Une planification déconnectée des enjeux territoriaux

Dans le dispositif très centralisé de la planification à la française, le territoire n’assure qu’un rôle de réceptacle, de simple support spatial pour la réalisation des objectifs nationaux de développement et d’expansion économique, particulièrement au cours des années 1950 qui restent dominées par l’enjeu de la remise à niveau des structures productives. Les trois premiers Plans sont en effet dominés par l’objectif de la reconstruction des bases économiques et productives du pays. La dimension territoriale de la régulation économique est globalement absente de ces premiers programmes de politique économique, qui n’ont qu’une déclinaison nationale unique, à l’échelle de la France dans son ensemble.

Le premier Plan « Monnet » (1947-1952) est centré sur le double objectif de modernisation et d’équipement économiques. Il vise à reconstituer les industries de base afin d’atteindre le niveau de production d’avant la crise 1929, en redonnant à la France des moyens de production adéquats. Il suggère notamment des actions spécifiques dans la sidérurgie, la mécanique et le textile (regroupement des établissements, concentration et spécialisation productives afin d’optimiser les économies d’échelles potentielles) (Jenny, Weber, 1974). Il est particulièrement directif dans l’orientation des ressources et du crédit, et ambitieux quant à ses objectifs de production industrielle, qui sont rapidement et largement atteints.

Le deuxième Plan (1953-1957) est également axé sur l’augmentation de la production, l’amélioration de la qualité des produits et de la rentabilité, dans une optique de libéralisation des échanges (ouverture du marché commun européen après le Traité de Rome de 1957). Le principe du développement de l’industrie et des équipements à l’échelle nationale est encore au cœur du dispositif. Il encourage à la décentralisation industrielle de Paris vers les régions de province riches en main d’œuvre. Celui-ci inscrit en outre le principe de la spécialisation des entreprises au rang de moyen de réalisation des objectifs du Plan, comme un remède permettant de pallier la trop grande différenciation des activités des entreprises traditionnelles françaises et leur faible productivité qui en découle (Jenny, Weber, 1974).

Le lancement du troisième Plan (1958-1961) coïncide avec deux évènements majeurs dans l’évolution de la politique économique française : le début de la Communauté Economique Européenne et l’instauration de la Cinquième République. Cependant, il reprend et poursuit la ligne de conduite directrice des deux premiers Plans concernant les structures productives nationales, en incitant au regroupement des entreprises et à la spécialisation des unités productives. Il prône toutefois une plus grande ouverture de l’économie nationale à la concurrence extérieure et s’oriente vers la réalisation des équipements collectifs sur le territoire, afin d’améliorer l’environnement et la compétitivité des entreprises françaises dans le nouveau contexte concurrentiel européen. Son but est également de préparer le plein emploi de l’importante cohorte de jeunes issus du baby-boom d’après-guerre, en permettant le renouvellement des structures de formation professionnelle à l’échelle nationale.

Les trois premiers Plans nationaux de modernisation et d’équipement ont donc des objectifs essentiellement économiques et de portée nationale, concernant les différentes branches d’activités considérées comme des moteurs pour le développement économique de la France : reconstitution des grands équipements publics et des industries de base conditionnant la reconstruction du pays, développement des industries de transformation, modernisation de l’agriculture, effort de développement du secteur de la construction, décentralisation industrielle… Ils complètent, sans se confondre avec elles, les orientations définies dans le cadre des premiers plans de développement économique et social en matière d’aménagement du territoire. Le territoire national constitue la référence spatiale unique des programmes économiques.