Les impératifs tertiaire et industriel du SDAM, au service de la politique économique

L’élaboration du Schéma Directeur de l’Aire Métropolitaine (SDAM) de 1967 à 1970 s’inscrit dans le cadre des travaux sur l’armature urbaine et le développement urbain du GCPU, qui prolonge les réflexions territoriales initiées par le PADOG dans la région lyonnaise (OREAM, 1971). Elle est confiée à l’OREAM, nouvel organisme public émanant des services centraux intéressés par les questions d’urbanisme, d’aménagement et de développement économique 42 , qui permet à l’Etat de limiter assez fortement le pouvoir décisionnel et les capacités d’initiative des autorités locales dans le domaine des études de planification territoriale (voir infra, Section 2). Le SDAM marque l’apparition de la dimension tertiaire et directionnelle pour l’agglomération lyonnaise en matière de fonctions économiques, et l’ouverture du potentiel industriel local aux nouveaux enjeux du grand capital en cours d’internationalisation.

Trois disciplines sont mobilisées pour l’établissement du SDAM (OREAM, 1971) : l’économie, afin de favoriser le développement de la production et des échanges autour d’un pôle économique puissant, équipé de structures permettant le progrès et la croissance des activités ; l’aménagement du territoire, afin de rechercher les moyens d’inflexion des tendances naturelles vers un meilleur équilibre dans la répartition des hommes et des activités dans l’espace ; l’urbanisme, afin de concevoir un cadre approprié à l’avènement d’une civilisation urbaine moderne. L’horizon temporel étudié est assez lointain, l’an 2000, pour permettre le déroulement des grandes opérations d’aménagement projetées à l’échelle de la métropole, dans les domaines du transport, de l’habitat et de l’économie.

La stratégie de développement économique et territorial de la métropole lyonnaise s’organise autour du croisement de deux options de croissance. L’une est adaptée à une agglomération tertiaire de haut niveau tournée vers son centre et dont le développement se fait sur l’agglomération centrale (c’est-à-dire essentiellement sur la commune de Lyon et ses périphéries immédiates). L’autre est adaptée à une vaste région urbaine et industrielle, recherchant à l’extérieur de l’agglomération existante les espaces industriels nécessaires à son expansion. Il s’agit pour les concepteurs du schéma de réaliser un passage progressif de la première option de croissance, qui s’inscrit dans la continuité du développement « naturel » de l’agglomération lyonnaise (et des documents de planification précédents), vers la seconde option de croissance, qui privilégie une action volontaire et dirigée de décentralisation des activités économiques de l’agglomération lyonnaise (et éventuellement de la capitale) vers quelques pôles localisés dans l’espace naturel d’expansion de l’agglomération, concrétisé par une nouvelle entité spatiale et fonctionnelle : la Région Urbaine de Lyon (voir infra).

La seconde option stratégique de développement métropolitain est majoritairement soutenue par les services de l’Etat, les représentants du gouvernement central et les grands groupes industriels du pays, tandis que la première reflète plutôt le souhait des acteurs économiques lyonnais (organismes patronaux locaux). Le parti d’aménagement et la stratégie d’organisation spatiale de la croissance retenus apparaissent ainsi comme le fruit d’un compromis entre les volontés de l’Etat central, qui considère l’ensemble lyonnais comme un lieu privilégié de développement de la grande industrie et des fonctions tertiaires de niveau national et international, selon une logique nationale d’aménagement du territoire et de croissance économique, et les préférences des forces économiques locales, qui s’orientent plus vers l’expansion des activités industrielles existantes au sein de l’agglomération et la modernisation d’un appareil tertiaire local à rayonnement régional.

Le SDAM propose ainsi de faire de la métropole lyonnaise un territoire capable de concurrencer Paris sur le plan de l’attractivité économique, industrielle ou tertiaire, en lui conférant ou en encourageant le développement de certains attributs propres aux grandes métropoles : « vie intellectuelle intense et pôle de recherche, point de convergence des informations économiques, présence d’un tissu industriel diversifié et d’une gamme étendue de services » (OREAM, 1971). La dimension européenne fonde également les ambitions proposées pour Lyon, sur la base des exemples fournis par les autres métropoles économiques européennes non capitales. Le contenu économique du SDAM reflète donc l’intégration des référentiels, enjeux et intérêts portés par les grands groupes industriels ou tertiaires nationaux et internationaux dans les documents de planification territoriale.

Toutefois, le SDAM ne remet pas en question la très forte concentration parisienne en matière de services rares aux entreprises en France. Il prend seulement acte de cette fatalité et préconise la mise à disposition par l’agglomération lyonnaise de services de qualité métropolitaine pour la région, susceptibles de créer de nouveaux besoins et une utilisation croissante des services lyonnais, et aptes à freiner le recours systématique des entreprises à Paris. Il mentionne notamment le domaine de la recherche et de la formation supérieure, qui peut bénéficier de la proximité du milieu industriel solide et organisé de longue date, des universités et des possibilités de liaisons rapides avec l’extérieur qu’offrent Lyon, ainsi que le domaine encore mal connu à l’époque du traitement de l’information et de la « télé-informatique ». Les autres activités tertiaires de niveau supérieur, comme les conseils en gestion, les conseils juridiques et fiscaux, les agences de publicité, les services de documentation et d’information, l’expertise en matière de droit international, les cabinets spécialisés dans les études de marché, les bureaux de design industriel… essentiellement concentrées dans la région parisienne, sont censés accompagner le développement et la décentralisation de centres de décision économiques dans la métropole lyonnaise.

La puissance publique est censée intervenir activement pour orienter la politique des entreprises en matière d’implantation, en encourageant la décentralisation économique et décisionnelle depuis la capitale et la modernisation des structures productives dans l’agglomération. Le recours possible à des aides directes à la décentralisation industrielle pour provoquer ou accélérer ce développement n’est jugé opérant que dans les zones qui connaissent déjà un certain succès économique et une bonne vitalité des entreprises locales, c’est-à-dire les centres urbains qui constituent la métropole. L’installation de nouvelles entreprises, décentralisées ou non depuis Paris, est ainsi réservée aux pôles économiques existants, en premier lieu l’agglomération lyonnaise.

Le document rappelle cependant la responsabilité première qui incombe aux chefs d’entreprises dans le domaine de l’adaptation de leurs établissements à la mutation générale de l’économie, ainsi qu’en matière d’innovation, de reconversion et d’organisation spatiale (modification des structures de production et de commercialisation, recours à des services rares, création d’organismes de recherche, nouvelles techniques de gestion…). Le SDAM est à l’image du Plan au niveau national, un document essentiellement incitatif et non contraignant.

Les agents économiques privés sont ainsi considérés comme les principaux maîtres de la décision de créer de nouveaux établissements dans la métropole lyonnaise ou de décentraliser leurs activités de production, voire leur centre de décision, depuis Paris. Le rôle des pouvoirs publics se limite à favoriser l’attractivité du territoire local par le biais de la réalisation de grands aménagements structurants et d’équipements, mais aussi à accorder des aides à l’implantation ou au développement des entreprises, qui sont autant de mesures d’incitation à la décentralisation industrielle.

Notes
42.

Ministère de l’Equipement, DATAR.