II - Les enjeux spatiaux du développement économique en période de crise

Les profondes évolutions du mode de développement économique depuis cinquante ans, entendues comme l’expression des modifications survenues au sein du couple régime d’accumulation / mode de régulation, ont des répercussions très importantes sur les comportements spatiaux des entreprises et sur les modalités d’inscription des activités économiques dans l’espace. Il est en effet possible d’identifier, pour chaque type de relation entre le régime d’accumulation du capital et le mode de régulation spécifique qui l’accompagne, un mode particulier d’organisation géographique des forces économiques (Bouinot, 2000 ; Leriche, 2004).

La période des Trente Glorieuses (1945-1975), marquée par un mode de développement intensif fondé sur l’association d’une production et d’une consommation de masse, et soutenu par l’omniprésence de l’Etat-Providence, voit la consolidation d’importantes régions urbaines en France, autour de la capitale et des métropoles d’équilibre, qui concentrent la production industrielle et les services de haut niveau. La mise en synergie du taylorisme et du fordisme conduisent à la disjonction fonctionnelle des différentes étapes du processus productif dans l’espace : essaimage des unités de production dans l’espace national, selon un schéma géographique de répartition des activités polarisant les fonctions directionnelles à Paris et dans quelques grandes villes, tandis que les fonctions productives d’exécution sont disséminées dans les régions de province riches en main d’œuvre bon marché (Lipietz, 1977).

La métropole et sa région urbaine apparaissent alors comme l’expression concrète des dispositifs de régulation de l’accumulation capitaliste et industrielle moderne (Lojkine, 1977 ; Aglietta, 1976 ; Castells, 1976), donc comme la forme spatiale archétypique du mode de développement économique fordiste.

La période de crise qui s’ouvre au milieu des années 1970 ne remet pas fondamentalement en question le régime d’accumulation intensif fondé sur la consommation de masse. Elle est cependant caractérisée par le recours massif aux méthodes flexibles de production, à la flexibilité du marché du travail, à l’automation des processus productifs et à la recomposition des relations de sous-traitance entre les firmes. La régulation étatique développée durant la période précédente se révèle être inadaptée au nouveau contexte économique d’ensemble marqué par les dynamiques de globalisation et par la flexibilisation des processus productifs. Elle mute donc progressivement vers un mode de régulation hyperconcurrentiel, remettant en question les acquis de l’Etat-Providence.

Ce nouveau mode de développement économique concurrentiel, flexible et international (Leriche, 2004) s’appuie, sur le plan spatial, sur l’émergence de nouveaux espaces économiques dans les régions urbaines et métropolitaines, à partir de compétences nouvelles ou plus anciennes présentent au niveau local. Les technopôles rassemblent en effet les secteurs d’activités à forte intensité en savoir-faire, comme la haute technologie ou les industries « culturelles » (Scott, 1996), remettant au goût du jour le modèle du système productif localisé conceptualisé par le district industriel marshallien. De véritables technopoles se constituent ainsi selon ce modèle : Toulouse et Grenoble en France, la Silicon Valley en Californie et la Route 128 dans le Massachussetts…

Plus généralement, la métropolisation traduit la forte polarisation des activités économiques, notamment tertiaires, au sein des plus grandes villes et s’inscrit en conséquence de l’internationalisation des activités de service supérieures (direction et management des firmes, banque et finance…). « Entre ancrage territorial et nomadisme » (Bouinot, 2000), ainsi pourrait désormais se résumer l’essence comportementale des entreprises dans l’espace géographique.