Remise en cause de l’organisation de la régulation économique au niveau local

La création de la COURLY et les importantes prérogatives d’aide à la décision confiées à l’ATURCO, le déploiement de la technocratie étatique à travers l’OREAM et les cabinets d’études du réseau CDC, placent les organismes patronaux lyonnais dans une position de soumission par rapport au processus décisionnel et dans une situation de relative impuissance en matière d’expertise et d’orientation de la politique économique et d’aménagement du territoire dans l’agglomération lyonnaise.

La sorte de « putsch » opéré lors des travaux préparatoires du SDAU par les élites économiques lyonnaises auprès des instances consacrées comme légitimes à exprimer l’expertise économique dans l’agglomération lyonnaise, qu’elles soient locales (COURLY, ATURCO) ou centrales (CERAU), reflète donc plutôt un problème de forme concernant l’organisation institutionnelle de la régulation économique territoriale, qu’un simple problème de fond lié au contenu même du rapport prônant l’exurbanisation des industries lourdes hors de l’agglomération centrale. Les acteurs économiques lyonnais s’opposent à la logique technocratique imposée par l’Etat central, qu’elle émane des bureaux d’études parisiens ou des nouvelles institutions créées au niveau local par l’administration étatique comme la COURLY.

De fait, le patronat lyonnais ne conteste pas vraiment la réalité des problèmes de pollution industrielle dont fait état le rapport du CERAU, et qui fondent en grande partie les propositions en faveur de l’exurbanisation des activités industrielles. En revanche, il revendique un profond changement de méthode concernant la conduite de la politique d’aménagement économique dans l’agglomération, en remettant directement en question la capacité et la légitimité de la COURLY à se saisir des problèmes de régulation économique territoriale. La COURLY est particulièrement visée par l’offensive patronale, parce qu’elle représente de manière indirecte, en tant qu’émanation de la toute puissance institutionnelle et politique du pouvoir central, l’intervention dirigiste et l’ingérence économique systématique de l’Etat dans les affaires du pays, à l’échelle nationale comme à l’échelle des territoires locaux.

La COURLY est un établissement public de coopération intercommunale créé par l’Etat pour faciliter la mise en œuvre de la politique des métropoles d’équilibre dans l’agglomération, elle est donc perçue comme un outil politique et institutionnel au service de la technocratie étatique, un relais du pouvoir très centralisé et autoritaire des services étatiques (DATAR, CGP…), via l’ATURCO notamment, qui hébergent les bureaux d’études de la CDC et relaie les orientations de la politique économique et d’aménagement à Lyon.

Les principales exigences formulées par les représentants de la CCIL et du GIL lors des négociations sur le contenu de la Charte portent ainsi sur (CCIL, 1972) :

La distance entre la politique industrielle structurelle de la COURLY et la réalité industrielle conjoncturelle, qui reflète l’absence de compétence et d’expertise de l’institution communautaire : « Ce sont là des problèmes complexes, du ressort des organisations professionnelles, des CCI, de la CODER, de la Mission Economique, du Ministère de l’Industrie. Il semble peu souhaitable que, vis-à-vis de ces problèmes, la Communauté urbaine mène une politique personnelle ; par contre, il y a intérêt à ce qu’elle en connaisse » (CCIL, 1972). Le manque de compétences d’action directe de l’organisme intercommunal et sa faible capacité d’expertise dans le domaine économique, largement conditionnés par le centralisme et le dirigisme de l’Etat en la matière, sont mis en avant pour justifier la participation active des organismes patronaux dans la conduite de la régulation économique et territoriale au niveau local.

La suggestion du rapport de créer une « cellule » chargée des problèmes industriels dans l’agglomération, qui rejoint de façon opportune l’initiative de la CCIL de créer en son sein un Bureau de Développement de la région lyonnaise. La responsabilité en serait confiée à un permanent de la CCIL, auquel serait adjoint un Conseil composé d’industriels avertis (membres de la CCIL, du GIL ou des grands syndicats professionnels). « En raison de l’importance de la question de l’urbanisme industriel, la CCI serait tout à fait d’accord pour associer à ce Conseil l’ATURCO ou un représentant de la COURLY » (CCIL, 1972). Les représentants du patronat se lyonnais s’approprient la compétence du développement économique dans l’agglomération lyonnaise, en s’emparant du projet de création d’un service ad hoc. Partisans de la concertation entre puissance publique et acteurs économiques, ils invitent les représentants de la technocratie étatique et les autorités politiques locales à s’ouvrir à la logique du partenariat dans la conduite de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise.

Il s’agit donc d’une attaque en règle contre le pouvoir émergent de la COURLY en matière de politique d’aménagement à vocation économique, pourtant relativement limité et embryonnaire par rapport à celui des services de l’Etat (bureaux d’études, OREAM, DDE). Celle-ci apparaît aux yeux du patronat local comme le « cheval de Troie » de la technocratie étatique et du gouvernement central, même si le Président Pradel partage en grande partie les positions des élites économiques locales face aux orientations de la politique nationale et sait s’entourer de personnages influents issus du milieu des affaires lyonnais (voir supra, Section 2).

Les avis convergent donc au sein du patronat lyonnais, quant à la distribution des rôles et à la légitimité des différents acteurs institutionnels locaux à intervenir dans le domaine de la régulation économique territoriale. Les responsables de la CCIL revendiquent l’expertise, la compétence et le savoir-faire traditionnel des services consulaires en la matière, tout comme la légitimité naturelle du patronat à participer activement à la conduite de la politique économique. Ceux du GIL remettent plutôt en cause la légitimité de l’ATURCO et du CERAU à intervenir dans les problèmes industriels, les taxant de technocratisme et d’incompréhension des impératifs de pragmatisme et de réalisme attachés à la question du développement économique.

Ils reconnaissent tous cependant que les problèmes d’aménagement industriel et de développement économique relèvent également des préoccupations légitimes de la COURLY et des techniciens de l’ATURCO, dont le cœur de métier est l’urbanisme et l’aménagement spatial, mais prônent un traitement tripartite et concerté de ces questions, entre la COURLY, l’ATURCO et la CCIL.

Au final, c’est ainsi la manière de faire et le système de référence général guidant l’action qui semble vraiment en jeu dans cette remise en question de la conduite de la régulation économique territoriale dans l’agglomération. Les acteurs économiques lyonnais prônent ni plus ni moins un profond changement de méthodes et de conception des politiques publiques économiques au niveau local, afin qu’elles soient plus en phase avec l’évolution du contexte d’ensemble et les besoins nouveaux des entreprises vis-à-vis des territoires.