Lyon est située au confluent des deux axes fluviaux majeurs que sont la Saône et le Rhône, dans un couloir naturel situé entre le Massif Central et l’ensemble jurasso-alpin. Sa position géographique à la charnière entre la France du Sud (monde méditerranéen) et celle du Nord en fait un point de passage obligé des échanges économiques, humains et culturels, un carrefour central des grandes routes commerciales au moins depuis l’Antiquité. Cette identité de ville carrefour est également façonnée par son glorieux passé historique, combinant polarisation et rayonnement religieux, ainsi que centralité commerciale et bancaire au sein de l’Europe occidentale.
Au proto capitalisme de négoce qui fonde la puissance et le rayonnement de la ville de l’Antiquité au Moyen Age, succède un puissant capitalisme bancaire et mercantile durant la Renaissance et la période classique, qui s’appuie en grande partie sur le développement d’une proto industrie textile centrée sur le tissage de la soie. Le rattachement de la ville au royaume de France au début du 14ème siècle apporte en effet protection et privilèges aux marchands et artisans lyonnais durant l’Ancien Régime : foires franches au 15ème siècle (4 permanentes), fabrication de la soie au tournant du 16ème siècle.Ces décisions royales ont une incidence directe sur la constitution d’un puissant secteur bancaire et financier à Lyon, en attirant entre Saône et Rhône les marchands et forains du Piémont italien, ainsi que les banquiers florentins puis les artisans soyeux de Gênes (Braudel, 1986).
Une véritable industrie textile émerge de ce terreau au 19ème siècle, soutenue par les grandes banques locales (Crédit Lyonnais, Banque Morins-Pons…) et structurée par le système de la Fabrique hérité du 18ème siècle, dans lequel les Soyeux, donneurs d’ordres lyonnais, s’appuient sur un réseau régional d’artisans tisseurs sous-traitants. Cette industrie textile performante est elle-même à l’origine du développement des activités chimiques à Lyon, en liaison avec les besoins spécifiques en matière de teinture et d’apprêts. Le développement d’un important secteur mécanique est également lié aux besoins des activités textiles, notamment en métiers à tisser et machines pour le bobinage des fils. Les activités mécaniques se diversifient dès la fin du 19ème siècle pour répondre aux nouveaux besoins en matière de transports (chemin de fer, automobile, véhicules utilitaires) ou de mécanisation de la production manufacturière. Elles sont complétées par de nouvelles activités de construction électrique et de métallurgie induites par le développement de l’énergie électrique dans les Alpes voisines, ainsi que par les activités liées à la navigation fluviale ou à la production/distribution du gaz d’éclairage (Laferrère, 1960 ; Labasse, Laferrère, 1966 ; Bayard, Cayez, 1990 ; Kleinclausz, 1948-1952 ; Latreille A., 1988) 2 .
Ainsi, l’héritage historique du pôle économique lyonnais traduit une grande capacité d’initiative et d’entreprenariat au cours des siècles, caractérisé en outre par des phénomènes de coopération professionnelle et interprofessionnelle qui sont à l’origine de la diversification du système productif local : le textile lyonnais engendre la chimie et la mécanique lyonnaises.
L’industrie lyonnaise polarise l’économie régionale au tournant du 20ème siècle du fait de sa position géographique centrale, mais ne constitue toutefois pas le facteur principal de développement des autres pôles industriels de la région. Saint Etienne, Grenoble, Oyonnax, Roanne bénéficient d’une relative autonomie par rapport à Lyon dans leur décollage industriel, et tendent à nouer des relations directes avec la capitale parisienne, sans que le recours à Lyon ne soit un passage obligé pour leur développement. La métropole lyonnaise assure malgré tout un rôle de connexion et d’interface entre sa région et le reste du pays (voire du monde), en offrant notamment les services financiers de ses grands établissements bancaires (Crédit Lyonnais en tête) et de sa bourse de valeurs. Cette position est notablement renforcée par le développement du réseau ferroviaire dans la deuxième moitié du 19ème siècle, qui fait de Lyon le second nœud de croisement des grandes lignes françaises après l’étoile parisienne, ainsi que par la tradition de formation professionnelle et technique que la ville recèle.
En effet, si l’université lyonnaise ne brille pas par son ancienneté ou sa force de rayonnement historique, il en va tout autrement des nombreuses écoles techniques de l’agglomération, issues du pragmatisme des acteurs économiques et des industriels locaux pour favoriser le développement et la pérennisation de leur branche d’activité (Molin, 1996). L’enseignement supérieur reste ainsi fortement marqué par le glorieux passé industriel de la ville et reflète la diversité de la base économique lyonnaise : Ecole de la Martinière (fondée en 1807), Ecole Centrale Lyonnaise (1837), Société d’Enseignement Professionnel du Rhône (1864), Ecole Supérieure de Commerce (1872), Ecole de Chimie Industrielle (1883), Ecole Municipale de Tissage et de Broderie (1884), Ecole Catholique d’Arts et Métiers (1900), Institut de Chimie et Physique Industrielle (1919).
L’enseignement universitaire d’Etat et la recherche publique ne sont véritablement promus à Lyon que depuis les Trente Glorieuses : « Dans le langage moderne, on dirait que les industriels lyonnais se méfiaient des universitaires et des technocrates » (Molin, 1996). Cet héritage encore fortement actif dans le domaine de la formation professionnelle confère à la métropole lyonnaise des atouts non négligeables en matière de qualification et de compétences professionnelles spécifiques de la main d’œuvre. Une tendance générale à l’augmentation de la qualification en découle (Bonneville, 1997).
Lyon a donc historiquement une dimension de métropole régionale et européenne notable, elle jouit d’un rayonnement économique important fondé sur la diversité de ses compétences et savoir-faire particuliers dans le secteur industriel, malgré l’écrasante domination parisienne qui limite plus ou moins fortement son développement selon les époques. La métropole lyonnaise reste en effet longtemps confinée dans un rôle économique secondaire au niveau national, à l’ombre de la capitale, situation qui se trouve renforcée par la logique centralisatrice de la politique économique nationale durant les Trente Glorieuses (voir 2ème partie).
La relative faiblesse de Lyon par rapport à la capitale est particulièrement visible dans le domaine des fonctions métropolitaines supérieures et d’autorité économique, Paris captant l’écrasante majorité des emplois de cadres et des sièges sociaux au niveau national. Le rapport entre Lyon et Paris est ainsi environ de 1 à 10 en matière de fonctions de direction et de décision économiques (Damette, 1994), la Région Rhône-Alpes dans son ensemble ne représentant que 8.1 % des emplois de décision en France en 1999 (RUL, 1999).
P. Veltz (1992) souligne cependant que face aux profonds changements que connaissent les principes d’organisation de la production et des firmes au cours des dernières décennies (le fonctionnement en réseau remplace l’organisation hiérarchique), le processus général de métropolisation de l’économie induit une nouvelle configuration économico-territoriale en France, assez favorable à la métropole lyonnaise. La constitution d’une vaste « métropole-réseau » entre Paris, Lyon et quelques autres pôles économiques et urbains secondaires à l’échelle du pays confère enfin à la ville le statut longtemps recherché de pôle relais ou alternatif d’implantation des grandes firmes sur le territoire français par rapport à la capitale.
Pour plus de précision concernant le processus de maturation et d’adaptation des structures productives locales au progrès technologique, et de façon générale pour une présentation historique plus complète du système productif lyonnais, nous renvoyons le lecteur aux ouvrages suivants :
Bayard F. et Cayez P., 1990, Histoire de Lyon. Des origines à nos jours, 2 tomes,Editions Horvath.
Kleinclausz A. (dir.), 1948-1952, Histoire de Lyon, 4 tomes, P. Masson.
Latreille A. (dir.), 1988, Histoire de Lyon et du Lyonnais, Privat, 519 p.