La SERL, bras opérationnel des collectivités locales

La Société d’Equipement de la Région Lyonnaise est créée en 1957 pour réaliser, entre autres, l’aménagement et l’équipement des zones industrielles de l’agglomération, pour le compte des collectivités locales. Il s’agit du premier outil mis en place dans l’agglomération lyonnaise par l’Etat pour contribuer à la mise en œuvre, au niveau local, des orientations de la politique économique et d’aménagement du territoire nationale. Cette société d’économie mixte (SEM) est financée par les collectivités locales (CGR, communes de Lyon et Villeurbanne, COURLY à partir de 1969) et par des organismes financiers rattachés au réseau de la CDC ou relevant du secteur privé (organisations professionnelles, organismes bancaires…), qui sont représentés au sein du Conseil d’administration chargé de sa gestion.

Elle bénéficie du même régime juridique que les sociétés anonymes, ce qui lui permet d’échapper en partie à la lourdeur des procédures et des tutelles administratives auxquelles sont assujetties les collectivités locales dans la conduite opérationnelle des aménagements. Par contre, la SERL est soumise au contrôle administratif du gouvernement, qui désigne un commissaire par le biais du préfet pour siéger au conseil d’administration. En contrepartie, la SEM peut toutefois bénéficier d’avantages financiers (concours de la FNAFU, de la CDC et des établissements de crédits spécialisés), fiscaux et administratifs (droit d’expropriation) importants (Faucheux, Saillard, Novel, 1965).

En plus de la souplesse et de la plus grande simplicité de mise en œuvre des politiques urbaines qu’elle apporte aux autorités locales, la SERL facilite la collaboration entre les différents acteurs publics et privés lyonnais intéressés par la création des zones industrielles : communes, COURLY, département, Chambre de Commerce, établissements de crédits, organismes professionnels, entreprises. Cependant, l’inconvénient de la formule de la SEM pour les collectivités locales lyonnaises, notamment pour la COURLY à partir de 1969, est contenu dans son rôle même. La SERL réalise les opérations d’aménagement que lui concède la collectivité publique ; ce faisant, la COURLY se décharge de ses tâches d’animation et d’exécution opérationnelles au bénéfice d’un organisme tiers, dans un domaine – l’aménagement des espaces à vocation économique –, qui exerce une influence de plus en plus décisive sur l’avenir des communes de l’agglomération.

Ce dispositif de sous-traitance opérationnelle instaure en effet une nouvelle distance entre le territoire communal, où s’opèrent les aménagements et les réalisations, et le niveau de portage politique et institutionnel des projets. Il conduit donc la COURLY à être doublement éloignée des problèmes spécifiques des municipalités et des acteurs économiques sur le territoire, d’abord par le truchement de la délégation de compétence et de pouvoir des communes, ensuite par l’entremise de l’intervention de la SERL comme organisme aménageur pour le compte des pouvoirs publics.

Sur le terrain, les élus municipaux, comme les autres acteurs impliqués dans les processus d’aménagement et de zoning industriel (entreprises, organismes patronaux…), n’ont pas comme interlocuteurs privilégiés les services ou les élus communautaires, mais uniquement les techniciens travaillant pour la SERL. Ce paradoxe du recours de la COURLY à un bras exécutant extérieur pour mettre en œuvre la politique économique au niveau local occasionne donc de nombreuses contestations et critiques, tant de la part des élus municipaux que des chefs d’entreprises (voir supra, et infra, Section 3).

L’intervention de la SERL est pourtant primordiale dans l’aménagement des zones industrielles et des zones d’activités tertiaires de l’agglomération lyonnaise. Elle assure en effet la réalisation de la totalité des ZI programmées dans l’agglomération, à l’exception des deux qui sont réalisées par la Chambre de Commerce de Lyon. Elle profite pour ce faire de l’assistance très précieuse des services de la SCET. Cette filiale de la CDC assure une mission d’intérêt général au service de la politique d’aménagement du territoire nationale depuis 1955. Elle est financée par les établissements bancaires et de crédits spécialisés liés à l’Etat (Banque de France, Crédits national et foncier…), pour faciliter l’action des SEM chargées d’aménager et d’équiper les ZI, et occasionnellement pour promouvoir en direct leur création.

Financièrement, elle contribue au fonctionnement de la SERL et lui facilite l’accès aux établissements de crédits. Administrativement, elle assure les liaisons entre les SEM et les services de l’Etat, dont les représentants siègent au conseil d’administration de la SCET. Elle peut ainsi conseiller utilement les pouvoirs publics lyonnais et les techniciens de la SERL quant au choix des opérations à réaliser, à leur localisation ou à leur échelonnement dans le temps, en fonction des objectifs et des inflexions de la politique d’aménagement du territoire et de développement économique au niveau national.

Techniquement et sur le plan de la gestion enfin, la SCET apporte son concours à la SERL pour l’étude et l’élaboration des programmes opérationnels et des projets d’équipements, la détermination des modalités de financement des opérations et l’établissement des dossiers d’emprunt, la passation des marchés, le contrôle de l’exécution des opérations et même pour son fonctionnement. L’organisation et les moyens d’action très importants de la SCET sont ainsi mis au service du travail des SEM locales comme la SERL, qui ne bénéficient pas de moyens humains très conséquents. Ils permettent également à la SERL de limiter ses frais généraux et d’en répercuter le bénéfice sur le prix de vente des terrains aux industriels ou aux investisseurs immobiliers.

L’influence directe de la SCET sur les pratiques de la SERL est particulièrement importante à partir des années 1970. Elle permet notamment de favoriser l’acculturation des techniciens locaux aux nouvelles méthodes stratégiques issues du management des entreprises, qui mettent en particulier l’accent sur le recours au marketing dans la gestion de l’offre de surfaces d’activités industrielles ou tertiaires. Ces démarches de gestion stratégique et commerciale sont également véhiculées par les cabinets d’études affiliées au réseau de la CDC, et visent à faire accepter de manière implicite le choix tertiaire et post-industriel formulé par le gouvernement français au début des années 1970.

Les autorités centrales apportent ainsi leur expertise économique aux organismes aménageurs locaux, face à la multitude des intérêts particuliers privés et des convoitises susceptibles d’être aiguisées par les importants programmes immobiliers et commerciaux prévus dans les métropoles d’équilibre. Elles s’appuient sur la SCET pour diffuser « la bonne parole de l’Etat » auprès des SEM, ainsi que de nouvelles méthodes de conduite des opérations inspirées du management et du marketing (voir infra, Section 3).

En matière d’aménagement de surfaces destinées aux activités tertiaires, l’action de la SERL se développe essentiellement à partir de la fin des 1960, dans le cadre de l’opération de rénovation urbaine de la Part Dieu, puis de celle du Tonkin. La nouvelle capacité d’expertise technique et de promotion économique qu’elle acquiert à cette occasion, grâce à l’assistance active des sociétés spécialisées du réseau SCET-CDC, s’avère décisive dans l’appropriation par les élus locaux et les services techniques des collectivités locales (COURLY, municipalités) des nouvelles méthodes de conduite de projet et d’intervention publique.

La SERL constitue donc à la fois le principal bras exécutant de la COURLY pour les opérations d’aménagement spatial ou la réalisation des grands équipements, et le point de pénétration des démarches de marketing et de promotion commerciale portées par la technocratie étatique dans le système d’action publique local en matière d’aménagement industriel et économique, du fait de son rôle en première ligne sur le front opérationnel de l’agglomération lyonnaise. L’hostilité des organismes patronaux lyonnais, des investisseurs, des promoteurs - constructeurs et de certains élus de banlieue à son égard ne remet donc pas fondamentalement en cause sa compétence technique ni son expertise économique, mais plutôt sa dimension fortement technocratique et son assujettissement aux logiques d’aménagement industriel puis tertiaire prônées par l’Etat central, qui sont également amplement relayées par les responsables politiques de la COURLY au tournant des années 1970.