La Région Urbaine de Lyon : matérialisation territoriale du projet économique de l’Etat

La démarche de planification mise en œuvre par l’OREAM s’inspire de la problématique spatiale et économique développée pour l’agglomération lyonnaise dans les documents précédents, mais elle déplace la réflexion territoriale vers le niveau régional, dans un souci de promotion d’un ensemble métropolitain intégré régionalement. Cette idée est issue de la doctrine de la DATAR (Lavigne, Dost, 1988), qui mise sur le développement des métropoles d’équilibre à partir de 1965. Le périmètre de planification du SDAM est ainsi étendu à la région stéphanoise en 1964 puis à l’agglomération grenobloise en 1969.

Cette juxtaposition pour le moins arbitraire des trois régions urbaines principales de la région Rhône-Alpes au sein d’une même ensemble métropolitain manifeste le caractère technocratique et artificiel de la constitution des métropoles d’équilibre par les services étatiques, censées contrebalancer l’hégémonie économique et urbaine de la région parisienne. Les analyses de prospective statistique réalisées à cette époque annoncent en effet une telle croissance des villes qu’elles doivent finir par ne former plus qu’un seul et même ensemble métropolitain tripolaire. Pourtant, si la réalité du fonctionnement des trois entités urbaines révèle une certaine intégration fonctionnelle et économique pour les agglomérations de Lyon et de Saint-Etienne, les relations que celles-ci entretiennent avec l’agglomération grenobloise sont relativement distendues (SEDES, 1964a et b).

Dans le SDAM, le périmètre lyonnais 43 dépasse largement l’échelle de la seule agglomération lyonnaise. Il correspond à la Région Urbaine de Lyon (RUL), nouvelle entité spatio-fonctionnelle imaginée par les services centraux pour représenter l’aire de développement et d’aménagement du territoire de la métropole lyonnaise. Sa définition relève d’une finalité opérationnelle explicitement économique. La RUL doit en effet concrétiser le déplacement de l’exercice du pouvoir et de l’expertise en matière de développement économique du niveau local vers le niveau régional et métropolitain, sous le contrôle direct de la technocratie étatique via l’OREAM (Poche, Rousier, 1981), au moment où l’Etat enclenche une nouvelle dynamique politique et institutionnelle à l’échelle de l’agglomération lyonnaise (voir infra, Section 2).

La RUL englobe une partie de l’Ain (Dombes, Ambérieu), de l’Isère (Plaine de l’Est lyonnais) et la majeure partie du Rhône, avec les coteaux Est des Monts du lyonnais et le couloir séquano-rhodanien depuis Villefranche au Nord jusqu’à Vienne au Sud. Le développement économique métropolitain de Lyon, en liaison avec la politique nationale d’aménagement du territoire, relève ainsi de la dimension régionale. Il est directement contrôlé par les services de l’Etat et appliqué sur des complexes industriels éloignés de Lyon (voir infra). Les autorités centrales dépossèdent en grande partie les acteurs politiques et économiques locaux du volet décisionnel de la conduite de l’aménagement à vocation économique dans la région lyonnaise, en imposant une nouvelle échelle territoriale de référence et en limitant leur capacité d’influence sur la définition des orientations territoriales du développement économique de la métropole.

Non seulement les nouvelles implantations industrielles projetées par la DATAR et l’OREAM sont en quelque sorte soustraites à la proximité et à l’influence de la ville centre, mais elles introduisent une logique régionale qui dépasse largement le cadre territorial de l’agglomération. Ce choix quelque peu technocratique est cependant légitimé indirectement par les travaux d’expertise menés par le patronat lyonnais dans les années 1950 (Comité d’expansion, 1955) (voir infra, Section 2), qui mettent en évidence l’existence fonctionnelle de la RUL (Labasse, Laferrère, 1966). Cette démarche de connaissance systématique de la région lyonnaise avait débouché sur des conférences d’information entre Lyon et les pôles urbains secondaires de sa périphérie (Villefranche-sur-Saône, Bourgoin, Tarare, Vienne) dans les années 1950, traduisant clairement la volonté des responsables économiques lyonnais d’ouvrir la problématique du développement économique local à une approche territoriale plus vaste, supposée être en meilleure adéquation avec les enjeux économiques et spatiaux du moment.

Le développement économique de la métropole lyonnaise est ainsi conçu par l’Etat, non pas en référence à l’échelle de l’agglomération urbaine stricto sensu, comme c’est notamment le cas pour les zones industrielles « classiques »  réalisées à cette époque par les autorités locales (voir infra), mais en référence à l’échelle métropolitaine et régionale, voire à l’échelle nationale dans les orientations et les choix de contenu arrêtés pour les complexes régionaux : industries lourdes, basiques et « industrialisantes » comme la sidérurgie ou la pétrochimie, censées avoir des effets d’entraînement sur l’ensemble du pays (voir infra). Les activités motrices pour la métropole lyonnaise, créatrices de valeur ajoutée et d’effets d’entraînement sur les autres activités sont en effet exclusivement industrielles : mécanique, construction électrique et électronique, pétrochimie et industries aval, en particulier les industries de textiles synthétiques.

L’Etat entend donc relayer la politique des grandes agglomérations centrée sur une stratégie de freinage et de desserrement industriels - la politique des métropoles d’équilibre mise surtout sur la tertiarisation des économies locales et l’exurbanisation des activités industrielles (Boino, 1999) – en recourrant à un outil territorial dont les limites ont été définies dans un autre contexte. La RUL est ainsi un moyen commode pour court-circuiter les échelons territoriaux existants jugés inadaptés au problème de la gestion spatiale de la croissance économique (communes, département), par l’invention d’une nouvelle territorialité économique et symbolique. La création de la COURLY contribue cependant à faire émerger simultanément l’idée d’une métropole lyonnaise limitée à la proximité immédiate de la Ville de Lyon, correspondant au territoire politique de l’agglomération urbaine. Ces deux échelles de conception de la métropole lyonnaise s’affrontent et se complètent dans la définition des orientations économiques et spatiales du SDAM.

L’intervention de l’Etat est donc déterminante en matière de politique économique pour l’ensemble lyonnais, bien qu’elle soit essentiellement de nature indirecte. Elle s’exprime par la gestion permanente de la représentation territoriale que ses services assurent, par le biais de la conduite de la politique d’aménagement et de planification spatiale. La construction symbolique de la RUL et son imposition dans le système de représentations sociales du territoire économique local révèlent la volonté du gouvernement français et de la technostructure étatique de définir une nouvel espace de coordination, voire d’intervention, différent des échelles de planification spatiale existantes, mais qui permette de développer ses ambitions économiques pour le territoire régional considéré.

Notes
43.

Saint Etienne et Grenoble ont également leur propre schéma au sein du SDAM.