2- Les conséquences spatiales de la mutation du système économique

Ces transformations dans le fonctionnement du système économique capitaliste ont des répercussions très importantes, non seulement sur le mode d’organisation et de fonctionnement des firmes, mais également sur le rôle des territoires dans les dynamiques de développement et de croissance. Pour A. Scott et M. Storper (1991), le post-fordisme se traduit par une « re-territorialisation » des agents économiques, du moins par un retour en force des effets des économies d’agglomération dans les logiques de localisation des firmes. La conception d’espaces différenciés par les avantages comparatifs remplace la vision de l’espace homogène qui prévalait durant la période de forte croissance.

Les entreprises s’implantent désormais où l’hétérogénéité spatiale rend simultanément optimaux pour elles les coûts de main d’œuvre, l’accès aux marchés de fournisseurs et de clients, le degré de stabilité politique et l’environnement économique au sens large. L’Ecole californienne de géographie économique évoque ainsi un « return to place : a tendancy to geographical agglomeration and the creation of new industrial spaces » 1 . De la même façon, la proximité devient un paradigme central du rapport que les firmes entretiennent avec les territoires (Dupuy, Burmeister, 2003).

Les caractéristiques du post-fordisme – échange d’informations, rapidité de réaction, revalorisation des petites entreprises en forte connexion, relations informelles et flexibilité – induisent une importance renouvelée des économies d’agglomérations, mais pas forcément des économies d’échelles (concentration géographique versus concentration fonctionnelle). Les entreprises se localisent de manière privilégiée dans les grandes régions métropolitaines, sous formes de « grappes » ou clusters, remettant ainsi au goût du jour le concept de district industriel énoncé par A. Marshall au début du 20ème siècle. La dimension historique et sociale des espaces économiques, l’inscription territoriale et les effets de milieu se trouvent renforcés et revalorisés dans le nouveau fonctionnement des entreprises, régi selon la logique de la « spécialisation flexible » (Piore, Sabel, 1984).

Dans ce contexte, le dynamisme du tissu économique d’un territoire et la qualité de ses ressources associées (formation, recherche, potentiel d’innovation technologique, organisation du milieu local, diversité des secteurs d’activités présents, capacités de communication avec les autres territoires…) sont primordiaux pour la création et le développement des activités économiques en son sein, ainsi que pour les dynamiques d’innovation (Godron, 2004).

Les entreprises déterminent leurs implantations en fonction de ces éléments et tendent ainsi à se concentrer au sein des territoires qui offrent toutes les conditions requises pour être compétitives, c’est-à-dire essentiellement les métropoles. Ces conséquences sont donc particulièrement visibles dans les grandes villes, en raison de la tendance générale des activités économiques à se regrouper au sein des agglomérations urbaines. Les nouvelles logiques de localisation des entreprises favorisent encore plus les processus de polarisation économique des espaces mis en évidence durant les Trente Glorieuses. Elles renforcent donc, in fine, le processus de métropolisation et de concentration des fonctions économiques dominantes au sein des principaux ensembles urbains.

Au delà de l’avantage évident fourni par la proximité et la densité des activités économiques en leur sein, relevant des économies externes d’agglomération conceptualisées par A. Marshall et A. Weber au début du 20ème siècle, les grandes villes sont en effet des entités permettant la meilleure satisfaction des besoins des firmes en matière de services spécialisés et d’accès direct aux réseaux mondiaux de communication (aéroport international, liaison ferrée à grande vitesse, autoroutes, connections à haut débit…). Elles offrent également une multitude de ressources financières, économiques, culturelles et informationnelles, grâce à la concentration des fonctions économiques, sociales ou politiques considérées comme supérieures, et qui sont indispensables à l’accompagnement économique des entreprises : universités et grandes écoles, laboratoires de recherche, grandes banques, salons professionnels internationaux, équipements culturels, cadre de vie et logements de haut niveau, services rares…

La grande ville bénéficie de la sorte d’une « valeur assurantielle » spécifique sur le marché des localisations et des territoires, qui en fait le lieu privilégié de développement et d’adaptation permanente de l’économie capitaliste de marché (Veltz, 1996). Pour une entreprise, la localisation dans une métropole comme Lyon limite en effet les risques liés à l’incertitude croissante qui caractérise l’environnement économique. La prise en compte de l’espace permet ainsi d’expliquer la concentration métropolitaine des agents et des fonctions économiques : les entreprises sont assurées de trouver non seulement la main d’œuvre dont elles ont besoin dans la grande ville, mais également des partenaires et des sous-traitants potentiels pour faire fructifier ses affaires (Institut des Villes, 2004). Le nouvel univers économique actuel renforce donc le rôle des effets d’agglomération au delà des économies d’échelle classiques, c’est-à-dire celui des externalités techniques, sociopolitiques et relationnelles propres aux territoires métropolitains (Veltz, 2002).

Ces phénomènes de polarisation, de concentration et de métropolisation, induits par les logiques d’agglomération des activités économiques en général et renforcés par la mondialisation et la mutation du fonctionnement du système économique d’ensemble, s’accompagnent d’un processus de valorisation / dévalorisation des espaces, qui est à l’origine de l’inégalité et de la concurrence entre les territoires. Les territoires locaux, ainsi mis en concurrence – c’est-à-dire en position de compétition les uns avec les autres –, revêtent une dimension nouvelle de ressource économique à valoriser pour les gouvernements locaux en charge de leur administration (Collectif, 1998). Cette situation est d’ailleurs assez largement accentuée par les choix politiques opérés par les collectivités locales en charge du développement économique et de la gestion des territoires.

Notes
1.

www.unine.ch/geographie/download/geoeco/Geoeco6.pdf.