1- Les apports de la notion de gouvernance…

Selon l’approche développée par P. Le Galès, la notion de gouvernance est intimement liée à celle de régulation, car elle permet de « rendre compte de la multiplication de formes différentes d’enracinement et de régulation de l’économie dans les pays capitalistes » (Le Galès, 2003, p.30). La régulation est ici définie selon trois dimensions : le mode de coordination de diverses activités, ou de relations entre acteurs ; l’allocation de ressources en lien avec ces activités ou ces acteurs ; la structuration des conflits (prévention, résolution). La régulation est donc liée à l’existence de « relations relativement stabilisées entre des acteurs, des groupes sociaux, qui permettent la répartition de ressources selon les normes et les règles explicites ou implicites » (Le Galès, 2003, p.30).

Il est alors possible d’identifier plusieurs formes idéales typiques de la régulation, correspondant aux mécanismes de régulation articulés dans des régimes de gouvernance, parmi lesquelles figurent, entre autres : la régulation par le marché, la régulation étatique (hiérarchique ou politique, par l’Etat et/ou les grandes organisations privées), la régulation par la coopération et/ou la réciprocité (échange social ou politique, au sein de réseaux, de communautés, d’associations…).

La seconde forme idéale-typique de régulation, politique et hiérarchique par le biais de l’Etat, est privilégiée par les travaux de la sociologie de la gouvernance, qui portent essentiellement sur l’économie. Ces recherches mettent notamment en scène les systèmes productifs locaux, ce qui rejoint nos préoccupations d’analyse du cas lyonnais. Elles présentent en outre l’intérêt de pointer la dimension politique de la régulation, qui est « profondément et historiquement constitutive des villes européennes » (Le Galès, 2003, p.31). Elles permettent enfin de définir la gouvernance « comme un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions, pour atteindre des buts discutés et définis collectivement. La gouvernance renvoie alors à l’ensemble d’institutions, de réseaux, de directives, de réglementations, de normes, d’usages politiques et sociaux, d’acteurs publics et privés qui contribuent à la stabilité d’une société et d’un régime politique, à son orientation, à la capacité de diriger, à la capacité de fournir des services et à assurer sa légitimité » (Le Galès, 2003, pp.31-32).

Ainsi, pour la sociologie politique (et les Sciences Politiques), est-il possible de mettre en lien la notion de gouvernance avec celle, plus classique, de gouvernement. La gouvernance, pour la sociologie des organisations et des réseaux de politiques publiques, renvoie donc aux formes horizontales d’interaction entre les acteurs, aux interdépendances, aux régularités et aux règles d’interaction et d’échange, à l’autonomie de secteurs et de réseaux par rapport à l’Etat, à la dimension temporelle, aux processus de coordination des acteurs politiques et sociaux, et enfin parfois aux contraintes associées à la décision (Le Galès, 2003). La gouvernance ne remplace pas le gouvernement, elle permet plutôt de mettre en lumière les choix collectifs, les débats et conflits entre groupes, les valeurs dominantes, les intérêts particuliers et l’intérêt général, localisé ou situé (Faure, 1997), les problèmes de légitimité… c’est-à-dire les problèmes relevant de la sphère politique, dans un système de décision fragmenté.

La notion de gouvernance permet ainsi d’appréhender l’évolution des formes de gouvernement, c’est-à-dire des formes d’organisation politique du territoire au niveau local. A une forme étatique et fortement centralisée en France, dont l’apogée se situe certainement dans la période de croissance économique d’après-guerre, succède ainsi une nouvelle forme de gouvernement des villes – entendues comme des territoires urbains –, dont la notion de gouvernance permet de rendre compte. Elle est en effet un moyen potentiel de caractériser les logiques de recomposition du pouvoir monopoliste de l’Etat et leurs implications pour les territoires locaux, notamment pour les villes comme Lyon.

Pour la sociologie politique, la gouvernance correspond à « un processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts propres discutés et définis collectivement dans des environnements fragmentés, incertains » (Le Galès, 1999, p.225). La gouvernance urbaine (ou territoriale) renvoie quant à elle à la « capacité à intégrer, à donner forme aux intérêts locaux, aux organisations, groupes sociaux, et d’autre part, en termes de capacité à les représenter à l’extérieur, à développer des stratégies plus ou moins unifiées en relation avec le marché, l’Etat, les autres villes et autres niveaux de gouvernement. Cette acceptation du terme renvoie à ce qui se passe au-delà d’une organisation, à savoir la capacité à organiser l’action collective, à construire des coalitions et des partenariats orientés vers des buts spécifiques » (Le Galès, 1999, p.227).

La gouvernance urbaine présente ainsi deux dimensions complémentaires des logiques d’intégration des acteurs locaux dans l’action collective, l’une externe et l’autre interne. Enfin, le caractère plus ou moins territorialisé du mode de gouvernance, c’est-à-dire sa dépendance relative vis-à-vis de formes de régulation extérieures au territoire local, ainsi que la capacité d’action collective et les objectifs stratégiques définis dans ce cadre constituent également des dimensions problématiques de la gouvernance, intéressantes pour l’analyse.

La sociologie de la gouvernance permet donc de réfléchir aux articulations entre les différents modes de régulation de la société, et notamment d’identifier les évolutions de la régulation sociale et politique. Nous recourrons à la notion de gouvernance comme grille de lecture, outil et moyen d’analyse de la régulation économique opérée au niveau local, celui des territoires infranationaux et plus particulièrement des villes. La métropole lyonnaise s’inscrit alors naturellement dans le champ d’analyse, comme un territoire urbain particulier, un système productif local d’un point de vue économique, mais aussi une scène de gouvernance et de régulation d’un point de vue politique, concrétisée par un système d’action collective localisé, territorialisé, organisé de manière à exercer une certaine forme de régulation économique au niveau local.

L’usage de la notion de gouvernance pour analyser des phénomènes politiques de régulation économique à l’échelle du territoire de l’agglomération lyonnaise nécessite cependant de justifier l’existence même de l’unité de ce niveau d’analyse et d’expliciter son statut de niveau intermédiaire de régulation, d’identifier et de caractériser les groupes, les acteurs, les institutions et leurs interactions, qui permettent le fonctionnement de cette unité d’analyse, et enfin de repérer plus globalement les lieux de la dynamique institutionnelle et économique, qui déterminent l’évolution conjointe du territoire, observé comme un système productif localisé, et du système économique d’ensemble (Saillard, 2002).