Les leviers financiers et réglementaires

Durant les années 1950 et au début des années 1960, la mise en application de la politique économique sur le territoire national s’appuie essentiellement et de façon prioritaire sur des dispositions financières incitatives, développées sous la forme de primes de l’Etat à la localisation et à la modernisation structurelle pour les entreprises, et d’aides publiques en faveur des initiatives locales d’aménagement de l’espace destinées à favoriser la dynamique de croissance. Des outils juridiques et des procédures opérationnelles complètent ce dispositif financier incitatif, qui confère un rôle directif très important au niveau étatique, mais également aux collectivités locales et aux organismes patronaux locaux dans la mise en œuvre concrète des objectifs de la politique économique nationale à l’échelle des territoires locaux.

La loi du 14 août 1954 autorise le gouvernement à mettre en œuvre un programme d’équilibre financier, d’expansion économique et de progrès social. Une première série de décrets d’application 30 crée les fonds d’adaptation et de reconversion de l’industrie, de reclassement de la main d’œuvre et de décentralisation industrielle, permettant d’octroyer des aides financières aux entreprises (prêts, bonifications d’intérêt, voire garantie de l’Etat). Ils étendent également aux opérations de décentralisation industrielle des dispositions de réduction fiscale prévue depuis 1953 pour les regroupements ou les reconversions d’entreprises. Un second train de décrets 31 rend possible et facilite la construction de bâtiments industriels par les collectivités locales, les établissements publics et les sociétés d’économie mixte (SEM). Plus précisément, il permet de confier à un établissement public (structure intercommunale, organisme consulaire comme une CCI…) ou à une SEM la réalisation des opérations foncières, immobilières ou d’équipement inhérentes à l’aménagement des zones industrielles. Enfin, le décret du 11 décembre 1954 reconnaît officiellement les comités d’expansion économique, organismes d’étude et de réflexion à compétence régionale ou départementale spontanément constitués, comme c’est notamment le cas dans la région lyonnaise (voir infra).

En 1955, un nouveau décret subordonne les créations et extensions d’installations industrielles, puis des établissements scientifiques et techniques relevant de l’Etat, en région parisienne à un agrément spécial délivré par le ministre de la construction. La loi du 2 avril 1955 accorde au gouvernement de nouveaux pouvoirs spéciaux en matière économique, sociale et fiscale. Ses décrets d’application 32 consacrent le principe de la régionalisation du Plan en renforçant les moyens mis à la disposition de la politique d’expansion régionale : regroupement des fonds créés en 1954 au sein du Fonds de Développement Economique et Social (FDES) ; institution d’une prime spéciale d’équipement en faveur des créations, extensions et conversions d’entreprises industrielles dans les zones et localités dont la situation est jugée critique ; création des Sociétés de Développement Régional (SDR), chargées de concourir au financement de l’industrialisation régionale et d’orienter les investissements de l’épargne privée vers les PME régionales ; élargissement des exonérations fiscales aux créations nouvelles d’entreprises dans les zones en difficulté.

La mise en œuvre et la déclinaison territoriale du Plan s’appuient ainsi sur une batterie de mesures financières et réglementaires, qui organisent progressivement le dispositif de régulation économique à l’articulation entre niveaux national et régional. Elles constituent l’amorce d’une politique d’aménagement du territoire au service du développement économique national, au moment où le développement industriel de la France s’intensifie et que les investissements privés rattrapent puis remplacent, dans une certaine mesure seulement, les efforts financiers très importants consentis par la puissance publique depuis la Libération. Les dépenses publiques d’investissement soutenues par le Plan Marshall passent en effet de plus de 50 % à la fin des années 1940 à moins de 35 % à la fin des années 1950, les entreprises privées augmentant leur participation à la modernisation des structures économiques françaises sous l’effet de la croissance et de l’ouverture internationale (Ferrandon, 2004).

Ces mesures sont amendées ou complétées dans les années qui suivent, particulièrement après l’instauration de la Cinquième République et le retour du Général De Gaulle aux affaires nationales. L’intervention du FDES devient de plus en plus exceptionnelle à mesure que les entreprises sont orientées vers les établissements de crédit spécialisés soutenus par le gouvernement (Crédit National, Crédit Hôtelier, Industriel et Commercial…). La réédition de l’ouvrage de J.F. Gravier (1958) plaide également en faveur du renforcement du dispositif de contrôle des implantations d’activités en région parisienne, élargi aux locaux de bureaux en 1958 et complété par un système de primes au départ et de redevances à la construction en 1960. Les aides financières destinées à favoriser la décentralisation industrielle, l’adaptation, la reconversion ou la modernisation des structures productives mises en place au milieu des années 1950 (mesures fiscales d’exonération surtout) sont complétées par des dispositifs relevant de l’aménagement du territoire à partir du milieu des années 1960.

Les leviers financiers et réglementaires utilisés par l’Etat permettent à la puissance publique d’être directement impliquée dans le contrôle de la localisation des activités économiques sur le territoire (Joye, 2002). Les aides fiscales, après leur essor sectoriel durant les années 1950, sont massivement mises au service de l’aménagement du territoire au cours des années 1960. Les exonérations d’impôts accordées aux entreprises permettent d’orienter le développement et la répartition de la croissance dans l’espace national, ainsi qu’à l’échelle des ensembles urbains et régionaux locaux. L’Etat accorde directement les aides et subventions par le biais de sa politique budgétaire d’investissement ou par le biais d’organismes financiers dont il est actionnaire, comme les SDR créées en 1955 et les Sociétés Immobilières pour le Commerce et l’Industrie (SICOMI) créées en 1967, qui participent aux opérations d’aménagement pour faciliter la construction ou la location de bâtiments à usage professionnel par les pouvoirs publics.

Les volets financier, juridique et réglementaire de la régulation économique au niveau national sont par ailleurs progressivement appuyés par des outils et procédures qui donnent au niveau local un rôle important dans la mise en œuvre du développement économique et de l’aménagement de la croissance sur le territoire. Ce rôle passe essentiellement par le biais de l’aménagement spatial et notamment de la réalisation de zones industrielles adaptées aux besoins des entreprises et le développement d’un vaste dispositif de planification territoriale au niveau local.

Notes
30.

14 septembre 1954.

31.

10 novembre 1954.

32.

30 juin 1955.