La consolidation du dispositif de régulation économique territoriale par la LOF

La profonde mutation économique que connaît la France au cours des années 1960 se répercute avec force au niveau des villes, conduisant l’Etat et le Parlement à se préoccuper des politiques urbaines, notamment à travers la mise en place de la politique des métropoles d’équilibre. L’objectif central est de maîtriser les nouveaux enjeux territoriaux de la régulation économique au niveau local, notamment par le biais de la planification et de l’aménagement spatial : décentralisation industrielle, modernisation des structures productives, développement des activités tertiaires, changements dans le système de production urbaine, etc.

La promulgation de la Loi d’Orientation Foncière (LOF) en 1967 s’inscrit dans la continuité des textes précédents concernant la planification urbaine et les procédures opérationnelles. Elle parachève l’édifice institutionnel construit au service de la politique d’aménagement du territoire. Elle marque l’aboutissement du processus de centralisation de la planification territoriale et urbaine amorcé sous le régime de Vichy. Plus qu’une simple innovation institutionnelle, ce nouveau dispositif permet d’avaliser au niveau parlementaire l’intervention du gouvernement dans un domaine qui tend à prendre une place très importante dans l’ensemble de l’action publique, notamment économique, touchant de surcroît de très près les élus locaux. Elle procède ainsi plus d’une nécessité politique de normalisation et d’encadrement de l’action des communes dans un contexte de développement de la coopération intercommunale, que d’une simple nécessité technique de création de nouveaux instruments pour traiter les problèmes d’industrialisation et d’urbanisation du pays (Veltz, 1978).

Il s’agit pour l’Etat d’accroître sa capacité d’orientation, de contrôle et d’intervention sur l’aménagement spatial des principales agglomérations urbaines du pays, c’est-à-dire de pouvoir notamment plus facilement imposer les intérêts du grand capital industriel face aux contraintes de la petite propriété localisée. Plus concrètement, l’objectif est de résorber la pénurie quantitative de terrains disponibles pour l’urbanisation et l’industrialisation au niveau local, en limitant les tendances spéculatives liées à la propriété foncière (Veltz, 1978). Le Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme (SDAU) définit à l’échelle intercommunale les grandes orientations du zonage ainsi que la programmation des grands équipements collectifs. Il s’impose au Plan d’Occupation des Sols (POS) défini à l’échelle communale, qui fixe le droit du sol pour favoriser la réalisation des objectifs du SDAU, selon une logique hiérarchique permettant d’orienter au mieux les investissements privés sur la base d’une programmation publique des équipements.

Un nouvel outil opérationnel accompagne le dispositif : la Zone d’Aménagement Concertée (ZAC), procédure effaçant le POS sur son périmètre. Cet instrument providentiel pour les investisseurs importants (Etat, grands groupes de construction, firmes industrielles ou tertiaires) permet de juxtaposer deux formes d’urbanisme au sein d’un même territoire local et de reconnaître la priorité et la primauté de l’un sur l’autre. L’articulation du POS et de la ZAC fait en effet échapper les grandes opérations de promotion capitaliste aux risques du POS, en faisant de ce dernier la première étape de la ZAC. Le POS s’applique ainsi pour les petits investisseurs (particuliers, PME-PMI…), tandis que la ZAC constitue le « périmètre de libre expression du grand capital » (Veltz, 1978, p.82), et de la puissance publique accessoirement. Son usage (pléthorique) est déterminant dans la mise en œuvre des grandes orientations de la politique nationale d’aménagement du territoire, particulièrement dans les grandes agglomérations urbaines comme Lyon visées par la politique des métropoles d’équilibre.

Cette réforme du droit de l’urbanisme et de la planification urbaine s’inscrit donc dans le prolongement d’un vaste mouvement de création institutionnelle au niveau central, destiné à mettre la politique d’aménagement du territoire en cohérence avec la politique économique de l’Etat. Des avantages économiques techniques et politiques en sont également attendus : limiter le gel des terrains et la logique d’interdiction réglementaire contenu dans les plans précédents, afin de libérer les capacités d’initiative des investisseurs privés tout en maîtrisant les manœuvres spéculatives ; faciliter la mise en application des conceptions et des objectifs de la politique économique de l’Etat au niveau local, en confiant la réalisation des nouveaux documents à la technocratie étatique (Veltz, 1978).

Le volet spatial de la régulation économique prend ainsi une place très importante dans le système d’intervention publique en faveur de l’économie au cours des années 1960, essentiellement parce qu’il constitue l’un des principaux moyens concrets de la mise en application des objectifs et principes du Plan à l’échelle des territoires locaux et des grandes agglomérations urbaines comme Lyon, en appui des dispositions financières incitatives de l’Etat destinées aux entreprises et des stratégies de redéploiement spatial des grands groupes nationalisés ou privés, soutenues par le pouvoir central. Bien qu’il soit de nature indirecte et qu’il ne permet qu’une intervention à la marge du fonctionnement de l’économie, il tend à devenir le moyen d’action dominant de la régulation publique sur le territoire, en raison du monopole exercé par l’Etat sur les autres formes de l’intervention économique.