Avantages et limites politiques de la COURLY

L. Pradel, Maire de Lyon depuis 1957, approuve et favorise la création de la Communauté urbaine imposée par le pouvoir central, contrairement à son homologue marseillais (Linossier, 2003), car elle renforce le pouvoir de la ville centre au sein de l’agglomération urbaine. La nouvelle entité politique et institutionnelle se fonde en effet sur la surreprésentation des deux grandes villes de l’agglomération (Lyon et Villeurbanne), au détriment des petites communes rurales. Elle permet aux édiles lyonnais de renforcer considérablement leur pouvoir politique au niveau local et départemental, en remettant en question l’alliance de fait instaurée entre les élus lyonnais et villeurbannais 105 et ceux, « modérés et ruraux », du Conseil Général du Rhône (CGR) (Lojkine, 1974).

Jusqu’à la création de la COURLY, le CGR est la seule entité institutionnelle et politique qui couvre l’ensemble de l’agglomération, dont la représentation cantonale favorise nettement la population rurale par rapport à la population urbaine du département, pourtant majoritaire. Il constitue alors la principale force d’opposition de principe à l’urbanisation et à l’industrialisation de l’agglomération lyonnaise, souhaitées par les pouvoirs publics centraux comme par les élus des communes urbaines dans le cadre de la réalisation des objectifs du Plan et de la politique des métropoles d’équilibre. Pour le maire de Lyon, la création de la COURLY est donc un moyen opportun de contourner l’inadaptation politique et financière du CGR face à la nouvelle politique d’aménagement industriel et urbain de la région lyonnaise, et d’instaurer une alliance politique d’un nouveau type avec les nouvelles classes moyennes urbaines émergentes, au service des promoteurs et des investisseurs industriels attirés par les grands équipements collectifs de l’agglomération (Lojkine, 1974).

Pour l’Etat, la COURLY est également un outil institutionnel commode pour faciliter l’accueil et l’application de la politique nationale des métropoles d’équilibre dans l’agglomération lyonnaise, sans risquer d’opposition politique de la part des communes rurales. Le mode d’élection de conseillers communautaires 106 et l’extrême centralisation du pouvoir exécutif autour du président de la COURLY et de son bureau (12 vice-présidents) donnent à Lyon, dont le maire est assuré d’avoir la présidence, et à Villeurbanne une majorité confortable pour orienter à leur guise la politique urbaine. Cet avantage politique s’avère décisif, non seulement dans le cadre des efforts de rationalisation des implantations industrielles et de développement des grands équipements collectifs et des infrastructures au sein de l’agglomération, mais également dans le cadre de la tertiarisation de l’économie locale souhaitée par les services de l’Etat, qui s’opère essentiellement sur les deux communes centres, grâce au recours aux procédures opérationnelles de rénovation urbaine et de ZAC.

Les compétences de la COURLY sont très importantes en matière de gestion territoriale, d’aménagement urbain et de production de surfaces d’activités industrielles ou tertiaires. L’EPCI gère entre autres, en délégation et sous contrôle étatique, l’élaboration des plans d’urbanisme (SDAU et POS), la création et l’équipement des ZAC, l’aménagement des ZI, les opérations de rénovation urbaine, les zones d’habitation et le logement HLM, les lycées et collèges, le Marché d’Intérêt National... La COURLY bénéficie de l’autonomie budgétaire et financière, en percevant impôts, taxes et redevances.

Les premiers budgets de la COURLY (1969-1972) traduisent explicitement la volonté du Président L. Pradel de privilégier les dépenses de voirie (régionale et nationale : autoroutes interurbaines) et la construction de nombreux établissements scolaires secondaires. A partir de 1971, ils reflètent également la volonté du Maire de Lyon de poursuivre au travers de la COURLY les orientations définies pour la Ville de Lyon depuis 1965, en matière de voirie (autoroutes urbaines, tunnel de Fourvière, parkings…), d’urbanisme et de restructuration urbaine. Ainsi, « la tentation est grande pour la ville métropole d’opérer sur les communes voisines un transfert de charge à son profit » (Economie & Humanisme, 1977, p.54).

La COURLY est organisée en effet comme un « guichet » permettant une redistribution orientée des crédits mis en commun, et non comme une instance opérant un véritable rééquilibrage du développement sur l’ensemble de son territoire de compétence. L’opération de la Part Dieu capte par exemple une bonne partie des budgets communautaires alloués à la voirie, et la quasi totalité de ceux prévus pour la rénovation urbaine (Lojkine, 1974). La COURLY participe par ailleurs au financement du nouvel aéroport de Satolas, bien qu’il ne soit pas situé sur son territoire, ce qui renforce l’impression d’une politique centrée sur les intérêts économiques et de développement de la commune centre.

Les budgets de la COURLY sont conçus pour financer en priorité les grands équipements collectifs de l’agglomération lyonnaise, mais ils reflètent également la nette orientation de la politique urbaine lyonnaise en faveur du développement économique, au détriment du logement et des équipements socio-éducatifs notamment. Ce choix se matérialise à travers le financement d’infrastructures et de grands équipements collectifs profitant surtout aux intérêts économiques (desserte autoroutière, nouveau centre directionnel de la Part Dieu, aéroport international). Le rôle de la COURLY s’inscrit ainsi de fait dans l’accompagnement et la facilitation de la mise en œuvre de la politique des métropoles d’équilibre de l’Etat dans l’agglomération lyonnaise, c’est-à-dire comme un organisme participant à la régulation économique et territoriale, placé indirectement au service des intérêts du capital industriel et tertiaire et des marchés de la construction. Il est en totale adéquation avec les orientations définies par les documents de planification des services de l’Etat (SDAM de l’OREAM, projets de SDAU) et complémentaire avec le Plan Régional de Développement et d’Equipement Rhône-Alpes.

La coopération intercommunale imposée par le gouvernement central dans l’agglomération lyonnaise entretient de ce point de vue l’illusion d’une autonomisation croissante des pouvoirs municipaux et locaux, mais elle s’inscrit dans les faits dans la poursuite de l’effort de centralisation et de contrôle déployé par l’Etat durant la période de croissance (Economie & Humanisme, 1977, pp.52-55). La COURLY apparaît ainsi comme un outil institutionnel au service de la politique économique et d’aménagement du territoire de l’Etat, dont les responsables politiques optent pour la participation financière à l’accompagnement et à la réalisation des objectifs centraux, sans grande considération pour les intérêts divergents des communes qui la composent.

Les élus de l’opposition communiste issus des communes industrielles et ouvrières de l’Est, comme les élus des petites communes du Nord-ouest de l’agglomération pour d’autres raisons, contestent en effet avec plus ou moins de virulence le « monocratisme » de l’équipe politique à la tête la COURLY, et son asservissement aux intérêts économiques de l’Etat et du grand capital en cours d’internationalisation (Lojkine, 1974). Les premiers reprochent au pouvoir en place de faire la part belle aux intérêts des investisseurs privés, ils dénoncent l’application dans l’agglomération lyonnaise du « capitalisme monopoliste d’Etat » et l’assujettissement des autorités publiques locales et nationales aux intérêts du grand capital, notamment au travers de la réalisation du nouveau quartier d’affaires de la Part Dieu ou de l’élaboration de la politique économique locale au début des années 1970 107 . Ils remettent ainsi en cause la forme et le fond de la politique urbaine. Les seconds, appartenant plutôt à la majorité en exercice, contestent faiblement le contenu et les orientations, mais plutôt la manière de procéder des services communautaires (et de l’Etat accessoirement) : ce sont ainsi plus les structures qui sont mises en cause que les hommes (voir infra, Section 3).

Le Maire de Dardilly se plaint notamment de ne pas avoir suffisamment accès aux instances de décision supérieures et de ne pas pouvoir plus influencer les choix et orientations définies pour le développement économique sa commune (Economie & Humanisme, 1977, pp.13-15). Il pointe le problème de la répartition des activités économiques dans l’agglomération, qui limite sa commune à une fonction résidentielle excessive face à la concentration des activités industrielles dans l’Est lyonnais et des fonctions tertiaires supérieures à Lyon et Villeurbanne. Les petites communes n’ont pas de prise véritable sur les réflexions en matière d’aménagement à l’échelle de l’agglomération ou de la région, du fait de leur non représentation directe au sein du conseil communautaire. Leur poids politique dans le fonctionnement de l’institution intercommunale est très faible ainsi que leur capacité d’influence sur les choix d’orientation du développement économique et spatial de l’agglomération. Elles ne peuvent qu’accéder aux techniciens de la COURLY ou de ses bras exécutants (SERL), qu’elles accusent par ailleurs de confisquer les études et la réalisation des projets de zones d’activités sur leur territoire. Les élus des petites communes, et de l’opposition sur de nombreux dossiers, n’ont ainsi accès qu’au volet technique et opérationnel des projets et de la planification urbaine, ils n’ont pas de prise sur le volet politique et décisionnel.

La COURLY est donc loin de faire l’unanimité dans la classe politique lyonnaise. Elle rencontre des difficultés notables pour apparaître comme une structure favorisant l’autonomisation du pouvoir d’agglomération et ne bénéficie pas de capacités techniques d’intervention très poussées pour élaborer et mettre en œuvre une politique urbaine naissante. Elle doit s’appuyer sur des organismes institutionnels rattachés financièrement ou organiquement à elle, tant pour conduire les tâches relatives à l’élaboration des documents de planification prévus par la LOF ou aux études d’urbanisme, que pour assurer le pilotage opérationnel des procédures d’aménagement (ZI, ZAC, opérations de rénovation urbaine…).

Bien qu’ils soient aussi l’objet de critiques de la part de certains élus locaux et du patronat lyonnais – comme les services de l’Etat chargés d’établir les documents de planification prévus par la LOF (DDE, OREAM) à la même période (voir infra, Section 3) –, l’ATURCO et la SERL s’affirment comme des structures techniques indispensables pour la mise en œuvre de la politique économique et urbaine dans l’agglomération lyonnaise, véritables bras exécutants de la COURLY.

Notes
105.

A l’exception de l’opposition communiste, les socialistes s’étant rangés aux côtés des radicaux herriotistes et de la droite lyonnaise depuis 1945.

106.

Ils sont délégués par les communes membres sur la base d’un représentant pour 15 000 habitants, ce qui contraint les plus petites communes à se regrouper pour être représentées.

107.

D’après le compte rendu du Conseil communautaire présenté dans le Bulletin officiel de la COURLY, octobre, 1972.