Des complexes industriels régionaux inadaptés aux réalités économiques

Les complexes de l’Isle d’Abeau en Isère et de Loyette – Saint Vulbas dans l’Ain 116 , planifiés par le SDAM (voir supra, Section 1), traversent tous deux les mêmes écueils économiques (Poche, Rousier, 1981). Ils sont présentés par la technocratie étatique comme des pôles de croissance a priori, le premier comme un nouveau point de fixation urbaine et économique dans la Ville Nouvelle et un relais pour l’expansion lyonnaise, le second comme une réserve d’espace pour l’industrie lourde. Ils cristallisent les ambitions de développement de la métropole lyonnaise, l’un comme symbole de sa vocation pétrochimique et sidérurgique, l’autre comme symbole de sa vocation aéroportuaire et internationale. Ils bénéficient d’importants investissements publics (infrastructures, subventions) et d’efforts de promotion économique certains (voir infra, Section 2), mais le remplissage des vastes surfaces disponibles (CRAI, 1977) est tenu en échec relatif par leur lourdeur opérationnelle et institutionnelle et par leur rigidité conceptuelle face aux évolutions du marché et de la conjoncture économique.

Ils se révèlent également inadaptés à la rapidité d’évolution des enjeux spatiaux et des besoins des grandes firmes et de leurs sous-traitants, qui recherchent la proximité des centres urbains (main d’œuvre abondante et qualifiée, débouchés, services), mais aussi les économies externes liées à l’agglomération principale. L’éloignement géographique des complexes par rapport à Lyon et l’absence de noyau urbain et industriel préexistant sur lequel se greffer constituent des handicaps importants pour la réussite des projets. Ils arrivent en outre un peu tard au regard des implantations d’établissements déjà réalisés par les grands groupes industriels dans les pôles urbains secondaires de la RUL et dans l’agglomération lyonnaise.

Dès la fin des années 1950, les principaux groupes industriels locaux (Berliet, Rhône-Poulenc) et les entreprises moyennes lyonnaises en pleine croissance (Câbles de Lyon) opèrent en effet un desserrement intégral ou partiel de leurs activités de production à l’échelle de la RUL, indépendamment des complexes projetés par les services de l’Etat (Poche, Rousier, 1981). Entre 1964 et 1968, 45 % des déplacements d’entreprises de Lyon et Villeurbanne ont pour destination l’aire métropolitaine hors agglomération lyonnaise, essentiellement vers les pôles urbains secondaires existants de Bourg-en-Bresse, Villefranche-sur-Saône, Bourgoin-Jallieu, Vienne (OREAM, 1968). L’instauration de l’agrément industriel dans l’agglomération en 1967 et l’attribution de primes à la décentralisation renforcent la dynamique de départ des firmes lyonnaises en direction des périphéries régionales, mais les processus de transfert, d’essaimage systématique par recours à la sous-traitance et de diffusion spatiale à l’œuvre ne profitent guère aux complexes industriels étatiques.

Dans les années 1970, le mouvement de desserrement vers les villes moyennes de la RUL se poursuit (Bonnet, 1975), mais la préférence des industriels va de plus en plus vers une relocalisation au plus près du centre de la métropole. Les grands groupes opèrent en effet leur réorganisation au sein même de l’agglomération lyonnaise à la fin des années 1960, grâce aux importants transferts financiers directs réalisés par l’Etat central pour soutenir le processus de concentration et d’internationalisation des filières industrielles considérées comme stratégiques (voir supra). Ils bénéficient également au niveau local de leurs vastes réserves foncières ainsi que des terrains viabilisés et des infrastructures réalisées par l’Etat à proximité du pôle chimique de St Fons et Feyzin 117 pour réaliser leurs nouvelles implantations (Boino, 1999).

Le « Couloir de la chimie », issu d’un développement industriel spontané (Laferrère, 1960), rayonne ainsi sur tout le Sud de l’agglomération, autour des installations pétrochimiques de la raffinerie Elf-Erap. Il accueille le développement des activités chimiques et pharmaceutiques des sociétés Rhône-Poulenc 118 , Péchiney-Ugine-Kuhlmann, CIBA-GEICY, Solvay, Gifrer et Berbezat, Laboratoires Boiron et Mérieux, etc. (Bonnet, 1975). Les groupes implantent aussi des laboratoires de recherche et des centres d’études à proximité des usines 119 . Dans le Sud-est de l’agglomération lyonnaise, la grande industrie chimico-textile et mécanique lyonnaise rassemble et développe également ses activités productives, directionnelles, commerciales, logistiques et d’études. Un gigantesque complexe métallurgique et textile s’organise ainsi de manière spontanée autour de la voie ferrée vers Grenoble et des anciennes usines Berliet, rassemblant les établissements des grands groupes industriels et des PME-PMI sous-traitantes 120 . Rhône-poulenc opère aussi sa réorganisation dans Lyon, à Vaise.

Après l’abandon du projet de construction d’une seconde raffinerie régionale complémentaire des installations de Feyzin, Loyette – Saint Vulbas n’accueille que quelques établissements mécaniques et chimiques (Lever, Rhône-Poulenc, Peugeot-Citroën), ainsi que des entreprises de logistique commerciale (Printemps-Prisunic) attirées par la desserte autoroutière et fluviale (Boino, 1999). L’Isle d’Abeau peine à concurrencer l’attractivité industrielle et tertiaire de l’agglomération lyonnaise. La proximité de l’aéroport de Satolas draine aussi surtout les activités logistiques de transport, d’entreposage et distribution (Magasins Généraux de Lyon, Calberson, Unilever), mais ne suffit pas à entraîner l’implantation des services supérieurs prévus dans le SDAM (Poche, Rousier, 1981 ; Bonnet, 1975). Les deux complexes étatiques apparaissent au final comme des zones industrielles classiques, ne répondant pas vraiment aux attentes des grands groupes industriels et en concurrence plus ou moins directe avec celles l’agglomération lyonnaise.

Notes
116.

Le troisième est rattaché à la dynamique de développement de la région urbaine stéphanoise dans la plaine du Forez. Il est situé dans la Loire (Andrézieux-Bouthéon).

117.

Gare de triage de Sibelin (SNCF), usine hydroélectrique et écluse de Pierre-Bénite (Compagnie Nationale du Rhône), autoroute A7, Port industriel et fluvial E. Herriot à Gerland (Lyon).

118.

Rhodiaceta, RP Chimie, RP Spécia.

119.

Institut Français du Pétrole à Feyzin, usine expérimentale d’Athochem au 1/5ème à Pierre-Bénite, Centre de recherche des Carrières Rhône-Poulenc à St Fons,

120.

Rhône-Poulenc, Shell Chimie, Chimiotechnic, Société Lumière SA/LIFORD (CIBA-GEICY), Société Chimique de Gerland (BP), Fil Dynamo (Général Electrics), Société des Electrodes, Société Industrielle Générale de Mécanique Appliquée (Rexroth), RVI (Renault), etc.