L’intégration des logiques spatiales dans la régulation économique

A partir du 4ème Plan (1962-1965), l’accent est mis sur l’enjeu de la compétitivité de l’économie française, exposée à la concurrence internationale à l’échelle européenne et mondiale, et sur la nécessité qui en découle d’adapter les structures de l’appareil productif national. Il s’agit de privilégier toujours plus les logiques de concentration, de modernisation et d’innovation industrielles, mais aussi d’améliorer de façon significative l’environnement des entreprises pour faciliter la réalisation de ces objectifs et augmenter les externalités positives.

Le renforcement de la position compétitive de l’économie nationale nécessite en effet la constitution et/ou la consolidation d’un petit nombre d’entreprises et de groupes de dimension internationale, capables d’affronter la concurrence des grands leaders étrangers (voir infra). La modernisation, la spécialisation et le développement de la sous-traitance doivent renforcer l’intégration des petites et moyennes entreprises (PME) dans le système productif national aux côtés des grandes firmes, et leur permettre de participer au nouveau marché commun européen en s’adaptant aux enjeux de la concurrence internationale (Jenny, Weber, 1974). Les capacités d’intervention de l’Etat dans la réorganisation des structures productives sont assez importantes à l’échelle nationale (soutien aux branches d’activités industrielles, aides financières aux entreprises…).

Mais la question des économies externes potentiellement mobilisables par les firmes sur le territoire français est également directement soulevée par le nouvel objectif de compétitivité économique et par la nécessité d’encourager les entreprises à participer au processus de développement et de modernisation national. Le Plan visant l’expansion économique, la modernisation des structures et le développement des investissements, mais aussi une meilleure répartition des fruits de la croissance sur le territoire national et l’amélioration de l’environnement des entreprises, justifie pleinement l’intégration de la politique d’aménagement du territoire et de la politique d’expansion économique au sein d’un même programme de développement économique du territoire national.

Toutefois, les capacités d’intervention de l’Etat au niveau local sont beaucoup plus limitées qu’au niveau national, et n’ont qu’une influence indirecte sur les dynamiques de développement, de concentration et de modernisation industrielles. Elles passent essentiellement par le développement du volet spatial de l’intervention économique publique : planification territoriale, aménagement de zones industrialo-portaires adaptées aux besoins de la grande industrie pétrochimique et sidérurgique, aménagement de centres directionnels pour accueillir le redéploiement des sièges sociaux et des activités financières, intensification de la production de zones industrielles pour faciliter le desserrement et la modernisation des PME traditionnelles à la périphérie des grandes villes, accélération du rythme de réalisation des grands équipements collectifs (aéroports, ports, marchés de gros) et des infrastructures de communication (autoroutes, liaisons ferroviaires et fluviales, câbles et téléphone) (Limouzin, 1988).

L’aménagement du territoire et l’action régionale deviennent donc des volets très importants de la politique économique française, constitutifs du système de la planification incitative dans la deuxième moitié des années 1960. La politique d’aménagement du territoire est intégrée organiquement au volet régionalisé de la planification économique, parallèlement à un intense processus de création institutionnelle au niveau étatique (voir infra). La politique des métropoles d’équilibre s’inscrit dans ce dispositif volontaire de l’Etat, qui vise à la fois le renforcement de la compétitivité de l’économie nationale grâce à l’amélioration de l’environnement spatial des entreprises (aménagement, urbanisme, équipements, infrastructures) et une meilleure répartition de la croissance et du développement économique sur le territoire (réduction de la centralisation économique parisienne au profit des principales grandes villes de province) 24 .

Le mouvement d’ouverture de la régulation économique publique à la dimension spatiale se poursuit et se consolide avec le 5ème Plan (1966-1970). L’horizon temporel de la planification économique est allongé au-delà du quadriennal (plans quinquennaux), afin de permettre un meilleur couplage entre les objectifs économiques et les enjeux propres à la planification spatiale. Les équipements collectifs à caractère productif (autoroutes, laboratoires de recherche, infrastructures de télécommunication, équipements et aménagements urbains) figurent parmi les moyens prioritaires de mise en œuvre la politique industrielle, à côté des investissements productifs (Dufourt, 1976).

L’aménagement du territoire prend ainsi une place importante dans la mise en application de la politique économique étatique au cours des années 1960. Cette situation confère un rôle de premier ordre aux outils et moyens d’intervention publique dans le champ de l’économie dévolus au niveau local, et donc aux acteurs politiques et économiques locaux (voir infra).

Notes
24.

Les huit métropoles d’équilibre sont : Lyon – Saint Etienne –Grenoble, Bordeaux, Marseille – Aix-en-Provence – Delta du Rhône, Metz – Nancy - Thionville, Lille – Roubaix – Tourcoing, Strasbourg, Toulouse, Nantes – Saint Nazaire (Laborie, Langumier, De Roo, 1985).