Lyon, métropole financière ?

Parallèlement à la conduite de la politique nationale de décentralisation tertiaire, et suite à la publication d’un rapport sur les activités tertiaires et l’aménagement du territoire (Piquard, 1972), l’idée de créer à Lyon une nouvelle place financière émerge, tant dans les propos de certains responsables politiques et économiques locaux que dans le discours du Ministre délégué chargé de l’aménagement du territoire (M. Bettencourt). Celui-ci milite notamment auprès des dirigeants des grandes banques françaises implantées à Lyon (Crédit Lyonnais en tête), pour qu’ils constituent un Club de financiers inscrivant dans son programme d’action la réalisation d’un objectif très ambitieux : « Lyon Place bancaire ».

Le projet est censé se greffer sur l’opération de la Part Dieu, vouée à l’accueil des fonctions directionnelles et financières supérieures. Quelque peu déconnecté des réalités de l’évolution du système économique et à défaut de véritablement ressusciter la belle époque du capital bancaire lyonnais, il permet en fait essentiellement aux grands établissements financiers nationaux et étrangers (banques, assurances) d’avoir une meilleure implantation régionale, après avoir absorbé ou soumis à leur contrôle les établissements locaux. Les choix opérés par le gouvernement dès 1961 en matière d’organisation financière et d’unicité des systèmes de cotations conduisent de toute façon au monopole de la place boursière parisienne en France, en obligeant les grandes entreprises locales à choisir leur lieu unique de cotation entre Lyon et Paris.

Le projet « Lyon Place bancaire » est donc avant tout un effet rhétorique, instrumenté à leur profit par les grandes firmes financières comme le Crédit Lyonnais, mais qui ne se vérifie guère dans les faits. Le Crédit Lyonnais participe en effet au financement du centre commercial et d’une tour à laquelle il prête son nom à la Part Dieu, servant de caution morale et de « label » financier local aux investisseurs et promoteurs immobiliers non lyonnais engagés dans l’opération. Cependant, s’il transfert certains services de gestion à la Part Dieu et dans la banlieue lyonnaise, le groupe n’opère nullement le retour tant attendu de son siège social à Lyon, malgré les appels du pied répétés des autorités étatiques.

La place bancaire lyonnaise se limite au renforcement des possibilités de contrôle des centres de décision parisiens des grandes sociétés financières sur leurs délégations régionales implantées à Lyon, phénomène largement encouragé par l’octroi des PLAT (voir supra, Section 1). De nouvelles unités administratives importantes relevant du secteur de la banque et des assurances sont ainsi créées dans l’agglomération : le siège de l’UAP à la Part Dieu, les centres de gestion du Crédit Lyonnais à Rillieux et de la BNP 133 à Ecully. Elles ont en commun de ne pas être des centres directionnels au sens propre, mais plutôt des délégations régionales des centres de direction parisiens, permettant de créer de meilleures instruments de prospection et de collecte des liquidités au niveau régional et de moderniser les outils de gestion grâce au recours à l’informatique. Elles comptent également toutes dans leurs effectifs une majorité d’employés, dont la direction est assurée par quelques cadres venant de Paris (Lojkine, 1974). Elles n’ont donc nullement la vocation de réanimer une place financière locale en crise, mais plutôt celle de contribuer au maillage territorial et à la réorganisation des activités commerciales de l’entreprise aux échelles nationale et régionale.

Leur localisation majoritairement périphérique dans l’agglomération confirme le caractère peu directionnel de leurs fonctions.Le choix de s’implanter dans des communes de banlieue à vocation résidentielle dominante plutôt que dans le nouveau quartier central de la Part Dieu reflète particulièrement le caractère « d’usines à papiers » des nouveaux centres bancaires de la BNP et du Crédit Lyonnais, et les critères déterminants qui sous-tendent la réorganisation technique, sociale et spatiale des activités bancaires et financières : recherche de gains de productivité dans les opérations de gestion par l’utilisation de l’informatique et l’unification des conditions d’exploitation ; diminution des charges salariales et foncières (main d’œuvre féminine non qualifiée et géographiquement éloignée du centre urbain). Les opérations exécutives et non commerciales des sociétés bancaires sont ainsi rassemblées dans des centres implantés en périphérie de la ville, comme le sont à la même époque les unités de production des établissements industriels. Le Crédit Agricole et la Banque Nationale pour l’expansion du crédit bail adoptent la même stratégie en installant leurs centres de traitement dans l’Ouest lyonnais, la Caisse d’Epargne également en doublant son siège administratif et commercial de la Part Dieu d’un centre de gestion informatique à Rillieux (Bonnet, 1975).

La société d’assurances UAP 134 s’installe aussi à la Part Dieu, mais essentiellement pour des raisons techniques et non dans une perspective de réelle décentralisation décisionnelle, afin de bénéficier de l’installation d’un ordinateur de traitement en time-sharing, nécessaire à la modernisation et à l’accroissement des opérations de saisies. Le fort degré de centralisation du pouvoir de décision sur Paris dans le domaine des assurances ne permet pas le développement d’un marché de courtiers et d’agents indépendants à Lyon, et l’usage de l’informatique renforce encore plus le contrôle et le poids de Paris sur les affaires lyonnaises. Toutes les fonctions prestigieuses et relationnelles – contacts avec les autres compagnies, les organismes financiers et les correspondant étrangers – se font systématiquement à Paris, où sont également retraitées les données informatisées produites par le centre de gestion lyonnais (Lojkine, 1974).

La stratégie de localisation spatiale des activités commerciales des sociétés bancaires au sein de l’agglomération reflète enfin le double processus de concentration et de centralisation des capitaux, analogue à ceux constatés dans les domaines des assurances et de la cotation boursière. A partir du rétablissement de la liberté d’implantation des grands établissements nationaux en 1967, les grands groupes bancaires nationaux et étrangers ouvrent de nombreux guichets en province. Lyon constitue dans ce contexte de course aux guichets un pôle d’implantation de choix en sa qualité de métropole régionale et de deuxième pôle urbain français après Paris, tant pour les banques locales de dépôts devenues des filiales des grandes banques parisiennes (Lyonnaise de Dépôts, Banque Hervet, Veuve Morin-Pons, La Prudence, De Saint Phalle…) que pour les grandes banques internationales d’affaires, qui multiplient les agences et les guichets à mesure qu’elles développent leurs activités de dépôts, en Presqu’île ou autour de la Part-Dieu (Bonnet, 1975) 135 .

Seule la CCIL, en raison de son rattachement tutélaire aux Ministères de l’Equipement et des Finances, participe à la promotion du projet, mais de façon assez épisodique et sans réelle implication de son personnel élu (voir infra). En l’absence de mobilisation patronale unifiée au niveau local, la technocratie étatique ne réussit pas à persuader les directions des banques et des compagnies d’assurances de délocaliser leurs quartiers généraux à Lyon, et se contente ainsi de favoriser leur réorganisation stratégique à l’échelle régionale.

Le projet « Lyon Place bancaire » constitue donc un échec relatif pour ses promoteurs, à la DATAR et dans l’agglomération lyonnaise. L’attitude symptomatique du Crédit Lyonnais à la Part Dieu et le rejet de la politique tertiaire étatique par les instances patronales locales au début des années 1970 sont sans doute pour beaucoup dans cet échec (voir infra). Une opération de cette ampleur nécessite en effet au minimum l’implication directe des grands capitaines d’industries et des structures de représentation des intérêts économiques locaux dans la promotion du projet auprès de leurs référents financiers à Paris et dans le monde. Mais celle-ci est reléguée au second plan par les velléités de reprise en main de la gestion des affaires économiques locales et du développement qui émergent au sein du patronat lyonnais.

Notes
133.

Banque Nationale de Paris.

134.

Union des Assurances Parisiennes.

135.

Suez, Banque de Paris et des Pays-Bas, Discount Bank, Westminster Forein Bank, Bank of America en 1969, Chase Manhattan Bank en 1971, Banco di Roma dès 1950, Banco Popular Espanol en 1970, Banques de Bilbao et Franco-Portugaise en 1971.