Pour P. Le Galès (1999), la mise en évidence des liens entre économie et politique s’inscrit dans une approche visant à éclairer la crise de l’Etat-providence, à suggérer des voies de sortie de crise, vers un nouveau régime susceptible de stabiliser l’évolution du capitalisme : elle rejoint ainsi directement les travaux développés par l’Ecole de la Régulation, dont certains portent précisément sur les systèmes locaux de régulation économique et sociopolitique. Nous avons déjà évoqué la dimension territoriale de la régulation et les formes locales de régulation (partielles) de l’économie, qui passent par le marché (échanges, concurrence/émulation, sous-traitance), par la réciprocité (proximité géographique, coopérations, partenariats), mais également par l’organisation politique au niveau local.
Cette dernière forme nous intéresse tout particulièrement dans l’analyse du cas lyonnais, car elle fonde l’hypothèse de l’émergence d’une régulation locale (ou territoriale) de l’économie dans la métropole lyonnaise, concrétisée par la politique économique que conduisent la Communauté urbaine de Lyon et ses partenaires sur le territoire de l’agglomération, c’est-à-dire à l’échelle du système productif local. Les sociologues italiens ont mis en évidence le rôle croissant des structures politiques locales et de certaines structures de représentation des intérêts économiques dans les dynamiques de régulation économique locale observées dans les districts industriels et autres systèmes productifs locaux, ce rôle étant notamment exercé par le biais de l’action publique et collective.
L’influence et le rôle d’accompagnement du gouvernement local sur le développement économique territorial sont en effet souvent liés aux institutions et organismes qui représentent les intérêts économiques locaux (syndicats salariés et patronaux, organismes consulaires, associations, …). Les formes de régulation territoriale de l’économie conjuguent ainsi des aspects politiques, institutionnels – c’est-à-dire non marchands et de l’ordre du sociopolitique – et des aspects plus ou moins marchands liés aux relations économiques entre les entreprises locales (marchés, réciprocité).
Selon P. Le Galès (1999), l’approche politique de la régulation permet de rendre compte de la perte du pouvoir de contrôle de l’Etat sur le fonctionnement de l’économie, au gré d’une recomposition des rôles et des découpages institutionnels classiques de la régulation entre l’Etat, le marché et la société civile, s’opérant au profit des niveaux territoriaux intermédiaires (Union européenne en tête), et plus particulièrement des territoires infranationaux, dont font partie les villes. Les nouveaux modes de gouvernance issus de l’évolution des formes de régulation sont ainsi dominés par la fragmentation institutionnelle et mettent en scène le jeu des groupes sociaux, des intérêts, des entreprises au niveau des territoires. Cette démarche offre une clé de compréhension de l’articulation des différents types de régulation sur différents types de territoires ; elle nous permet d’appuyer notre analyse du cas lyonnais sur le corpus théorique issu des sciences politiques et de la sociologie des organisations.
Cette approche des territoires urbains et locaux par la régulation politique entre donc particulièrement en résonance avec celle que l’Ecole de la Régulation développe dans le champ de l’économie, à propos des sociétés capitalistes nationales. L’analyse de leur régulation économique et politique par le territoire nécessite alors, de fait, une approche pluridisciplinaire : la géographie et l’aménagement convoquent ainsi à la fois les sciences économiques et les sciences politiques, selon une conception socio-historique, afin de saisir les logiques de territorialisation de la régulation économique locale qui sont à l’œuvre dans la métropole lyonnaise depuis la survenue de la crise économique au début des années 1970.
La grille d’analyse développée pour saisir les rapports entre économie et territoire (voir supra, Section 1) rejoint la grille d’analyse esquissée à travers la notion de gouvernance, grâce à la mise en évidence du lien existant entre le déclin de la régulation opérée au niveau étatique et l’exacerbation de la concurrence économique, politique et culturelle entre les territoires, et notamment entre les plus grandes villes. Les logiques de concurrence tendent en effet à réguler, non seulement les relations entre les territoires urbains, mais également les relations entre les villes et le marché, entre les villes et l’Etat, ainsi qu’entre les différents acteurs et groupes impliqués dans le développement économique au niveau local. Cette situation concurrentielle conduit à l’émergence de stratégies et d’initiatives locales de développement dans les villes, fondées sur le modèle de la « coopétion » 21 (création de réseaux, renforcement des innovations et des niveaux territoriaux intermédiaires, jeux de positionnement stratégique au sein du système d’acteurs).
De la même manière que les économistes pointent l’inégalité des chances des territoires et des villes face aux enjeux de la concurrence économique et des nouveaux modèles de développement ancrés dans le territoire (voir supra, Section 1), les politistes pointent aussi l’inégalité des ressources et capacités d’action entre ces mêmes territoires ou villes, ainsi qu’entre les acteurs de la régulation territoriale : seuls les plus grands, les mieux dotés en ressources financières, en pouvoirs, en organisations des intérêts et en acteurs, sont susceptibles de « tirer leur épingle » de ce jeu économique et politique fortement concurrentiel.
Le problème d’une métropole comme Lyon face aux enjeux et contraintes de la régulation économique et politique est donc d’abord d’arriver à gérer en interaction la nouvelle répartition des pouvoirs, des compétences et des moyens entre le niveau local, l’Etat et l’Europe, et les processus de globalisation, qui accompagnent l’avènement de nouvelles formes concurrentielles de développement économique, plaçant le territoire local et ses attributs socio-productifs spécifiques au centre des dynamiques de croissance. Ensuite, le défi à relever pour le gouvernement local est plus interne au territoire local : il s’agit de réguler le dissensus politique, résultant de la pluralité d’acteurs concernés par la régulation économique et de la fragmentation institutionnelle croissante.
Barbarisme issu de la compression des termes « coopération » et « compétition », qui sont les nouveaux paradigmes de la gestion publique locale (Bouinot, Bermils, 1995).