Piliers et moteurs du système productif lyonnais

Le SPL lyonnais reste donc caractérisé par l’importance des activités de production industrielle et un profil généraliste, malgré une nette tendance à la tertiarisation depuis quarante ans. La répartition entre production de biens intermédiaires, biens d’équipements et biens de consommation est assez équilibrée en comparaison des autres grandes villes françaises et régionales, avec cependant un léger avantage relatif pour les premiers. L’héritage historique de l’économie locale, bâti autour de trois grands secteurs industriels piliers du développement des activités productives, confère un rôle encore déterminant au textile (6 000 emplois), à la chimie (17 000 emplois) et à la construction mécanique, automobile, électrique et électronique (40 000 emplois au total).

Ces filières industrielles ont en commun d’être à l’origine d’un vaste réseau de production, de sous-traitance et de coopération, qui couvre une grande partie de la région Rhône-Alpes (Bonneville, 1997). Le pôle économique lyonnais joue ainsi un rôle central de tête de pont pour l’ensemble productif régional, en polarisant les grands donneurs d’ordres et l’accès vers les marchés extérieurs.

La notion de filière territorialisée de production, ou branche industrielle territorialisée, est mobilisée pour saisir l’inscription et l’ancrage dans le territoire local de l’ensemble des stades successifs d’élaboration et de fabrication de produits industriels ou de familles de produits, c’est-à-dire de secteurs productifs dont toutes les étapes respectives de production, de la conception à la commercialisation, sont présentes sur le territoire considéré (Brunet, 1994). De la sorte, une ou plusieurs activités économiques, par leur organisation et le choix des acteurs impliqués, ont un lien de cause à effet, de structuration et d’identité avec le territoire sur lequel elles sont implantées. La notion de filière ou de branche territorialisée permet donc de saisir les liens existant entre des stratégies privées et publiques au sein du territoire local qu’elles contribuent à produire (Vanier, 1997).

Le concept de secteur moteur vient compléter cet appareillage notionnel, en renvoyant à une autre dimension du système productif local, fondée à partir la théorie de la base développée par la pensée mercantiliste classique puis par l’économie spatiale et urbaine au 20ème siècle (Derycke, 1982 ; Aydalot, 1985 ; Camagni, 1996). Elle repose sur l’idée que le développement du système économique d’un territoire ou d’une ville s’appuie sur l’existence de branches d’activité locales, dites basiques, qui en exportant leur production vers l’extérieur, sont à l’origine de la création d’autres activités économiques sur le territoire, en lien direct ou non avec cette branche basique, et à destination de la population ou des entreprises locales. Ces branches d’activités agissent ainsi comme des moteurs de la croissance économique locale, grâce aux effets multiplicateurs d’activités et d’emplois qu’elles induisent. Ce concept permet de mettre en évidence les spécialisations économiques de la métropole lyonnaise, qui offrent des possibilités de création d’emplois et/ou qui sont susceptibles d’entraîner et de renforcer la diversification et la croissance du système productif local.

Les trois grandes branches industrielles piliers du système productif lyonnais peuvent être décomposées selon plusieurs secteurs moteurs, incluant des activités qui appartiennent également à la vaste sphère du tertiaire et des services. Une étude réalisée par l’association Economie & Humanisme identifie ainsi huit pôles d’activités majeurs et dix « micro-pôles d’excellence » (Minelle et alii, 1996). Elle s’appuie sur l’identification statistique des secteurs basiques du SPL conduite à partir des fichiers STRATES de l’INSEE par des chercheurs parisiens (laboratoire de l’ŒIL) visant à montrer que ces secteurs créent plus d’emplois dans l’agglomération lyonnaise que les secteurs d’activité non basiques (Beckouche, Davezies, 1995).

L’analyse des pôles majeurs de l’économie lyonnaise met en évidence la grande variété des activités, organisées selon quelques grandes branches qui recoupent en grande partie les trois grands secteurs piliers déjà identifiés, mais qui tendent à rendre plus ou moins poreuse la frontière normative établie entre le secondaire et le tertiaire :

  • La chimie, la pharmacie et le plastique ;
  • L’automobile, l’équipement automobile (y compris la fabrication de pièces détachées techniques en matière plastique) et l’entretien/réparation ;
  • La mécanique et le travail des métaux ;
  • La fabrication d’équipements électriques, aérauliques et frigorifiques, et d’électroménager ;
  • Le commerce de gros d’équipements industriels divers ;
  • La création de logiciels et le conseil informatique ;
  • La recherche & développement et la formation ;
  • La logistique et les transports.

La création de logiciels, le conseil informatique, la R&D et la formation occupent 9 000 emplois au total, le secteur de la logistique environ 15 000 (transport routier de marchandise interurbain et de proximité, entreposage, organisation des transports internationaux, messagerie et fret express, location de camions avec chauffeur, transports urbains de voyageurs), plaçant l’agglomération lyonnaise au second rang après Paris au niveau national et confirmant sa vocation de centre d’échanges économiques et de carrefour commercial. Ces trois secteurs relèvent de la sphère des services mais ont des liens très directs avec les activités productives. Ils illustrent bien l’étroite imbrication des différentes branches d’activités de l’économie lyonnaise entre elles et les grandes possibilités de coopération et d’échanges réciproques existant sur le territoire local.

L’analyse des dix « micro-pôles d’excellence » renforce encore l’impression de grande proximité entre les différents grands domaines d’activité traditionnels, et de porosité entre monde des services et monde de la production industrielle au sein du SPL lyonnais :

  • Logiciels ;
  • Conseil informatique et services multimédias ;
  • Gestion de portefeuilles ;
  • Renseignement commercial (banques de données) ;
  • Conseil pour les affaires et la gestion ;
  • Travail temporaire ;
  • Textiles techniques ;
  • Instruments de précision ;
  • Bijouterie,
  • Environnement (réduction des nuisances et pollutions industrielles) ;
  • Biotechnologies (R&D en sciences physiques et naturelles).

Cette dernière liste fait apparaître en outre quelques spécialités lyonnaises en matière de services de haut niveau (ou supérieurs) pour les entreprises, dans les domaines du management, de l’ingénierie biologique et environnementale, ainsi que dans le domaine du numérique et de l’informatique.

Ce dernier aspect tend notamment à atténuer la portée des allégations relatives à la faiblesse de la métropole lyonnaise dans ce domaine et au fait qu’elle aurait quelque peu raté le virage de l’informatique au tournant des années 1970. Si un handicap certain en matière d’électronique et de construction informatique et microélectronique demeure (Duval, 1995), la situation est assez différente en ce qui concerne les services informatiques (essentiellement destinés aux entreprises).

Lyon s’apparente en effet plus au cas parisien qu’à Grenoble ou Toulouse pour la structuration de son système productif et technologique, notamment par rapport à la politique nationale d’aménagement du territoire des Trente Glorieuses : l’agglomération lyonnaise reste globalement hors des circuits de distribution des surplus d’emplois massivement délocalisés depuis la région parisienne, étant déjà un territoire économiquement dynamique et attractif pour les grandes firmes de production et de services informatiques, notamment grâce à son important bassin d’emploi. A cette époque, les activités informatiques sont émergentes, mais ne concernent encore majoritairement que le secteur productif industriel, et non le secteur tertiaire : elles ont notamment besoin pour s’implanter de surfaces importantes. C’est donc logiquement dans la périphérie Est de l’agglomération (zone de plaine disposant de grandes réserves foncières idéales pour l’industrie) que les premiers établissements de construction informatique s’installent, y compris dans la ville nouvelle voisine de l’Isle d’Abeau (i.e. hors agglomération lyonnaise), bénéficiant ainsi de la proximité du réseau autoroutier et du marché potentiel offert par la grande ville, sans en assumer les surcoûts fonciers.

Grenoble et Toulouse, villes phares des technologies informatiques en France, se distinguent de Lyon pour le secteur global de la production de biens et de services informatiques, notamment par les effectifs employés dans la recherche et la fabrication de matériel informatique. Toutefois, si l’on ne considère que les effectifs employés à la production de services liés à l’informatique, la hiérarchie entre les trois agglomérations s’inverse, Lyon retrouvant sa place de seconde métropole tertiaire informatique en France et se rapprochant, bien que loin derrière, du profil parisien.

Pourtant, en 1995, Lyon n’occupe encore que la cinquième place en matière d’emplois stratégiques derrière Paris, Grenoble, Montpellier et Toulouse (en proportion de l’emploi total), bien que l’agglomération concentre plus d’emplois dans les services informatiques (conseils en systèmes informatiques, réalisation de logiciels, commerce de gros de matériel informatique et traitement de données) que dans les activités de fabrication informatique. Ceci peut d’ailleurs en partie expliquer les moindres effectifs dans la recherche informatique à Lyon, celle-ci accompagnant très souvent les activités de fabrication de matériel, minoritaires dans l’agglomération, mais beaucoup plus rarement les activités de conseil ou de services informatiques, majoritaires dans l’agglomération lyonnaise.

Pour faire simple, on peut dire que Lyon est spécialisée dans la production de contenus (« soft »), tandis que Grenoble est plutôt tournée vers la production de contenants (« hard »). Traditionnellement, les fabricants d’ordinateurs fournissaient à la fois les machines et les contenus, mais la généralisation de l’usage informatique au cours des années 80, au sein des entreprises mais aussi chez les particuliers depuis les années 90, a conduit à la multiplication des entreprises spécialisées dans les logiciels et dans l’informatisation des tâches dans l’agglomération lyonnaise. Les figures emblématiques de ce secteur à Lyon sont notamment les firmes Atari (ex-Infogrames, n°2 mondial du jeu video) et Cegid (progiciels).

Ainsi, Lyon, à l’image de l’Ile-de-France, s’oriente, face à l’émergence des nouvelles technologies informatiques, plutôt vers un profil métropolitain, à l’inverse de ses concurrentes qui misent essentiellement, selon la stratégie de l’Etat central et sous la domination de grandes firmes de construction informatique, sur le binôme fabrication et recherche correspondant au profil de « villes industrielles modernes » (Beckouche, 1993). Lyon s’apparente donc de plus en plus au profil d’une métropole tournée vers la haute technologie à l’image de Paris, mais avec les activités de fabrication en plus et les fonctions d’autorité et de gestion en moins.

Si Lyon veut se positionner comme la principale « alternative parisienne » française pour la localisation des activités de commandement et de R&D, le retard pris dans le secteur de l'informatique peut lui être préjudiciable, tout comme la faible intégration des industries électronique et informatique au sein de sa puissante base industrielle. Un des aspects positifs reste cependant la moindre dépendance décisionnelle et financière du secteur informatique lyonnais, structuré autour d’un tissu de PME majoritairement locales et bénéficiant également de l’assise régionale de certains grands établissements implantés sur son territoire.

Loin derrière Paris dont l’influence s’étend à tout le Nord du pays, Lyon est la seule ville après la capitale dont les effectifs de la fonction commercial-marketing évoluent positivement, et qui soit ainsi capable de rayonner à court terme sur le Sud de la France dans le domaine des activités informatiques.