Le formidable envol d’une congrégation nîmoise

La création par Emmanuel d’Alzon des Augustins de l’Assomption en 1845 dans la préfecture du Gard a d’abord peu retenu l’attention de la société française. Ces religieux sont cependant devenus une congrégation de premier plan à la fin du siècle. Leur envol inespéré, vu depuis le collège de l’Assomption de Nîmes, est rendu possible par leur double activité qui se met progressivement en place dans les années 1870, 1880, soit les pèlerinages nationaux puis internationaux et le développement d’un réseau de presse. Nous avons longuement développé ces deux aspects dans notre travail et il en ressort une formidable énergie entreprenante qui ne repose pas sur un imposant bataillon de religieux mais sur quelques hommes qui se dévouent entièrement au développement de la congrégation. La mise en place d’un premier pèlerinage au site marial de la Salette en 1872, puis la création de la revue Le Pèlerin sont les prémices d’une organisation qui sait utiliser les moyens modernes de transport et de communication. Ces premières activités à l’échelle nationale s’inscrivent surtout dans une période de renouveau religieux avec les apparitions mariales, le dogme de l’Immaculée Conception et l’entrée en pénitence après les drames des années 1870-71. Le développement des pèlerinages à Lourdes, puis Rome et Jérusalem et la création d’un journal quotidien La Croix font des assomptionnistes des religieux à l’influence grandissante sur la société catholique française. On n’imagine pas le succès des pèlerinages de Terre Sainte sans leur intervention.

Leur réussite s’inscrit dans une attitude propre à cette congrégation française de la deuxième moitié du XIXe siècle, celle de « chevaliers zélés » au service d’un Dieu au cœur de la société française et d’un pape protecteur. Le père d’Alzon, par son caractère, une haute vision de son entreprise, incarne le projet d’une légion sacrée au service de Dieu. Ses religieux, à l’image du père Picard ou du père Vincent de Paul Bailly s’inscrivent pleinement dans cette démarche alzonienne. On leur doit le lien étroit qui unit la congrégation à la croisade. Toute l’entreprise assomptionniste tourne autour de cette référence croisée. Ils partent à l’assaut de la forteresse républicaine et laïque avec l’ardeur qu’ils ont déployée auparavant pour protéger le pape des républicains italiens. L’organisation des pèlerinages, avec la volonté de mettre en place le déplacement de groupes importants de pèlerins (ils sont ainsi plus de 2000 à La Salette en 1872 et bien plus à Lourdes dans les années qui suivent), définit des itinéraires qui sont autant de nouvelles pérégrinations ou processions vers un lieu saint. Elle cherche à mobiliser tout un peuple catholique auquel elle donne en modèle l’épopée des croisades.

Mais le pèlerinage moderne impose aussi sa propre logique. En Palestine, les assomptionnistes mettent en œuvre une politique offensive d’implantations prestigieuses aux implications patriotiques et religieuses. La construction de Notre-Dame de France aux portes de Jérusalem est là pour démontrer la volonté de puissance à la fois des assomptionnistes mais aussi du catholicisme dans une région musulmane et où la minorité chrétienne est à l’image de l’orthodoxie.

Au cours des années 1880 et partiellement 1890, les assomptionnistes semblent avoir pleinement réussi leur entreprise pèlerine en Terre Sainte, puisque elle est à la fois pionnière par le nombre de participants (1000 pour le premier pèlerinage en 1882) et unique (seule organisation occidentale d’une telle envergure) jusqu’à la fin du siècle. Son développement et son influence sont de premier plan dans une ville sainte qu’ils ne connaissaient pas ou peu avant l’arrivée de la « IXe croisade en 1882 ».

Malgré de tels succès et une implantation palestinienne réussie, il convient de nuancer cet enthousiasme croisé par une analyse dans la durée. Les premiers pas sont indéniablement un succès mais à long terme l’entreprise assomptionniste en Palestine apparaît plus modeste. Les Pèlerinages Populaires de Pénitence perdent au fil des années de leur ampleur numérique et sont surtout concurrencés par d’autres organisations, françaises comme les Pèlerinages Saint-Louis de l’abbé Potard, ou européennes comme en particulier les caravanes autrichiennes du colonel Von Himmel. Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, malgré l’imposante bâtisse de Notre-Dame de France surplombant de toute sa puissance architecturale Jérusalem, les assomptionnistes sont devenus une congrégation française parmi d’autres, voire en retrait par rapport à d’autres dont l’influence intellectuelle, culturelle ou sociale est bien plus forte 774 .

L’apport assomptionniste au renforcement de la présence française et catholique en Terre Sainte est incontestable mais n’a pas pu s’installer dans la durée. Malgré la présence maintenue jusqu’à aujourd’hui à Saint-Pierre en Galicante, l’œuvre pèlerine n’est plus qu’un souvenir qui s’est progressivement estompé au cours du XXe siècle. Cet effacement de la mémoire ne doit pas conduire à minimiser le rôle que les pèlerinages assomptionnistes, de la rue de Furstenberg, ou de l’abbé Potard, ont joué en Palestine et à Jérusalem, tant sur le plan économique que religieux.

Notes
774.

Les dominicains de l’Ecole Biblique sous l’autorité du père Lagrange ont acquis une autorité intellectuelle de premier plan, tout comme les frères des écoles chrétiennes sur le plan éducatif ou les sœurs de Saint-Joseph ou les filles de la charité sur le plan éducatif et social.