L’inscription territoriale du système productif métropolitain lyonnais

L’agglomération lyonnaise est, après Paris, une des rares villes françaises, avec Marseille, susceptibles de pouvoir prétendre au statut de métropole, si tant est que la métropolisation est un processus de « renforcement des fonctions économiques supérieures en matière de décision, de direction et de gestion des systèmes économiques et de leur concentration dans quelques pôles urbains majeurs » (Bonneville, 1993b, p.223). La métropolisation se caractérise également par une recomposition interne des systèmes urbains propres aux grandes agglomérations, plus particulièrement par une « recomposition des structures économiques et de leur territorialisation » (Bonneville, 1993b, p.234). A chaque branche d’activités du SPL lyonnais correspond un type de localisation métropolitaine et une évolution propre de cette inscription territoriale. Des phénomènes de polarisation sélective, de diffusion spatiale des activités économiques et d’hétérogénéisation de l’espace économique lyonnais sont ainsi à l’œuvre au sein du territoire métropolitain lyonnais.

Ces dynamiques territoriales se traduisent par un double phénomène de concentration des fonctions économiques supérieures dans le centre et de diffusion spatiale des autres activités jugées moins stratégiques (production, logistique, centres de gestion technique…), selon des logiques relativement diversifiées propres à chaque branche. Schématiquement, le partage des rôles entre l’agglomération centre et ses périphéries périurbaines s’organise de manière à ce que Lyon commande et ordonne, tandis que les périphéries exécutent. A mesure que certaines fonctions se concentrent à Lyon, l’influence de la ville, en termes de bassin d’emploi et de migrations alternantes, s’étend sur un territoire plus vaste, qui couvre le département du Rhône et une partie de l’Isère, de l’Ain et de la Loire (Région Urbaine de Lyon).

La diffusion spatiale à partir du centre est toutefois plus marquée pour les résidences que pour les emplois (Boino, 1999). A l’échelle du bassin d’emploi de Lyon 5 , les emplois sont plus concentrés dans le centre de l’agglomération que les actifs et ont tendance à se localiser en des points privilégiés de l’espace en s’éloignant du centre, c’est-à-dire en délaissant certains endroits, alors que les actifs (i.e. les résidences) se répartissent de façon plus homogène, même en périphérie (Andan, Tabourin, 1998). La même étude révèle que le nombre d’emplois croît plutôt dans les espaces de la proche périphérie lyonnaise qu’aux confins du bassin d’emploi, ce qui tend à confirmer l’inscription territoriale du SPL lyonnais au niveau de l’agglomération à proprement parler, c’est-à-dire du Grand Lyon. Le détail par grand secteur d’activités permet de saisir plus finement les différences au sein des dynamiques territoriales qui animent le SPL lyonnais.

L’industrie

La filière chimique s’articule autour de la chimie de base, de la chimie organique de synthèse, de la para-chimie (ou biochimie) et de l’industrie pharmaceutique. Elle repose en grande partie sur les activités déployées à partir de deux grandes firmes mondialisées nées à Lyon, que sont anciennement Rhône-Poulenc (et ses nombreuses filiales comme Rhodia) et Atochem du groupe Elf. La chimie de base est ainsi essentiellement localisée dans le Sud de l’agglomération, sur les communes de Saint-Fons, Feyzin et Pierre-Bénite, qui constituent le célèbre Couloir de la chimie concentrant centres de recherche et unités de production. La biochimie est caractérisée par une localisation plus centrale dans l’agglomération, notamment en raison de l’implantation depuis 1977 du siège mondial, des services commerciaux et du centre de recherche de Rhône-Poulenc Agrochimie dans le 9ème arrondissement de Lyon (Vaise, site de Rochecardon – la Dargoire). De la même façon, les activités de recherche et de direction dans le secteur de la pharmacie sont fortement concentrés dans la ville centre, majoritairement dans le quartier de Gerland (BioMérieux, Institut Pasteur, Institut Mérieux, Laboratoire P4 de virologie…).

Par contre, les activités de production de la biochimie et de l’industrie pharmaceutique ont fait l’objet durant les années 1960-70 d’une large diffusion dans l’espace périphérique de l’agglomération : dans la vallée de la Saône au Nord (Roussel-Uclaf à Neuville-sur-Saône, usines RP Agrochimie de Villefranche-sur-Saône – ex-Péchiney-Progil – en dehors de l’agglomération), sur les coteaux de l’Ouest à Marcy l’Etoile et Chaponost (BioMérieux, Pasteur Mérieux Sérums et Vaccins, IMEDEX) ou encore à Saint Genis-Laval (INSEE, 1998). La pharmacie présente l’indice de spécificité 6 le plus élevé de toutes les filières industrielles lyonnaises, avec 2.34 en 1997 (Bonneville, 1997), ce qui signifie que cette filière est particulièrement ancrée dans le territoire local et constitue une véritable spécialité au sein du système productif lyonnais.

La branche mécanique et automobile, ainsi que ses dérivés que sont l’industrie électrique et électronique, sont fortement marquées par l’héritage historique local – voir l’aventure de l’illustre Berliet, mais aussi la multitude de petits constructeurs-mécaniciens indépendants lyonnais du début du 20ème siècle. Elle est à l’origine d’un important tissu de sous-traitance qui s’est largement diversifié et diffusé dans l’espace régional avec le temps : fourniture de pièces détachées (usinage, fonderie, traitement de surfaces, décolletage et mécanique de précision), transformation de matières plastiques, matériaux composites, équipements électriques et électroniques…

Ces activités sont majoritairement localisées dans le Sud et l’Est de l’agglomération pour l’industrie automobile (Vénissieux et Saint-Priest accueillent les usines RVI-Renault Trucks et leurs 6 000 salariés), pour la production de biens d’équipements mécaniques et électriques et pour la métallurgie (Décines-Charpieu, Vaulx-enVelin, Chassieu, Mézieux. La commune de Lyon n’est pas en reste malgré le desserrement des activités productives opéré durant les Trente Glorieuses, elle supplante même Villeurbanne en effectifs salariés. Cette dernière apparaît pourtant comme la localisation privilégiée et traditionnelle pour une grande partie des activités industrielles, notamment mécaniques, métallurgiques et électriques, expulsées hors de la ville centre (voir supra, 2ème partie).

Contrairement à la chimie et à la pharmacie, la branche de la mécanique et de la construction électrique présente un indice de spécificité légèrement inférieur à 1, bien que celui de la filière automobile soit de 1.6, traduisant l’ancrage historique de celle-ci dans l’agglomération. Rhône-Alpes est en effet la première région mécanicienne française (18 % du potentiel national de la branche), elle présente un important pôle de compétence autour de ces filières, hérité notamment du développement industriel des régions alpines (décolletage dans la vallée de l’Arve) et entretenu depuis par un riche tissu de PME-PMI organisé en réseaux de sous-traitance. La position de l’agglomération lyonnaise dans cet ensemble s’avère donc beaucoup moins dominatrice et hégémonique que pour la chimie ou l’industrie automobile.

La branche du textile et de l’habillement s’est développée au 20ème siècle autour des activités de production de fibres synthétiques, mais elle est en profonde régression depuis trente ans dans l’agglomération (RP Textiles et Rhodiaceta, aujourd’hui disparues). La région lyonnaise représente quand même près de 20 % de la production textile française, avec une nette spécialisation dans la production de fibres techniques (75 % de la production nationale est issue de la région Rhône-Alpes) et des textiles hauts de gamme (soieries notamment). Lyon et Villeurbanne, qui étaient les deux places fortes du textile dans l’agglomération, ont perdu le tiers des effectifs de ce secteur entre 1982 et 1990 (Beckouche, Davezies, 1993b).

Des pôles d’activité textile se maintiennent dans la banlieue lyonnaise, à Rillieux-la-Pape, Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Pierre-Bénite, et dans le Val de Saône au Nord. Si ce secteur ne représente plus autant d’emplois que par le passé (la seule usine Rhodiaceta de Vaise a compté jusqu’à 6 000 salariés), la richesse de la métropole lyonnaise en matières d’organismes de formation professionnelle fait cependant du territoire local un centre d’organisation pour la production régionale non négligeable, jouissant également sur quelques aspects très pointus d’un rayonnement international avéré (implantation du centre de ressources des industriels du textile UNITEX à Vaise).

Les services

Les services aux entreprises, y compris les services financiers et bancaires, sont majoritairement localisés dans la ville centre (Lyon), puis dans une moindre mesure à Villeurbanne et dans les communes du Nord-ouest de l’agglomération. Les communes de l’Est, non totalement dépourvues de tertiaire, restent globalement marquées par un profil industriel dominant (INSEE, 1998). Le développement des services aux entreprises dans l’agglomération est du à la fois à l’implantation locale de filiales de grands groupes parisiens ou étrangers (cabinets d’expertise comptable Ernst & Young, Arthur Andersen, Coopers & Lybrand ACL, Deloitte & Touche, agences de publicité Euro RSCG, Havas) et à la mise en place d’entreprises locales qui accompagnent l’essor économique de la métropole lyonnaise et de sa région (cabinets comptables, conseils en management, bureaux d’études, conseils en services informatiques, renseignement économique, conseils juridiques, avocats d’affaires…).

De façon plus générale, la concentration géographique des services aux entreprises autour de Lyon est élevée, Lyon et Villeurbanne rassemblant 57 % des salariés du secteur en 1998 (INSEE Rhône-Alpes, 1998). Si toutes les activités y sont représentées, Lyon excelle dans la publicité, les études de marchés et les sondages, tandis que Villeurbanne brille plutôt par ses nombreuses sociétés de services informatiques, ses cabinets d’architectes et ses bureaux d’ingénierie et de contrôle. Deux pôles tertiaires secondaires se dégagent également dans l’agglomération : le premier à l’Ouest, très développé (plus de 1 000 salariés par commune le long de l’autoroute A6 vers Paris, avec des profils de quasi mono activité) en forte croissance et regroupant les activités les plus nobles (conseil et assistance aux entreprises, services bancaires) ; le second à l’Est, plus spécialisé dans les services opérationnels et la logistique (commerce et tertiaire industriel). Ici, les seuls points forts dans les activités de conseil et d’assistance proviennent d’entreprises isolées, le plus souvent liées à de grands groupes industriels (ancien centre de recherche de RP Industrialisation à Décines-Charpieu).

Le tertiaire supérieur au sens plus large (banques, assurances, immobilier, services marchands aux entreprises, santé et administration générale) voit sa centralité se renforcer à mesure qu’il se développe dans l’agglomération, malgré une croissance également très soutenue en périphérie : la moitié des nouveaux emplois de ce secteur se concentrent dans un rayon de 5 km autour de l’hyper centre de Lyon. Ceux qui sont situés en périphérie relèvent essentiellement de la santé, de l’administration et des services marchands aux entreprises (notamment de la logistique). Les quartiers centraux de Lyon et Villeurbanne accueillent donc la majeure partie de cette concentration, selon une logique de polarisation intra-urbaine autour des principaux axes desservis par le métro, qui concentrent la plupart des sièges sociaux ou des directions publiques et privées locales : Nord-Sud de la Cité Internationale à Gerland (6ème, 3ème et 7ème arrondissements de Lyon), Ouest-Est de Vaise à Bron et Saint-Priest, en passant par la Guillotière – Saxe-Gambetta, La Part-Dieu, Grange-Blanche et Villeurbanne (9ème, 7ème, 3ème, 8ème arrondissements) (Bonneville, 1993).

En revanche, le tertiaire quotidien (éducation nationale, action sociale, commerce de détail, services aux ménages, hôtels, bars, restaurants, postes et télécommunications, production/distribution d’énergie) est beaucoup plus dépendant de la localisation de la population. Il suit donc globalement les évolutions de localisation des résidences pour ses implantations spatiales, c’est-à-dire une dynamique de diffusion relativement homogène dans l’espace. Ces activités se maintiennent à peu près au même niveau dans le centre de l’agglomération, parallèlement à leur augmentation en périphérie pour suivre les dynamiques de périphisation et de périurbanisation de la population (Boino, 1999).

Enfin, le tertiaire périphérique (commerce de gros, logistique, grandes surfaces commerciales de détail, réparation et commerce automobile), également en fort développement, délaisse massivement la partie centrale de l’agglomération au profit de la périphérie. Ces activités se reportent dans la première couronne (entre 5 et 15 km du centre), essentiellement dans la partie Est de l’agglomération, en liaison avec la réalisation de la Rocade Est depuis 1993 et la mise en œuvre de pôles logistiques à Corbas, à Bron – Saint-Priest et à l’Isle d’Abeau (hors agglomération).

La proximité immédiate des grands axes et nœuds de communication (autoroutes, aéroport et gare TGV) favorise l’accessibilité de ces espaces et donc leur attractivité pour ce secteur d’activités. On les retrouve ainsi dans une bien moindre mesure aux portes Nord-ouest et Nord-Est de l’agglomération (Limonest, Dardilly ; Miribel et Côtière de l’Ain). La ville de Lyon accueille cependant encore plus du tiers des grossistes de l’agglomération, surtout dans le textile et l’habillement (1er arrondissement de Lyon : quartiers des Terreaux et des pentes de la Croix-Rousse). Lyon et son agglomération se positionnent comme la principale porte d’entrée des marchandises pour la distribution dans la région et au delà. L’importance des activités liées aux transports vient en grande partie de la position de carrefour de la métropole, mais également des grands équipements structurants qu’elle abrite (port fluvial, aéroport, TGV, nœud autoroutier).

La métropole lyonnaise polarise ainsi les services généraux et qualifiés pour l’ensemble de la région Rhône-Alpes et une partie du quart Sud-est du pays, malgré une forte concurrence avec les autres grandes villes sur ce secteur (Grenoble, Annecy, mais aussi Genève, Marseille…). Ces dynamiques mettent en lumière l’intégration fonctionnelle du centre et des périphéries urbaines dans une logique de fonctionnement économique et urbain commune (Beckouche, Davezies, 1993), ainsi qu’un certain accroissement du commandement économique exercé depuis la métropole lyonnaise, notamment sur l’entité territoriale, fonctionnelle et économique que constitue la Région Urbaine de Lyon (voir 2ème partie).

Notes
5.

Le périmètre d’étude d’un rayon de 45 km autour de Lyon correspond à la zone où est obtenue l’égalité comptable entre les emplois et les actifs.

6.

Indice de spécificité = poids du secteur dans la zone / poids du secteur en Rhône-Alpes. Un indice supérieur à 1 indique une spécialisation de la zone dans ce secteur d’activité.