Deuxième partie :
La régulation économique sous domination étatique
(1950-1980)

Cette partie couvre la période historique des Trente Glorieuses, précédant la phase de territorialisation de la politique de régulation économique dans l’agglomération lyonnaise. Elle revêt une importance particulière par rapport à notre analyse du processus d’ancrage de la politique économique au niveau local, dans la mesure où elle permet de comprendre la manière dont s’organise l’interventionnisme économique public en France depuis la fin de la seconde guerre mondiale, ainsi que la manière dont celui-ci évolue avec le changement de contexte d’ensemble qui s’opère à partir du basculement de l’économie mondiale dans un régime de crise au cours des années 1970.

Ce modèle d’action publique dans le champ de l’économie, très dirigiste et fortement marqué par la domination politique et technique des services centraux de l’Etat, sert en effet de principal point de référence aux autorités publiques locales dans leur manière de conduire la politique économique territoriale durant la période suivante, qualifiée de flexibiliste et hyperconcurrentielle. Il agit à la fois comme un élément de justification de leur volonté d’autonomie politique d’intervention et de conquête d’un rôle à part entière en matière de définition et de pilotage de la régulation économique au niveau local, et comme un exemple d’organisation des relations au sein du système d’acteurs lyonnais, notamment entre le pouvoir politique et les acteurs économiques locaux.

C’est notamment durant cette période de croissance économique intense que sont conçues et organisées les modalités de mise en œuvre de l’intervention économique sur le territoire national par l’Etat, à travers la mise en place des outils de gestion de l’urbanisme, de l’aménagement spatial et de la planification urbaine qui servent à la régulation économique territoriale (voir infra, Section 1). La politique économique de l’Etat se décline selon deux niveaux scalaires, qui correspondent chacun un type d’intervention publique mobilisant des moyens spécifiques. Au niveau national, l’action est assez directe et conduite grâce à l’utilisation de leviers financiers et a-spatiaux, tandis qu’au niveau local l’action est surtout indirecte et passe essentiellement par le recours à l’aménagement de l’espace. Globalement cette politique apporte un encadrement étroit et un accompagnement très dirigiste à la croissance, selon une logique de modernisation économique, d’expansion industrielle et de rattrapage de la province par rapport à Paris.

Cette phase voit également une certaine mise au pas du système d’acteurs local par rapport à la toute puissance du pouvoir politique et technique central, qui passe entre autres par le développement de l’expertise étatique au niveau local et par la création de la Communauté urbaine de Lyon. L’établissement public de coopération intercommunale est expressément créé par les autorités étatiques pour faciliter la mise en œuvre de la politique économique nationale sur le territoire local. Il est ainsi d’abord conçu comme un moyen organisationnel de gestion de l’aménagement et de l’équipement de l’agglomération lyonnaise, mais pas encore comme un véritable lieu de pouvoir politique et de commandement en matière de régulation économique territoriale (voir infra, Section 2).

Enfin, La période de croissance économique des Trente Glorieuses donne à voir le lien très fort existant entre le fonctionnement du système économique d’ensemble selon une logique fordiste (voir supra, 1ère Partie, Section 1) et l’organisation de la politique économique au niveau national. Celle-ci est non seulement très centralisée, mais aussi dominée par le principe de l’économie mixte, qui repose sur une alliance étroite entre les acteurs économiques et les pouvoirs publics, voire sur leur étroite imbrication et sur une certaine intégration de leurs intérêts respectifs au niveau national. L’intérêt des entreprises est alors en grande partie confondu avec l’intérêt général du pays, porté par les pouvoirs publics étatiques.

Ce modèle est toutefois remis en question avec la survenue de la crise économique au début des années 1970, conduisant à une évolution importante de la manière dont est conçue et pilotée la régulation économique territoriale. L’entrée en crise du mode de régulation fordiste entraîne une nécessaire adaptation de l’action publique en faveur du développement aux nouvelles logiques de fonctionnement de l’économie, fondées sur la recherche de la proximité pour lutter contre une concurrence mondialisée.

Cet événement est lui aussi capital pour comprendre la territorialisation de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise : il permet en effet aux acteurs locaux, notamment économiques, de revendiquer le rôle de pilote et d’acteur central de la politique économique locale face au constat d’impuissance des autorités étatiques dans la gestion centralisé du développement économique territorial. Ils sont porteurs d’une nouvelle vision de la régulation économique, plus endogène et ancrée dans le territoire local, ainsi que d’une grande capacité d’expertise dans le champ de l’économie, qu’ils imposent d’autant plus facilement aux pouvoirs publics centraux et locaux que le nouveau contexte concurrentiel et flexible les place en position de force par rapport à la rigidité structurelle de la technocratie publique (voir infra, Section 3).