Première partie :
Le territoire local à la rencontre de l’Economie et de la Politique
Cadrage théorique

Nous avons choisi d’inscrire notre analyse du processus de territorialisation de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise dans la lignée des travaux portant sur la théorie de la régulation.

L’Ecole de la Régulation, dans la continuité des travaux fondateurs de M. Aglietta puis de R. Boyer, est le principal courant des Sciences Economiques qui prend en considération à la fois l’espace (ou variable territoriale) et le temps dans ses analyses. La théorie de la régulation véhicule en effet un discours sur les politiques économiques très spécifique, en mettant l’accent d’une part sur les dynamiques temporelles longues et les « effets de structure », et d’autre part en prenant en considération l’existence et l’évolution des formes institutionnelles pour expliquer le fonctionnement de l’économie (Lordon, 2002).

Elle propose ainsi une approche historique du phénomène économique, fondée sur l’identification de périodes, caractérisées chacune par des formes particulières de régularité dans l’accumulation capitaliste, ainsi que par un mode de régulation, c’est-à-dire par un type spécifique d’association entre le mode de régulation et le régime d’accumulation, tels qu’ils ont été définis par R. Boyer (1986). Cette approche permet de concevoir l’évolution économique comme une succession de phases présentant une certaine unité et une relative stabilité des processus, en alternance avec des phases de crise, correspondant à une inadéquation entre le mode de régulation (formes institutionnelles) et l’évolution du régime d’accumulation.

La théorie de la régulation offre en outre une approche de l’économie qui met non seulement en avant l’historicité des modes de développement et de régulation, mais aussi de manière plus récente leur inscription territoriale à différentes échelles, du local au supranational, en passant d’abord par le plan national. L’espace est ici considéré comme le résultat, la manifestation, la dimension matérielle et physique des rapports économiques et sociaux (Lipietz, 1977), et non pas comme un simple support de rapports et d’activités, voire un simple coût en relation avec la distance. Dans la lignée des travaux développés en géographie sociale, l’espace est envisagé comme une partie intégrante des logiques de régulation : c’est une composante de la société qu’il contribue à produire et à reproduire, et le cadre d’enjeux de pouvoirs autant que de pratiques individuelles et collectives socialement et économiquement construites.

Grâce à son ouverture sur les formes et structures institutionnelles de la régulation, cette théorie offre enfin des possibilités de prise en compte des modalités organisationnelles et des relations entre acteurs dans l’analyse des politiques publiques et de l’action développées dans le champ de l’économie. Elle offre donc un cadre conceptuel pertinent pour aider à la compréhension de l’émergence de la politique économique locale dans l’agglomération lyonnaise. En partant des institutions au niveau macro-économique et non du niveau micro-économique des firmes, cette théorie présente une analyse des cohérences des économies politiques qui confère une place importante à la prise en compte de la dimension politique dans l’explication des crises du système économique capitaliste actuel.

Elle s’appuie pour cela sur une approche pluridisciplinaire, mêlant entre autres l’histoire, les sciences économiques, la sociologie, les sciences politiques, la géographie, ce qui n’est pas sans trouver d’écho dans les démarches de recherche conduites dans notre le domaine de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme. Elle s’appuie également sur des notions de base générales qui sont adaptables et applicables aux évolutions dans le temps et dans l’espace du couple régime d’accumulation / mode de régulation, permettant ainsi le repérage de configurations institutionnelles selon une périodisation de la dynamique historique du capitalisme (Boyer, Saillard, 2002).

Sur la base de ce positionnement théorique, notre cadre d’analyse s’organise à partir de deux entrées disciplinaires complémentaires, l’une économique et l’autre politique, permettant chacune d’aborder la question territoriale et l’action publique locale en regard des logiques de la régulation.

L’approche par la théorie économique ouvre le questionnement sur l’identification de la dimension territoriale de la crise du mode de régulation de l’économie et sur l’émergence d’un nouveau modèle de développement, faisant la part belle au territoire. Elle permet également de présenter les atouts et les faiblesses de la base économique lyonnaise, qui constitue la cible et le référentiel premiers de la politique économique locale (voir infra, Section 1).

L’approche par la politique favorise quant à elle la prise en compte des représentations collectives et des référentiels idéologiques, de l’évolution de l’action publique et du fonctionnement des systèmes d’acteurs locaux dans l’analyse du processus de territorialisation de la régulation économique dans l’agglomération lyonnaise. Elle ouvre notamment la réflexion sur la problématique de la gouvernance et sur ses implications en termes d’intégration par les pouvoirs publics locaux des logiques de compétition économique portées par les entreprises (voir infra, Section 2).