L’effort de planification urbaine entrepris au niveau national durant le 4ème Plan (1962-1965) se traduit à l’échelon local par une reprise en main progressive des affaires liées à l’aménagement régional et à l’expansion économique par les services de l’Etat. L’Etat central, bien que déjà très présent dans la conduite des affaires locales en matière de planification urbaine, laisse une assez grande latitude d’analyse et d’orientation aux acteurs locaux dans l’élaboration des documents d’urbanisme avant 1963 (Gaudin, 2002). Les premiers plans de l’agglomération sont ainsi réalisés par les architectes - urbanistes de la Ville de Lyon et de l’Etat 100 , qui travaillent essentiellement dans les faits au service du pouvoir politique lyonnais et des intérêts économiques locaux, mais assez peu au service de la politique étatique encore mal définie, tant en matière de zonage industriel que de conception intégrée des politiques d’aménagement et de développement économique.
Le patronat local et ses structures de représentation traditionnelles collaborent à l’élaboration du PGDU et font partie de l’organisme consultatif du PADOG, qui regroupe les principales autorités régionales et départementales, et les personnalités lyonnaises susceptibles de s’intéresser à l’organisation du territoire. Ils peuvent donc influencer les études menées par l’organe permanent (MM. Delfante et Meyer) et le Comité directeur du PADOG 101 , même si le véritable centre de responsabilité institutionnelle et de prise de décision en matière de planification urbaine locale se situe déjà au niveau ministériel.
Le lancement des études d’armature urbaine régionale et de la procédure des Plans de Modernisation et d’Equipement dans les grandes agglomérations du pays change profondément la donne en matière de planification locale. Les experts universitaires, dont le lyonnais J. Labasse qui entretient par ailleurs des liens étroits avec les responsables patronaux locaux, contribuent directement à alimenter le nouveau projet territorial de l’Etat fondé sur le développement métropolitain des principales villes, en fournissant aux fonctionnaires centraux « à la fois les outils méthodologiques et conceptuels, mais aussi la garantie scientifique dont ils ont besoin » (Brun, Paix, 2002, Hautreux, Lecourt, Rochefort, 1963 ; Hautreux, Rochefort, 1964). La technocratie étatique s’appuie ainsi sur l’expertise des géographes en matière d’économie régionale pour déployer la nouvelle politique d’aménagement du territoire au service du développement économique national.
L’Etat dispose du monopole de l’expertise territoriale, du fait de la présence de ses personnels et d’universitaires contractuels au sein des différentes structures d’études implantées au niveau local (Groupes Etudes et Planification – GEP, OREAM, Agences d’urbanisme, etc.) (Thoenig, 1987). Dès le début du 5ème Plan, l’Etat, par l’entremise de la DATAR, décide en effet la mise en place dans la région lyonnaise d’un organisme d’études décentralisé, dont la mission est de définir au sein d’un schéma directeur de l’aire métropolitaine considérée, le cadre d’aménagement des éléments qui la composent et de préciser les moyens à mettre en œuvre en vue d’un développement concerté. L’OREAM Lyon – Saint-Etienne créée en 1966 est chargée d’élaborer pour 1968 un schéma d’aménagement (le SDAM, publié en 1970), s’appuyant sur les études déjà réalisées sur la région lyonnaise et prévoyant les dispositions souhaitées à long terme pour l’ensemble urbain de la métropole, ainsi que les moyens administratifs et financiers nécessaires pour atteindre les objectifs.
L’OREAM et des bureaux d’études spécialisés rattachés au réseau CDC-SCET (CERAU, BETURE) ou au Ministère de l’Equipement, organes d’études et de consultation de l’Etat, sont implantés à Lyon auprès des services ministériels déconcentrés (DDE), et des services de planification urbaine municipaux (ATURVIL) puis communautaires (ATURCO) chargés des études territoriales (voir infra). L’objectif poursuivi à travers ce dispositif territorialisé est de permettre des relations permanentes, quoique fortement hiérarchisées, entre les membres du GPE (DDE), les responsables administratifs, les élus, les animateurs du secteur privé et les divers organismes ou associations intéressés de l’agglomération lyonnaise. Il conduit à placer de fait les collectivités locales et les acteurs économiques lyonnais dans une situation d’infériorité, voire de domination politique et technique absolue.
Le travail d’étude et de planification engagé par l’OREAM s’inscrit dans la continuité de celui engagé par les acteurs locaux, mais il confère un rôle central aux ingénieurs de Ponts et Chaussées et aux experts universitaires parisiens (sociologues, économistes, géographes), au détriment des représentants des intérêts économiques et industriels locaux. Les forces vives de la région – notamment les entreprises -, les élus, les administrations, les collectivités locales, les organisations professionnelles et syndicales, la presse… sont aussi conviés par les services centraux à participer activement à la mise en œuvre du projet et au travail de réflexion qu’il nécessite. Le Conseil de Coordination de l’OREAM associe ainsi aux travaux de du Groupe Permanent d’Etudes les représentants des collectivités locales, des délégués de la Commission de Développement Economique Régionale (CODER) parmi lesquels figurent des représentants du patronat lyonnais. Toutefois, cette concertation s’effectue au sein d’un organe n’ayant qu’un rôle de consultation et d’avis sur les orientations définies par le Groupe Permanent d’Etudes, placé sous le contrôle administratif du Comité de Direction 102 .
La composition de l’équipe pluridisciplinaire du Groupe Permanent d’Etudes est sur ce point très éclairante : les universitaires qui en font partie ne sont pas choisis au sein de la communauté scientifique locale, mis à part le géographe lyonnais J. Pelletier, recruté comme conseiller technique. Des personnalités comme J. Labasse ou M. Laferrère, pourtant fortement impliqués dans les travaux du Comité d’expansion et au fait des enjeux de développement de la métropole (voir supra), notamment dans le champ de l’économie industrielle et tertiaire grâce à leurs activités universitaires de recherche (Labasse, Laferrère, 1966 ; Labasse, Rochefort, 1964), sont cantonnés à une simple participation au Comité de coordination du SDAM, qui n’a aucun pouvoir décisionnel direct sur le contenu et les orientations du schéma.
La conception de l’aménagement et du développement économique de la métropole lyonnaise est ainsi confiée exclusivement à la technocratie étatique. Le rôle moteur du milieu industriel dans le processus de développement économique du territoire est pourtant mis en avant, mais les principes d’action préconisés par le SDAM ne mentionnent pas leur mobilisation ou leur possible implication dans le système de régulation économique organisé au niveau local. L’intervention en faveur de l’économie est concentrée sur la planification spatiale, la production de surfaces d’activités, l’équipement et l’aménagement du territoire, et l’attribution d’aides de l’Etat aux entreprises. Elle laisse de côté la capacité d’initiative et de participation des organismes patronaux locaux au dispositif de régulation économique, plus propice à une meilleure prise en compte des les besoins spécifiques des entreprises lyonnaises et à l’intégration de problématiques sectorielles et qualitatives dans l’intervention publique.
L’association formelle des forces vives locales au processus d’élaboration du schéma par l’Etat est ainsi plus proche d’une tentative de légitimation de la récupération des travaux d’expertise réalisés depuis 10 ans par le Comité d’expansion lyonnais, opérée par les services centraux étatiques, que de la mise en œuvre d’une véritable concertation, telle qu’elle est présentée dans les documents officiels de l’OREAM. Même si les bureaux d’études spécialisés parisiens réalisent quelques études complémentaires pour aider à l’élaboration du nouveau schéma à partir du milieu des années 1960, la majeure partie des informations et des analyses sur le tissu économique local, la répartition de la main d’œuvre et l’organisation spatiale des activités, mobilisées pour la préparation du schéma, est en effet issue des travaux réalisés par le Comité d’expansion lyonnais depuis les années 1950.
Il s’agit donc d’une éviction des forces économiques locales de la scène décisionnelle et d’expertise, auxquelles les services de l’Etat préfèrent substituer leurs propres techniciens et ingénieurs. Ceux-ci s’avèrent être en effet plus en phase avec les intérêts économiques portés par les grands groupes industriels nationaux et internationaux, fortement relayés par les orientations de la politique nationale, que les experts lyonnais rattachés au système d’acteurs local (ATURVIL, Comité d’expansion lyonnais). Les Comités d’Intérêt Locaux s’engagent en faveur de la promotion de Lyon comme métropole européenne aux côtés de la Jeune Chambre Economique (Biarez, Kukawka, 1986), mais leur engagement n’a d’incidence que sur l’orientation de la politique urbaine lyonnaise au niveau local, pas sur la définition du SDAM.
Respectivement C. Delfante (Atelier d’urbanisme de la Ville de Lyon) et J. Meyer (Ministère de la Reconstruction et du Logement).
Préfets des 3 départements concernés et directeurs départementaux du Ministère de la Construction.
Préfets et représentants ministériels.