1- Les politiques publiques locales de développement économique

A. J. Scott pointe le rôle des institutions administratives locales dans le développement économique, les nombreux impacts potentiels des politiques urbaines sur l’économie urbaine, notamment à travers le recours à la planification urbaine (Scott, 1992, in Benko et Lipietz). « Parmi les structures institutionnelles spécifiques à l’agglomération, la planification urbaine a une importance particulière, car elle fournit des moyens collectifs de gouvernance au travers desquels les multiples effondrements et dislocations dans le système urbain sont aplanis, et le fonctionnement continu du système assuré » (Scott, 1992).

L’intervention des pouvoirs locaux dans le domaine de la régulation économique est légitimée en France par les lois de décentralisation, mais elle s’inscrit cependant dans un cadre juridique strictement borné (Falzon, 1996) : les aides directes comme les primes à la création d’entreprise ou d’emplois sont de la seule compétence de l’Etat et des régions, mais peuvent être éventuellement complétées par les départements et les communes, ainsi que par les structures de coopération intercommunale bénéficiant du transfert de la compétence de développement économique de la part des municipalités membres. En revanche, les aides indirectes, sous la forme de conditions avantageuses de location ou d’acquisition de biens fonciers et immobiliers, ou encore de garanties d’emprunts, sont autorisées pour les communes et les établissements intercommunaux ayant opté pour l’exercice de la compétence économique.

Ce cadre législatif est jugé par beaucoup de responsables publics locaux comme obsolète et trop limitatif. Il contribue à faire de l’intervention économique des collectivités locales un domaine d’action publique à part, différent des autres champs plus traditionnels comme ceux du logement ou de l’urbanisme, et sans poste budgétaire propre avant les années 1990.

La palette de plus en plus large des compétences des collectivités locales en matière d’intervention économique indirecte, notamment dans les domaines de la planification, de l’urbanisme et de l’aménagement de l’espace, du marketing territorial et de la communication urbaine, de la formation professionnelle et de la mise en relations des acteurs économiques locaux, ou encore de la fiscalité locale, offre toutefois de nombreuses possibilités d’action et de régulation au niveau local. Elle permet en effet aux autorités territoriales, non seulement de favoriser les implantations de firmes et les processus d’innovation technologique ou de création d’entreprises, mais également de développer et de mettre en valeur les ressources spécifiques présentes sur le territoire de l’agglomération (cadre de vie, grands équipements collectifs, spécialisations productives, pôles de compétences…).

Les « externalités de milieu », ressources non marchandes générées par les acteurs locaux et fortement ancrées territorialement (Leriche, 2004), appelées également « spécificités territoriales » (Corolleur, Pecqueur, 1996), viennent ainsi compléter les économies externes d’agglomération et d’urbanisation, plus génériques, moins dépendantes de l’action publique et directement reliées au fonctionnement de la sphère économique locale. « On appelle interventionnisme économique local des politiques qui visent au développement économique local et qui reposent sur une large panoplie d’aides aux entreprises définies par les lois de décentralisation. Mais les politiques de développement économique peuvent être définies de façon beaucoup plus large, englobant la mise en place de certaines infrastructures, (…) mais aussi des actions de promotion et de communication, des actions liées à l’emploi et à la formation, des actions d’organisation du développement local (…) » (Tourjansky-Cabart, 1996).

Les diverses typologies d’actions développées dans le cadre des politiques économiques locales existantes offrent un cadre de référence intéressant pour borner notre champ d’étude de la politique lyonnaise. X. Cauquil (2000) s’appuie notamment sur la notion d’externalité positive (ou économie externe) issu des Sciences économiques, afin de distinguer trois catégories génériques d’interventions destinées à favoriser le développement économique territorial. Cette typologie est bâtie à partir du concept « d’externalité-cible », qui rend compte à la fois de la finalité des actions économiques (être perçues par les entreprises comme des externalités positives) et de l’incidence spatiale de ces actions (échelle territoriale de référence, du local ou global). Ainsi, l’auteur identifie :

  • les externalités-substrat : offre de surfaces équipées, sous la forme de terrains à bâtir ou de locaux d’activités. Ce premier niveau d’action est le plus ancien et le plus utilisé par les acteurs locaux.
  • les externalités-notoriété : valorisation de l’image du territoire et des représentations, communément désignée sous le vocable « marketing urbain ». Ce deuxième niveau est plus récent et correspond à l’adoption de la démarche stratégique et du management de projet par les acteurs en charge du développement économique. Il couvre également les initiatives relevant de la rhétorique de l’innovation et de l’argument technopolitain.
  • Les externalités-connexion : rapprochement (agrégation) et mise en relation (réseau) du territoire local avec d’autres entités voisines (intercommunalité, associations et regroupement à base territoriale) ou distantes (réseaux techniques ou thématiques, réseaux de coopération, de villes…).

Une autres typologie, moins problématisée mais couvrant de manière plus large le champ des actions économiques locales, est proposée par P. Le Galès (1989). Cette dernière offre l’avantage pour l’analyse de prendre en considération, non pas la finalité des actions pour les entreprises ou le référent territorial comme la précédente, mais plutôt le type de compétences mobilisées par les acteurs du développement économique, ainsi que la manière dont ceux-ci déploient les interventions. Elle repose sur cinq grandes catégories d’initiatives :

  • la planification urbaine (urbanisme et aménagement de l’espace),
  • l’assistance aux entreprises (conseils),
  • la promotion et la communication territoriales (marketing urbain),
  • le soutien à la formation et à l’emploi,
  • l’organisation de partenariats entre acteurs publics et privés, appelée aussi création ou coopération institutionnelle (gouvernance).

Parmi les objectifs poursuivis par les autorités lyonnaises, la défense de l’emploi et la lutte contre le chômage occupent une place importante. Elles motivent notamment un large panel d’actions, destinées à attirer et à capter de nouveaux investissements productifs au sens large et l’implantation de nouvelles entreprises dans l’agglomération. Ces interventions sont globalement destinées à aménager la concurrence avec les autres territoires (métropoles européennes, autres grandes villes françaises). L’attractivité économique, l’augmentation des recettes fiscales et le rééquilibrage de la répartition des activités économiques à l’échelle du territoire local sont également des objectifs importants pour les institutions lyonnaises en charge de la conduite de la régulation économique territoriale.

Cette dualité des objectifs de la politique économique locale engendre d’ailleurs une certaine dualité de la référence au territoire, tantôt considéré comme un tout à promouvoir dans sa globalité, tantôt comme une juxtaposition de territoires à mettre en valeur de manière différenciée. De la même façon, deux registres d’action spécifiques et différents peuvent être identifiés à travers les formes de l’intervention publique en faveur du développement économique. D’un côté, l’action économique s’apparente à une démarche commerciale et de marketing, qui consiste à vendre le territoire local auprès des investisseurs économiques tel un produit, de l’autre côté elle s’apparente plutôt à une forme d’action publique plus classique, qui vise à favoriser l’environnement et l’accompagnement des acteurs économiques selon une logique de proximité et de projet territorial qui n’est d’ailleurs pas limitée au champ de l’économique (Demazière, Rivard, 2004).

La politique économique local joue donc sur différents tableaux, mais tous ces leviers ne sont pas maîtrisés de la même façon par le Grand Lyon. Certaines des compétences utilisées pour agir sur l’économie locale sont relativement anciennes (lois de décentralisation), à l’instar de l’aménagement, de la planification et de la gestion de services publics locaux. En revanche, la compétence spécifique de développement économique est beaucoup plus récente et renvoie à des savoir-faire qui sont moins bien maîtrisés par les services techniques de la Communauté urbaine.

Il est alors nécessaire d’envisager la métropole lyonnaise comme un système d’acteurs particulier, territorialisé et organisé autour de la Communauté urbaine de Lyon, dont l’objectif est d’assurer une certaine forme de régulation de l’économie au niveau local, grâce à la mobilisation partenariale des groupes ou institutions susceptibles d’être intéressés par le développement économique local et surtout de pouvoir apporter aux autorités communautaires une capacité d’expertise et d’intervention plus aiguisée dans le domaine de l’économie.

L’émergence de politiques de développement économique local marquerait ainsi l’avènement de nouvelles politiques territoriales, voire territorialisées, caractérisées par des modes d’action inédits déployés par les acteurs locaux :

  • la transversalité et la globalité des politiques, qui tendent à prendre en compte toutes les dimensions locales des problèmes à traiter ;
  • la démarche partenariale, associant les différents acteurs concernés par ces problèmes locaux ;
  • la proximité de la demande et la différenciation en conséquence de l’action ;
  • l’évaluation des dispositifs.

Ce sont notamment ces aspects problématiques appartenant au corpus d’hypothèses soulevées pour la caractérisation du processus de territorialisation de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise que nous souhaitons vérifier et analyser plus en détails dans la suite du développement (voir infra, 3ème Partie).