Par le biais des commissions de modernisation du Plan régies selon le principe de concertation et d’élaboration collective affiché par la planification française durant cette période, les pouvoirs publics centraux (essentiellement le CGP) privilégient certaines catégories socioprofessionnelles, davantage disposées à travailler avec eux – c’est-à-dire le patronat et les classes dirigeantes– au détriment d’une représentation reflétant plus justement les grands équilibres existants au sein de la société française (quasi-absence des ouvriers, agriculteurs, employés…). Ils tendent à tenir dans un état de sous représentation chronique les organisations syndicales et tous ceux qui, de manière générale, défendent des projets de développement dans lesquels la croissance économique adopte d’autres finalités que celle de la logique des forces du marché et de la concentration économique capitaliste, soutenue par une partie du patronat français (Bouchut, 1976).
Le Plan sert ainsi de lieu de formation pour le nouveau patronat industriel émergent, qu’il façonne en imposant le Marché Commun et en planifiant, concentrant et restructurant l’industrie et l’économie française dans sa globalité, de l’agriculture au secteur tertiaire (Bunel, Saglio, 1979). Cette frange « moderne » du patronat tire ses origines de la 2nde révolution industrielle et de la diversification de l’économie industrielle qui en découle (électricité, chimie, métaux non ferreux, automobile…), portées par une nouvelle génération d’entrepreneurs formés techniquement et scientifiquement dans les grandes écoles d’ingénieurs du pays (L. Renault, A. Citroën, M. Berliet…).
La planification économique, imposée par le gouvernement de Vichy puis renforcée sous la 4ème et la 5ème Républiques, contribue donc à faire accepter les principes de la régulation keynésienne par le patronat, qui apprend ainsi à coopérer avec l’administration. Toutefois et à l’inverse, le système du Plan et de la concertation permet aussi de faire progresser l’idée d’une dérégulation libérale au sein de la technostructure étatique, grâce à l’influence idéologique très forte qu’exercent les membres du patronat sur leurs interlocuteurs appartenant à la puissance publique.
A partir du milieu des années 1960, une convergence d’intérêts s’opère entre les objectifs politiques et économiques de l’Etat et le nouveau positionnement de la frange dominante du patronat français, chantre de la croissance et de l’exportation, du développement, de l’efficacité et de la prévision rationnelle. L’impératif d’industrialisation porté par l’Etat pousse le patronat à intervenir plus directement dans la régulation économique, pour s’assurer de la réalisation des objectifs politiques et économiques fixés. Le patronat français ne pouvant plus s’opposer à une intervention active et durable de l’Etat dans les affaires économiques, il s’adapte donc aux circonstances et rend positive la nouvelle situation, selon un pragmatisme politique érigé en principe majeur d’action.
Cependant, même au sein du nouveau patronat, le principe d’une régulation économique concertée entre patronat et pouvoirs publics est rejeté ; faute de ne pouvoir véritablement l’empêcher, le CNPF opte alors pour l’engagement dans le combat politique et l’affirmation de son statut d’acteur, non seulement dominant, mais dirigeant de l’économie, afin d’imposer le non interventionnisme économique à l’Etat (Bunel, Saglio, 1979). Le patronat s’engage dans une lutte idéologique et dans la confrontation directe avec l’opinion publique, renvoyant au passé l’attitude traditionnelle consistant à éviter les prises de position politiques. A partir des années 1970, il loue publiquement et médiatiquement la concurrence, l’investissement créateur, le profit, la concentration et l’internationalisation, c’est-à-dire le retour à un libéralisme économique total, tout en restant, paradoxalement, le principal interlocuteur de l’Etat sur les questions économiques (Bunel, Saglio, 1979).
Ce virage politique du CNPF s’opère avec le renouvellement des dirigeants en 1965 28 , et s’exprime à travers la « Charte pour une économie libérale » 29 , qui annonce un profond changement de la politique patronale et de la conception de son rôle dans la société française. L’Etat, loin de rejeter cette position, l’encourage en l’instrumentant à ses fins (De Calan, 1965). Le pouvoir politique s’en remet donc explicitement aux acteurs économiques pour conduire la politique de régulation économique au niveau national, en reconnaissant la primauté des intérêts économiques dans l’orientation des choix politiques au niveau national.
Cette interrelation constante entre acteurs économiques et pouvoir politique à l’échelle du pays permet en outre aux autorités centrales de modifier progressivement leur point de vue sur la manière de conduire la politique économique nationale à partir des années 1970. L’entrée en crise du système économique fordiste entraîne une profonde évolution des référentiels de l’action publique économique. Elle se concrétise par l’adoption par le gouvernement français des logiques libérales soutenues par le patronat, et par la remise en cause des méthodes dirigistes et des moyens d’actions très centralisés utilisés par les services de l’Etat pour influencer les dynamiques de développement.
G. Villiers cède la présidence à P. Huvelin.
Ces rédacteurs (A. Roux et P. Huvelin notamment) constituent la « relève » au sein des dirigeants du CNPF.