Les pèlerinages comme stimulants d’une Palestine en mutation

Sans accorder une place d’exception aux pèlerinages, la venue régulière à partir du milieu du XIXe siècle de caravanes de catholiques français a été un atout dans le développement économique de la Palestine et de son ouverture au monde. Cela est d’autant plus vrai que les pèlerins sont pour la plupart argentés, désireux de rapporter un maximum de souvenirs, de visiter de nombreux lieux saints, ce qui a pour conséquence le développement d’une véritable économie pèlerine. Le développement des marchands dans Jérusalem ou à ses portes, des drogmans et autres moukres au service des excursions à travers la Palestine et surtout les logements et les nombreux hôtels qui se créent en marge des communautés religieuses ont principalement pour origine l’afflux de plus en plus important de pèlerins. Le développement des infrastructures routières, ferroviaires et portuaires ne peut trouver son origine exclusivement dans l’essor des pèlerinages mais c’est un aspect non négligeable des innovations intervenues dans une région qui fut, pendant longtemps, une périphérie oubliée de l’Empire ottoman.

Les effets d’entraînement des pèlerinages se traduisent aussi par la réaffirmation d’un catholicisme vivant aux lieux mêmes de ses origines. Nous avons au fil de notre travail montré dans quel état était l’Eglise catholique palestinienne au début du XIXe siècle. Son essor intervient timidement avec la nomination d’un patriarche en 1847 et l’arrivée tout aussi timide de congrégations féminines puis masculines. La venue des caravanes de la rue de Furstenberg puis des assomptionnistes apportent aux populations locales et aux représentants catholiques l’image d’une religion qui n’a pas disparu, qui est toujours dynamique, capable de faire venir des pèlerins par milliers au fil des années, apportant subsides aux congrégations et directement ou indirectement à la population palestinienne. Les longues processions de pèlerins dans les rues de Jérusalem, la venue d’instituts catholiques et les somptueux bâtiments qu’ils construisent permettent à la religion catholique de réaffirmer publiquement une place de premier plan dans une Palestine majoritairement musulmane, juive en devenir, et dont le christianisme est à l’image des orthodoxes.

Il convient d’ajouter à ces effets l’importance que les pèlerinages ont eu pour la promotion de la France en Palestine. Les autorités françaises ont très vite compris l’intérêt qu’elles pourraient retirer de ces venues régulières de pèlerins en majorité français. Ceci est d’autant plus vrai que sous une IIIe République de plus en plus hostile à la religion, les consuls de France à Jérusalem se gardent bien de transposer la politique anticléricale en Palestine. Les organisations pèlerines apportent ainsi, de façon éphémère mais répétée, une présence française « de qualité », intellectuelle et argentée, toujours désireuse d’affirmer sa nationalité, et surtout l’héritage de ses ancêtres, les francs, référence à la croisade oblige.