Le mouvement de périphisation (Boino, 1999) des activités industrielles dans l’agglomération lyonnaise s’opère au détriment des communes centrales de Lyon et de Villeurbanne, majoritairement au profit des communes de la première couronne situées à l’Est et au Sud de Lyon, et dans une moindre mesure au bénéfice des communes de l’Ouest et du Nord de l’agglomération. Il se réalise environ pour moitié dans les zones industrielles aménagées et équipées à cet effet par les pouvoirs publics (CCIL et SERL), l’autre moitié étant réalisée sur des terrains libres situés en dehors des zones industrielles.
Les nouvelles périphéries urbaines sont rendues économiquement intéressantes et accessibles pour les activités par les progrès enregistrés dans le domaine des transports. Elles offrent des terrains en abondance, à des prix très compétitifs par rapport à ceux pratiqués dans le tissu urbain central, et bénéficient de la proximité immédiate des grands foyers de population des nouveaux quartiers d’habitat social (ZUP). Elles sont ainsi particulièrement attractives pour les activités à forte consommation de main d’œuvre, qu’elles soient tertiaires ou productives, qui cherchent à se développer près de Lyon.
Pour autant, les industriels ne renoncent pas aux atouts de la grande ville et de la centralité, les opérations de desserrement étant le plus souvent réalisées au plus près du centre de l’agglomération. Les chefs d’entreprises, très classiquement, entendent continuer à profiter des avantages de la concentration du marché de l’emploi et des équipements qu’offre la grande ville, tout en développant spatialement leur activité et en constituant des réserves foncières pour leurs développements futurs. Ils s’appuient sur les organismes patronaux locaux pour relayer leurs attentes en matière de localisation spatiale aux franges de l’agglomération urbaine auprès des pouvoirs publics chargés de la planification et des opérations d’aménagement, leur permettant de disposer d’importantes surfaces libres 112 .
Ce processus de déconcentration des activités économiques à l’échelle métropolitaine participe directement de la réorganisation profonde des structures productives locales, en lien avec le contexte de croissance et la politique des métropoles d’équilibre de l’Etat. Il révèle notamment une double tendance de hiérarchisation spatio-fonctionnelle des espaces dédiés à l’accueil des activités économiques et de relative désindustrialisation de l’agglomération lyonnaise : fort développement des activités d’entreposage et de logistique, ainsi que des activités tertiaires et commerciales, au détriment des activités purement productives plus classiques, rejetées loin de la zone centrale. Ce transfert des activités industrielles hors du centre (Lyon et Villeurbanne) et leur redéploiement en périphérie de l’agglomération suppose la création de zones aménagées spécifiquement pour l’accueil des industries, en accord avec les documents de planification successivement à l’étude.
Pour réaliser le desserrement des activités productives, l’Etat encourage donc à la création et l’aménagement de zones industrielles par les collectivités locales ou les organismes consulaires, en créant de nouveaux outils procéduraux et opérationnels (voir supra, Section 1). Cette politique publique volontariste trouve sa déclinaison dans les ZI aménagées par la SERL, ex nihilo ou à partir d’une zone d’implantation industrielle spontanée (Bonnet, 1975 ;CRAI, 1977) : Z.I. de Caluire-Rillieux au Nord, Z.I. Mi-Plaine (Saint-Priest – Chassieu – Genas), Z.I. de Vaulx-en-Velin et Z.I. de Décines - Meyzieu à l’Est, Z.I. de Miribel-Jonage au Nord-est, Z.I. de Pierre-Bénite et Z.I. de Feyzin, du Port E. Herriot et de Saint-Fons au Sud, Z.I. de Corbas – Vénissieux – Saint-Priest au Sud-est... ainsi que par la CCIL (zone industrielle, agro-alimentaire et logistique de Corbas – Montmartin au Sud-est et Z.I. de Neuville-Genay au Nord, dominée par les activités chimiques).
Sur le marché foncier local, l’initiative d’accompagnement du développement économique par l’encadrement des relocalisations industrielles grâce aux ZI se heurte cependant à un double goulot d’étranglement : la relative pénurie des terrains disponibles et la concurrence exercée par les implantations industrielles réalisées en dehors des zones aménagées et équipées. En 1968, 800 ha environ sont déjà consommés par les activités économiques qui se desserrent depuis la zone centrale, dont 230 ha pour les seules industries, principalement dans l’Est et le Sud de l’agglomération, ainsi qu’au Nord (CRAI, 1977). De 1968 à 1975, la SERL met de nouvelles surfaces équipées (290 ha) 113 sur le marché dans l’agglomération, correspondant à l’extension ou au lancement de nouvelles opérations réalisées avec la procédure ZAC. Elles complètent l’offre commercialisée à l’échelle de la COURLY (600 ha), en diversifiant les possibilités de localisation géographique dans l’Est (Vaulx-enVelin, 1ère tranche Mi-Plaine), le Nord (Rillieux) et l’Ouest de l’agglomération (Dardilly, Saint-Genis-lès-Ollières) (CRAI, 1977).
Malgré la grande attention portée à la conception, à l’aménagement et aux équipements puis à leur promotion, les ZI ne constituent cependant qu’un élément de choix parmi toutes les possibilités qui se présentent aux entreprises en quête de localisation : un quart seulement des chefs d’entreprises envisagent l’implantation en ZI en 1968 (OREAM, 1968). Plus de la moitié des implantations sont réalisées en dehors de toute procédure d’aménagement entre 1968 et 1975 (CRAI, 1977), notamment par les grands groupes industriels bénéficiant de leurs propres réserves foncières (voir supra, Section 1). Outre la défiance traditionnelle du patronat vis-à-vis de toute forme d’intervention publique dans le champ de l’économie, la surcharge financière des implantations en ZI pèse aussi de façon importante sur les choix de localisation des industriels.
Des communes limitrophes de la COURLY aménagent également leurs propres zones industrielles, en collaboration avec la CCIL, la SERL ou la COURLY, ou en concurrence avec leurs réalisations. Certaines ont volontairement refusé leur intégration dans le périmètre de la communauté urbaine par choix politique, d’autres ont du y renoncer en raison de leur appartenance à un autre département que le Rhône. Brignais, Chaponost et Lentilly au Sud-ouest font ainsi « cavalier seul » vis-à-vis de l’offre développée dans l’agglomération, mais permettent aux entreprises de bénéficier directement de la proximité du marché lyonnais 114 . Elles entendent profiter de la dynamique de desserrement des activités industrielles depuis Lyon en attirant sur leur territoire des entreprises en quête d’une localisation à proximité du centre de l’agglomération, au moindre coût et en dehors du carcan de la technocratie intercommunale. En revanche, Genas (Isère) et Miribel (Ain) à l’Est jouent la complémentarité et la continuité avec l’offre de surfaces industrielles réalisée dans la COURLY. La SERL réalise en effet des zones industrielles à cheval sur le périmètre communautaire et le territoire de ces communes, malgré la frontière départementale (ZI « Mi-Plaine » et ZI de Miribel-Jonage).
La consommation de terrains par les activités industrielles représente près de 1300 ha dans la COURLY (dont la moitié environ en dehors des zones aménagées) entre 1968 et 1975, pour un rythme annuel moyen de commercialisation de plus de 150 ha. Au milieu des années 1970, l’agglomération lyonnaise dispose d’environ mille hectares de zones et de lotissements industriels, dont plus des trois quarts déjà occupés. 240 ha sont encore disponibles aux limites Nord, Est et Sud de l’agglomération, dans les ZI de Vaulx-en-Velin, Neuville – Genay et Corbas – Vénissieux – Saint-Priest. L’extension des surfaces commercialisables à long terme est prévue à Chassieu – Saint-Priest – Genas, à Meyzieu – Jonage, à Neuville – Genay et à Vénissieux – Corbas (CRAI, 1977).
Les forces centrifuges de desserrement spatial des activités productives sous-tendent le dynamisme des ZI aménagées dans l’agglomération. Elles accueillent donc essentiellement des établissements qui glissent de la zone centrale à la périphérie en restant dans le même axe ou rayon géographique (Masson, 1984). Les entreprises lyonnaises profitent du mouvement pour développer leurs activités d’entreposage, de logistique, de négoce et de service après-vente en aval, ou leur fonctions de direction, de recherche&développement et de gestion productive en amont.
Un double profil industriel se dégage ainsi à l’Est : les communes proches du centre de l’agglomération ou des nœuds de transport accueillent des activités logistiques, des petites unités productives ou artisanales, des activités de tertiaire industriel (bureaux d’études, services commerciaux, laboratoires) et la grande distribution commerciale (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Corbas, Bron), tandis que les communes plus périphériques concentrent les gros établissements industriels (Meyzieu, Chassieu, Saint-Priest). Le Sud accueille une grande variété d’activités (industrie, commerce, logistique, recherche, construction), profitant du rayonnement du Couloir de la Chimie ou de la présence d’infrastructures de desserte (ZI de Saint-Genis-Laval et ZI du Broteau à Irigny). Au Nord, le Val de Saône accueille les grandes industries chimiques de Lyon (Vaise) et le Plateau de Caluire-Rillieux, des entreprises industrielles mécaniques ou textiles en provenance de Lyon et Villeurbanne, ainsi que des établissements tertiaires ou commerciaux attirés par la proximité du centre.
L’Ouest de l’agglomération reste en revanche relativement à l’écart du processus de desserrement industriel, en accueillant principalement des fonctions tertiaires, commerciales (grande distribution) et de recherche, peu nuisantes conformément aux préconisations des documents de planification successifs. De nombreux sièges sociaux et directions régionales s’installent dans ou à proximité de la ZAC de Dardilly, profitant de la vocation tertiaire de la zone, des subventions étatiques (PLAT), du cadre paysager agréable et de la présence d’importants axes routiers vers Paris (RN6, RN7, RN89, A6). Ce secteur constitue le principal lieu de déploiement des activités tertiaires en dehors du centre.
Les zones industrielles, 6 p., Rapport dactylographié annexé au dossier concernant l’aménagement de la zone industrielle de Loyettes – Saint-Vulbas (Ain). Source : Archives J. Labasse (IUL).
Ce nombre et les suivants correspondent aux volumes totaux de surfaces enregistrés à l’échelle du périmètre « pôle de Lyon » dans l’étude du CRAI (1977), auxquels nous avons soustrait les surfaces situées dans les ZI de Trévoux et Reyrieux (Ain) – soit environ 80 ha –, car celles-ci sont comptabilisées avec le pôle de Lyon mais ne font pas partie de la COURLY.
La ZI de Chaponost se spécialise dans la production métallurgique légère, celles de Brignais et Lentilly dans la logistique industrielle.