914 : une page se tourne

Quand tout s’écroule

Il y a incontestablement en Palestine un avant et un après Première Guerre mondiale. L’entrée dans le conflit des puissances européennes puis de l’Empire ottoman au côté de l’Allemagne crée une cassure dans les rapports de force entre puissances étrangères présentes en Palestine et surtout un bouleversement devant le vide laissé par la désagrégation de l’Empire ottoman à la fin du conflit.

Le « bel été 14 » se présente sereinement pour les pèlerinages avec la mise en place de deux caravanes assomptionnistes, qui ne sont plus de pénitence, mais de découverte de la Terre Sainte 754 . Le début des hostilités en Europe provoque un arrêt immédiat des départs de pèlerins pour Jérusalem (le premier groupe devait partir de Marseille le 6 août), et surtout la dispersion forcée des autorités catholiques de Terre Sainte, les religieux étrangers en priorité, tout comme l’abandon des biens appartenant aux congrégations.

Le directeur de l’Oeuvre de la Propagation de la Foi en Palestine retrace ces quelques jours qui vont voir s’écrouler tout l’édifice patiemment mis en place par les catholiques, français en particulier, depuis plus d’un demi-siècle :

« Nous sommes aux premiers jours du mois d’Août 1914. Soudain la terrible nouvelle se répète de bouche en bouche : « C’est la guerre ! La guerre est déclarée entre l’Allemagne d’une part, la France et l’Angleterre d’autre part ! » (…) La France est envahie, les Allemands sont sur la Marne ! Nous ne pouvons y croire, et c’était cependant la terrible vérité. A son tour la Turquie s’agite, des bruits alarmants circulent, on parle de guerre sainte, on parle de massacres. On veut opposer le Croissant à la Croix et la Croix au Croissant. Enfin le 31 octobre 1914, la Turquie entre en guerre à côté des Empires centraux. Les Français qui n’ont pas été rapatriés au mois d’août pour défendre leur patrie sont promenés de ville en ville, manu militari, et finalement sur la généreuse intervention de N. S. Père le Pape Benoît XV, laissés libres de regagner la France » 755 .

En quelques jours, il ne reste plus ni religieux, ni religieuses catholiques. Les différentes congrégations françaises ont toutes été priées de prendre le bateau et pour beaucoup c’est le début de longues années loin de la Palestine. Les assomptionnistes retrouvent les bonnes grâces de la France en allant se « racheter » au front ; les sœurs de Saint-Joseph se dispersent dans les différentes maisons de la congrégation ; Sœur Joséphine est rattachée à l’hôpital Emilie de Vialar de Lyon pendant toute la guerre et le Comte de Piellat n’est pas très loin dans sa propriété de l’Isère.

En ce qui concerne le sort des bâtiments religieux, il diffère suivant la nationalité des propriétaires comme le démontre Dominique Trimbur dans un article sur Jérusalem et la Palestine pendant la Première Guerre mondiale :

« Si le conflit et les impératifs qu’il implique touchent de manière à peu près égale les établissements religieux de la Palestine, l’évolution de la situation provoque une différenciation entre eux. Ceux qui relèvent des pays ennemis des Puissances centrales et de l’Empire ottoman sont réquisitionnés, vidés de leurs occupants et transformés à des fins militaires. Une campagne d’effacement du passé se met alors en place : elle aboutit à l’expulsion du territoire palestinien de ces religieux « ennemis » et à une ottomanisation, voire à une islamisation de bâtiments symboles d’ancien privilèges (c’est le cas du domaine national de Sainte Anne qui devient université coranique) » 756 .

Il en est de même pour Notre-Dame de France, abandonnée par les étudiants et les pèlerins, et qui est pendant toute la guerre un refuge pour les troupes turques. Les dégâts sont minimes par rapport à la guerre de 1948 où une partie de la bâtisse est détruite 757 .

Le départ précipité des religieux catholiques, majoritairement français, de toutes les parties de Palestine, démontre qu’une page se tourne. La mise en place d’institutions scolaires ou hospitalières par de nombreuses congrégations depuis les sœurs de Saint-Joseph en 1848 ne semble qu’un château de cartes que Guillaume II et le Sultan ottoman balayent d’un revers de main. Les capitulations, fierté de la France depuis près de quatre cent ans, épine dorsale de sa politique orientale, sont balayées par quatre ans de guerre, et une fois la paix revenue, personne ne songe à les restaurer, surtout pas les puissances européennes.

La libération de Jérusalem le 9 décembre 1917 par les troupes alliées, et l’entrée solennelle du Général Allenby ont des allures de nouvelle croisade, mettant fin à quatre cent ans de domination turque. Au grand désespoir des Français, ces nouveaux croisés ne sont ni des patriotes, ni des catholiques, mais des Anglais et des protestants. La page est tournée.

Notes
754.

Le programme du 48e pèlerinage assomptionniste ne fait plus mention des adjectifs qui sont la marque de cette entreprise, populaire et pénitente. Il est juste ici mentionné le pèlerinage à Jérusalem, au milieu des autres visites autour de la Méditerranée.

755.

Rapport de M. H. Perrin, directeur de l’Oeuvre de la Propagation de la Foi en Palestine, le 1e octobre 1919, Archives des OPM, Lyon, E07622.

756.

Dominique Trimbur, Jérusalem et la Palestine pendant la Première Guerre mondiale, Bulletin du CRFJ, automne 1999.

757.

Les autres établissements catholiques français ont tous été réquisitionnés. L’école professionnelle des Pères de Sion est devenue hôpital autrichien. Les bâtiments des Sœurs de Saint-Vincent de Paul ont été reconvertis en école et orphelinat pour les musulmans et chrétiens. Le carmel de Caïffa semble avoir été le bâtiment le plus touché, puisque l’ensemble du parc et des murs de clôture ont été détruits. Le mobilier des différents couvents ne semblent pas avoir résisté à trois ans d’occupation par les troupes ennemis et peu retrouveront des locaux intacts.