1- Flexibilité organisationnelle et innovation, les nouveaux paradigmes du système économique capitaliste

La crise du mode de régulation fordiste constitue à la fois un symptôme et la conséquence directe de la mutation d’ensemble du système économique capitaliste à partir des années 1970. Celle-ci s’opère selon deux phénomènes concomitants : la globalisation des échanges (hommes, marchandises, capitaux, savoirs…) et une concurrence accrue entre les territoires et les entreprises.

L’organisation mondiale des activités économiques connaît en effet des nombreux bouleversements depuis l’entrée en crise du régime d’accumulation fordiste au début des années 1970. Un double processus de segmentation et de spécialisation des filières d’activité traditionnelles occasionne notamment une réorganisation totale des chaînes de production. Une logique horizontale, faisant la part belle au recours à la sous-traitance et à l’externalisation par les entreprises d’une partie de leurs activités classiques, se substitue à la logique verticale des circuits de branche qui a fait les heures de gloire du modèle fordiste (Lipietz, 1979).

Les grandes unités de production classiques sont délaissées au profit de structures de taille réduite, offrant une plus grande souplesse organisationnelle et une meilleure réactivité face à l’exigence nouvelle de flexibilité et de rapidité, et favorisant le fonctionnement des entreprises en réseau (Veltz, 1996). Il en résulte une forte survivance, voire un nouveau développement des petites et moyennes entreprises (PME) dans le système productif, de manière imbriquée avec la poursuite du mouvement de concentration des capitaux au sein de grands groupes industriels et financiers (holdings). Les liens de dépendance entre grandes structures et petites structures, engendrés par la démultiplication des réseaux financiers et/ou de sous-traitance, tendent à se renforcer dans ce contexte.

Ces évolutions structurelles et organisationnelles sont accompagnées d’une explosion du secteur tertiaire, les activités assimilées aux services, notamment ceux destinés aux entreprises (finance, formation professionnelle, conseils spécialisés, ingénierie…) se développant parallèlement aux mutations d’ensemble du système productif. Certains observateurs évoquent même une tertiarisation des activités industrielles, au regard des évolutions profondes que traversent les secteurs productifs traditionnels, comme la chimie ou l’industrie mécanique lyonnaises par exemple : fort développement des fonctions de conception, de recherche et d’innovation en amont de la production, mais également des fonctions commerciales et de services après-vente associés aux produits en aval. Globalement, les nouveaux emplois tertiaires compensent à peu près les pertes subies par l’industrie depuis le début de la crise (voir infra, Section 2). Toutefois, le profil général des emplois se trouve lui aussi modifié, entraînant des enjeux nouveaux pour les entreprises et la main d’œuvre en termes de recrutement et/ou de formation.

L’augmentation des mobilités et des échanges, la tertiarisation de l’économie, la disparition des frontières classiques entre les filières d’activités sont accompagnées, voire induites, par la montée en puissance et la prise de pouvoir sur les autres sphères d’activités des nouvelles technologies d’information et de communication (NTIC). Elles se sont fortement développées au cours des dernières décennies grâce à la mise en relation des progrès réalisés par les techniques informatiques et téléphoniques (Veltz, 1996). Elles constituent l’un des vecteurs principaux de la globalisation des échanges et de la mondialisation de l’économie, en complément de l’abaissement des frontières douanières et de l’injonction généralisée à la libéralisation des marchés.

Un autre trait caractéristique du fonctionnement du système économique post-fordiste est la primauté acquise par les dynamiques d’innovation dans les logiques de développement et de croissance. L’innovation est en effet déterminante dans un contexte de saturation progressive des marchés de consommation et de remise en question du régime fordiste appuyé sur la grande production en série et la consommation de masse. L’individualisation des comportements et la diversification croissante des besoins conduisent les entreprises à devoir s’adapter à de nouvelles exigences productives en permanence, et à différencier leurs productions en fonction des marchés visés. Le « toyotisme » comme nouveau modèle d’organisation de la production et le « juste-à-temps » en sont des expressions concrètes, permettant à la fois de réduire les coûts de fabrication et d’adapter la production au cas par cas.

Pour rester compétitives et pour continuer d’accroître leurs profits et leurs parts de marché respectives, les firmes sont ainsi contraintes d’innover en continu, c’est-à-dire d’anticiper les demandes émergentes, voire de les initier en proposant sur le marché toujours plus de nouveaux produits adaptés à la grande diversité des besoins et à une demande plus différenciée et changeante. La sous-traitance et la gestion de la production en flux tendus apparaissent comme des nouveaux principes d’organisation productive adaptés à l’exigence de flexibilité et de rapidité de réaction qui s’impose aux entreprises.

Le management sert enfin de ciment et de moyen privilégié de mise en œuvre de toutes ces mutations au sein des entreprises. La montée en puissance des hommes de stratégie, de marketing et des financiers dans la gestion des firmes depuis les années 1970 accompagne le recentrage progressif sur les métiers de base et facilite la domination impérialiste des marchés financiers sur les logiques de développement économique (Bouinot, 2000).