L’éviction des activités industrielles hors du centre de l’agglomération

Une rénovation urbaine massive accompagne le maintien de quelques quartiers industriels sur les communes centrales de l’agglomération (Lyon et Villeurbanne) à partir de la fin des années 1950. Le très fort besoin en matière de logement et d’équipements publics d’accompagnement lié à l’importante croissance démographique (« baby-boom » de l’après-guerre, rapatriement des populations d’Afrique du nord en 1962, exode rural) qui se manifeste à l’échelle de l’ensemble urbain lyonnais et l’influence marquée des théories fonctionnalistes dans l’aménagement urbain (zonage rationnel des fonctions, aération du tissu urbain…) motivent les pouvoirs publics dans la planification et la conduite d’opérations destinées à renouveler en profondeur le tissu urbain ancien des quartiers centraux de l’agglomération, parallèlement à l’urbanisation de vastes zones en périphérie dans le cadre des ZUP et des ZI.

Au début des années 1960, le Comité d’expansion établit un fichier communal des usines à vendre et des terrains industriels disponibles, calcule les dimensions approximatives des nouvelles implantations industrielles à prévoir, le tout en liaison avec les municipalités, les notaires et les agences immobilières locales. Il recense également les usines mal implantées dans le tissu urbain, présentant des incompatibilités de commodité ou de salubrité avec les zones d’habitation, afin de préparer les opérations de rénovation urbaine et d’anticiper le desserrement industriel de Lyon et Villeurbanne vers les périphéries. Ce travail s’appuie sur le recensement 110 réalisé par le BERU et le SETEC 111 (réseau CDC), auprès des organismes patronaux (GIL, syndicats de branches) et des entreprises locales, destiné à approfondir les connaissances sur les surfaces industrielles existantes et à développer dans l’agglomération lyonnaise.

Les résultats de l’enquête permettent d’établir le diagnostic économique et urbain des différents quartiers concernés par les problèmes de rénovation urbaine et de desserrement industriel. Ces diagnostics servent de base de travail pour la Commission municipale d’urbanisme chargée de la mise en œuvre des opérations et pour les services de l’Etat chargés de l’élaboration des documents de planification, en leur fournissant des éléments de connaissance du tissu productif du centre de l’agglomération.

Gerland est le premier quartier de Lyon à faire l’objet d’un diagnostic économique et urbain. Il met en évidence la vocation d’accueil d’industries moyennes du quartier à préserver, sa faible aptitude à accueillir des activités d’entreposage malgré l’aménagement du port fluvial Edouard Herriot et le développement des installations ferroviaires de la gare de la Guillotière, son faible niveau d’équipement en lignes téléphoniques et le caractère extensible de ses réserves foncières grâce à l’aménagement des berges du Rhône (entre 30 et 70 ha disponibles). La commune de Villeurbanne (notamment l’inadaptation du parcellaire rural en lanières pour les implantations industrielles dans le secteur du Tonkin), le quartier de la Part-Dieu, celui de Vaise et l’ensemble de la Presqu’île de Lyon sont également passés au crible de la modernisation économique et urbaine. Au final, seuls les quartiers de Vaise et de Gerland, ainsi que plusieurs quartiers de Villeurbanne conservent une vocation industrielle affirmée, autour des spécialités productives traditionnelles de Lyon : chimie, pharmacie, textile, mécanique, agro-alimentaire, construction électrique et électronique. Les autres sont voués à une reconversion tertiaire et résidentielle dans le cadre des procédures de rénovation urbaine.

Une étude commandée par le CGP aux bureaux d’études de la CDC pour préparer l’élaboration du SDAM et la tertiarisation de l’agglomération recense les motivations, les besoins, les souhaits et les conditions des entreprises candidates au déplacement dans l’agglomération lyonnaise (OREAM, 1968). Elle montre une forte concentration des volontés de départ dans la ville centre de Lyon (les 2/3), notamment depuis le 3ème arrondissement (30 % des intentions lyonnaises) et de manière moins prononcée depuis les 6ème et 7ème arrondissements (environ 16 %). Ces quartiers correspondent en partie aux opérations de rénovation urbaine engagées depuis la fin des années 1950 dans la ville de Lyon. La teneur urbanistique et fonctionnelle de ces études traduit la volonté des pouvoirs publics de sortir les usines de la ville, de moderniser le tissu économique de l’agglomération, de le rationaliser, de l’ordonner d’un point de vue urbanistique et de combler les vides. Les entrepôts mal entretenus et les nuisances des usines sont désignés comme anachroniques et inadaptés au développement économique et social de la ville et à l’élévation générale du niveau de vie.

Le choix tertiaire pour le tissu central de la métropole est conforme aux orientations définies par les services de l’Etat dans le cadre du SDAM. Il accompagne également la dynamique spontanée de transformation du tissu économique de l’agglomération. Au début des années 1960, Lyon reste profondément marquée par son histoire industrielle et la part des emplois de services dans la population active est encore relativement modeste par rapport aux autres grandes villes françaises ou européennes de taille comparable. Entre 1962 et 1968 cependant, les emplois de services passent du tiers à plus de la moitié de la population active de l’agglomération, cette croissance représentant l’une des plus rapides progressions enregistrées en France sur cette période (Reynaud, 1973b). La transformation du tissu urbain pour accueillir les activités tertiaires et leur essor dans le centre de l’agglomération n’en est que plus brutal (Bonnet, 1986).

Les quartiers visés par la rénovation urbaine sont destinés à accueillir de nouveaux ensembles mixtes de logements et d’activités économiques non productives et non gênantes, à forte densité de main d’œuvre, c’est-à-dire essentiellement tertiaires. La croissance économique et industrielle s’accompagne en effet d’un développement très important des activités de services, dont une part importante, qualifiée de services banaux s’inscrit dans l’accompagnement « normal » de la croissance de la population, et une autre partie, non négligeable, correspond au développement du tertiaire industriel (recherche et développement, ingénierie, logistique, expertise, marketing et SAV) et du secteur des services aux entreprises, aux contours sectoriels assez flous : conseils en gestion, communication, publicité, services juridiques, conseils fiscaux, comptabilité…

Toutefois, en dehors de l’imposant programme de la Part Dieu, les interventions spatiales de l’Etat ou des acteurs publics locaux à destination des services supérieurs dans l’agglomération sont relativement peu nombreuses et circonscrites géographiquement (voir infra).

Notes
110.

L’enquête concerne les entreprises industrielles de plus de 50 salariés. Les PME-PMI et structures artisanales sont laissées de côté car elles ne sont pas présumées concernées par les problématiques de transfert spatial. Elle porte sur les besoins spécifiques (énergie, eau, communications…), sur le nombre de salariés et les besoins éventuels en logement des entreprises pour leur personnel, en cas de transplantation, d’extension ou de regroupement spatial des établissements.

111.

Bureau d’études spécialisé sur les problèmes de déplacement et de circulation.