1- Une alliance entre patronat et pouvoirs publics plus nuancée au niveau local

Au niveau local, l’alliance opérée entre l’Etat et les représentants du patronat n’est pas aussi simple qu’à l’échelle nationale. En effet, la mise en application du Plan et de la politique des métropoles d’équilibre dans l’agglomération lyonnaise met en évidence les contradictions de fonds existant au sein du patronat français entre petits et grands patrons, en évoquant de manière insistante les nécessaires fusions et concentrations ainsi que l’ouverture des frontières, qui sont loin de faire l’unanimité, notamment au niveau local (Bunel, Saglio, 1979). Elle accompagne « la construction d’une politique cohérente et stratégique du grand patronat en prenant des risques que celui-ci ne pouvait pas ouvertement prendre vis-à-vis des petites et moyennes entreprises » (Nizard, 1975), en révélant au passage le clivage croissant entre les intérêts du petit et moyen capital, le plus souvent local, et les intérêts du grand capital national en cours d’internationalisation.

L’impératif de la concentration industrielle prôné par la politique étatique divise en effet le patronat : il y a d’un côté les petites structures industrielles régionales ou locales condamnées par les experts, le CGP et les dirigeants économiques (cadres supérieurs, technocrates, managers issus des grandes écoles) au nom de la compétitivité, de la concurrence, de l’investissement et d’une nouvelle rationalité, et de l’autre le nouveau patronat lié aux grandes entreprises, acquis à la cause de la modernisation économique de la France (CGP, 1975). Ce clivage au sein du patronat s’exprime au niveau national, notamment après 1968 (conflits entre CNPF et CGPME 49 ), mais c’est surtout au niveau local qu’il se cristallise fortement. Le petit patronat régional et local, qui s’estime seul porteur de l’efficacité et du libéralisme économiques, considère comme néfaste la concurrence imposée par les grands groupes industriels nationalisés ou privés, et peine à envisager son avenir au sein d’un vaste système de sous-traitance dominé par les grandes firmes. Elles sont pourtant, pour l’Etat et les tenants de la technocratie politique et économique, les seules structures capables de porter le développement et l’expansion économique de la région lyonnaise comme du pays, dans un contexte mondial marqué par l’internationalisation et la libéralisation des échanges.

En effet, l’Etat se place résolument au service des grands groupes capitalistes nationaux et internationaux, selon une logique de soutien financier à la concentration économique, à la constitution de monopoles et à la spécialisation productive, c’est-à-dire concrètement très peu au service des intérêts du petit et moyen capital local ou régional. Les orientations définies par le gouvernement français tendent même plutôt à le faire disparaître, au nom du développement, de la modernisation et de l’indépendance économique du pays. Les plans successifs accordent une place très importante à la réorganisation, par voie de concentration et de spécialisation, des structures industrielles du pays, face à l’augmentation de la concurrence internationale et à la nécessité d’adapter l’appareil productif national aux nouvelles donnes du marché économique aux niveaux européen et mondial(Jenny, Weber, 1974). Le renforcement de la position compétitive de l’industrie nationale nécessite la constitution et la consolidation d’un petit nombre d’entreprises et de groupes de taille internationale, seuls capables d’affronter les grands leaders étrangers sur les marchés mondiaux, au risque de sacrifier les petites et moyennes entreprises locales, majoritaires dans l’agglomération lyonnaise.

Le second impératif de spécialisation et de modernisation des structures productives porté par la politique économique de l’Etat poursuit le même objectif que la concentration industrielle : celui d’assurer la compétitivité des entreprises nationales. La modernisation de l’important tissu de PME et PMI français, qui constitue selon les avis la force ou la faiblesse principale de l’économie nationale, doit en effet conduire à une plus grande spécialisation des entreprises et permettre le développement de la sous-traitance, seule à même de maintenir les liens existant entre les grandes firmes et les petites et moyennes structures. La spécialisation productive est alors perçue comme l’unique moyen pour les nombreuses petites entreprises traditionnelles encore majoritairement artisanales de participer au marché européen en construction.

Cette modernisation des structures productives de base passe en grande partie par une nouvelle organisation interne et productive des entreprises, par le développement de nouvelles activités de services pour accompagner les volets amont et aval de leur processus de production (conception, commercialisation, services après-vente, gestion, marketing…), mais aussi souvent par de nouveaux locaux d’activités, mieux adaptés à leur nouveau mode de fonctionnement. A la différence de la concentration industrielle qui s’opère à l’échelle nationale, l’impératif de spécialisation et de modernisation s’opère ainsi essentiellement à l’échelon local, c’est-à-dire au niveau de l’agglomération lyonnaise et du territoire régional qui l’entoure.

Notes
49.

Confédération Général des Petites et Moyennes Entreprises.