2- Contingence historique et sociopolitique des représentations territoriales

Si les représentations territoriales sont fortement déterminées par les jeux d’échelle et s’inscrivent dans des contextes variables selon le niveau spatial considéré, elles sont également fortement conditionnées par le contexte socio-historique et politique qui voit leur formation. De manière certes un peu simpliste, on peut ainsi avancer qu’à chaque époque ou période, correspond un ensemble de représentations territoriales plus ou moins stables et pérennes dans le temps, et plus ou moins partagées par l’ensemble de la société.

Non seulement le contexte historique du moment influe sur ces représentations et est potentiellement susceptible de les faire évoluer, mais la position des différents groupes sociaux et leurs interrelations jouent également sur la nature et le contenu de ces représentations. A chaque époque correspondent des représentations territoriales spécifiques, résultant de la compilation des représentations propres à chaque groupe social. De la même façon, à chaque groupe social correspond une certaine vision du territoire.

Les représentations du territoire ne sont ainsi pas forcément les mêmes selon les types d’acteurs susceptibles de produire l’information territoriale et d’abonder à la description du système productif lyonnais, selon qu’ils sont en situation de production directe de l’information économique locale pour préparer la décision et l’orientation des actions économiques, ou qu’ils sont en situation de production de l’information dans une démarche scientifique, d’expertise ou de recherche, pour le compte des autorités locales et de la préparation de la décision, ou encore pour la connaissance scientifique fondamentale. Ainsi, l’analyse du système productif lyonnais que nous présentons (voir supra) souffre de quelques limites, essentiellement liées à la nature des sources documentaires mobilisées.

En effet, beaucoup de ces études et documents de référence, utilisés pour informer la description qui se veut malgré tout objective, peuvent être qualifiés de « partisans », c’est-à-dire comme présentant un parti pris plus ou moins prononcé et explicite en faveur du développement économique de l’agglomération lyonnaise, eu égard à leurs producteurs et au contexte de leur production (observation en vue de préparer l’action et la décision, ou au contraire et plus rarement, recherche fondamentale désintéressée). Dans ces conditions, il est relativement difficile de distinguer ce qui relève du constat objectif d’une réalité économique et productive territorialisée, de ce qui relève de la volonté politique d’accentuer certains traits et caractéristiques du système productif local, dans une optique stratégique de développement économique.

De la même façon, la vision du développement économique et des logiques de compétitivité exacerbée qui s’imposent aux territoires, partagée par les principaux acteurs de la régulation économique territoriale, reflète une certaine conception politique et économique de la finalité de l’action publique locale, largement déterminée par une forme de parti pris idéologique (voir infra).

La manière dont est appréhendé le territoire économique lyonnais est également intimement liée aux représentations qu’ont les décideurs politiques et les experts du fonctionnement du système économique capitaliste dans son ensemble, et de l’insertion du système productif local dans le système mondial. Les grands déterminants et autres tendances générales déjà évoquées que sont la métropolisation, la polarisation et la concentration des activités économiques dans les territoires ayant une valeur assurantiel pour les firmes (i.e. les grandes villes), la tertiarisation des systèmes productifs, l’internationalisation des échanges, la montée des logiques de concurrence entre les territoires, ainsi que la déréglementation et le libéralisme croissants, la montée du chômage et la persistance de la crise économique, sont autant de facteurs qui conditionnent fortement la façon dont la réalité économique du territoire local est appréhendé par les élites et experts en charge de sa gestion (voir infra, Section 1).

Ces représentations du territoire local ne sont pas pour autant figées et immuables, elles évoluent au gré des transformations qui animent le système capitaliste d’ensemble. De ce point de vue, il semble donc intéressant d’aborder la genèse et la construction de la politique économique dans la métropole lyonnaise dans une perspective de temps assez long, de l’ordre du demi-siècle, afin de saisir les mutations du contexte général et leurs répercussions au niveau du territoire d’étude. En effet, la perception du territoire économique lyonnais est sensiblement différente durant les années de croissance de celle qui domine depuis la survenue de la crise. De la même façon, cette perspective historique est susceptible de fournir des clés de compréhension à l’analyse, concernant les évolutions internes au territoire, et notamment les changements survenus dans l’inscription spatiale et les caractéristiques structurelles du système productif lyonnais. « Tout nouvel aménagement, toute reconversion économique passe nécessairement par la prise en compte des spécificités territoriales développées dans un autre contexte économique » (Le Berre, 1993, p.608).

Ainsi, si le système productif local constitue un référentiel évident de la politique économique déployée sur le territoire lyonnais depuis les années 1970, défini à partir d’une certaine vision du monde et de la réalité économique du moment, il est également l’objet de transformations plus ou moins profondes, qui entrent en résonance avec les évolutions du système économique global. Cette politique publique locale et les conditions de son apparition sur le territoire lyonnais sont de la sorte aussi fortement déterminées par le contexte économique de la crise qu’elles ne le sont par les politiques spatiales de régulation déployées par les autorités étatiques à l’échelle de la métropole lyonnaise durant les années de croissance : « A chaque époque ses maux urbains, mais les remèdes sont difficiles à administrer, puisqu’une partie des problèmes actuels résultent de l’activité économique et de l’action publique passée » (Demazière, 2000, p.2).

Ce constat nous amène à privilégier une approche historique de la régulation économique territoriale dans l’agglomération lyonnaise, afin de saisir de manière plus profonde et complète les référentiels territoriaux, économiques et politiques qui déterminent en grande partie les choix d’orientation et de mise en œuvre opérés dans la période récente.