« Dans les années 1960, l’Etat détenait quasiment le monopole de la responsabilité économique. En revanche au cours des années 1970, avec le ralentissement durable de la croissance, les capacités de réponse de l’Etat s’atténuent et les élus locaux apparaissent comme des partenaires économiques responsables (…). La crise économique générale, l’augmentation du volume du chômage, la nécessité de rigueur budgétaire provoquent cette modification importante du comportement et du rôles des élus locaux. Ces derniers ne peuvent plus rester seulement les accompagnateurs d’un développement impulsé par l’Etat mais deviennent aussi les promoteurs d’un développement local » (Laborie, Langumier, De Roo, 1985, p.18-19).
De fait, les autorités étatiques annoncent un virage dans la politique urbaine nationale et le traitement de la question des implantations tertiaires au milieu des années 1970 (ADERLY, 1977, p.14) 151 : ralentissement de la croissance urbaine, renforcement des responsabilités et des moyens des collectivités locales, prise en compte des aspirations collectives (des chefs d’entreprises et des salariés face aux contraintes de localisation très rigides des activités économiques). Une dynamique similaire s’engage concernant le développement industriel, à la faveur d’un consensus politique autour de la nécessité d’agir à un échelon plus local et de diversifier les actions entreprises (BIPE, 1978). La crise économique instaure un nouveau climat de concurrence entre les territoires, non plus seulement à l’échelle internationale mais également à l’intérieur du pays : l’impératif de décentralisation économique vers les métropoles d’équilibre est relativisé par le pouvoir central, qui s’inquiète du maintien de la place stratégique de Paris dans le système mondial.
L’arrivée de la droite libérale à la tête du gouvernement national, favorable au désengagement financier et opérationnel de l’Etat, à la dérégulation et à la libéralisation de l’économie, entraîne également un certain repli de l’intervention étatique au niveau local (Jobert, 1994). La nouvelle politique de l’Etat, adaptée au nouveau contexte de crise, prône ainsi un développement tertiaire plus souple dans les métropoles d’équilibre, la tendance à la modération et une certaine diffusion des activités et des bureaux dans l’espace : un nouvel urbanisme, plus flexible, plus souple, mieux adapté aux souhaits de chacun. Les préconisations des autorités centrales en matière de gestion des implantations tertiaires orientent la politique urbaine vers le renforcement des responsabilités des collectivités locales et une meilleure prise en compte des aspirations des dirigeants d’entreprises (ADERLY, 1977, p.14).
En 1974 en effet, V. Giscard d’Estaing accède à la Présidence de la République française et marque l’avènement des thèses libérales dans la conduite de la régulation économique au niveau national. Celles-ci, soutenues par R. Barre et J. Chaban-Delmas, placent ainsi les représentants patronaux dans une position très avantageuse de « conseiller du prince », au gré d’un modèle de concertation par voie consultative qui leur confère un accès privilégié à la sphère du pouvoir politique. Elles réhabilitent aussi le rôle des acteurs locaux dans la conduite des initiatives de développement économique, au nom du nécessaire repli de l’Etat sur ses fonctions régaliennes (voir infra).
Les modes de faire de la politique économique et d’aménagement du territoire évoluent vers une intervention publique moins autoritaire et centralisée, qui est moins imposée par le haut (logique « top-down ») et plus ancrée dans le territoire et le système d’acteurs local (logique « bottom-up », développement endogène). L’Etat se désengage massivement de l’intervention publique en faveur de l’économie sur le territoire, en repliant et concentrant son action sur les seuls territoires considérés comme en crise ou en grande difficulté économique (zones rurales et zones de reconversion industrielle). Une plus grande attention est portée aux intérêts locaux, le pouvoir décisionnel, les charges financières liées aux investissements d’infrastructures et d’équipements et la mise en œuvre opérationnelle des projets d’aménagement sont transférés progressivement aux acteurs du territoire, tandis que les logiques de gestion prennent le pas sur les logiques de production.
On passe ainsi de l’aménagement de la croissance sur le territoire par la technocratie étatique au développement économique local, voire endogène, porté par les acteurs du territoire (voir supra, 1ère Partie). Le niveau local et ses acteurs, notamment les villes, revendiquent plus de liberté d’intervention dans la régulation économique territoriale et une plus grande autonomie dans la gestion du développement territorial (BIPE, 1978). Les autorités politiques locales renforcent leur rôle d’entrepreneur, de technicien, de financier et d’animateur au sein du système économique territorial, adoptant selon les contextes « soit une stratégie d’accompagnement et de dépassement de la politique de l’Etat allant jusqu’à la recherche d’une stratégie autonome, soit une stratégie d’opposition de régulation et de compensation des effets d’un changement imposé de l’extérieur » (BIPE, 1978, p.13).
Les pouvoirs publics locaux adoptent notamment le point de vue et le langage des entreprises, grâce à leur collaboration étroite avec les structures de représentation des intérêts économiques (CCI, syndicats patronaux). Le développement économique local se veut en effet plus qualitatif, respectueux du cadre de vie et pragmatique : le concept de zone d’activités remplace celui de zone industrielle, l’adaptation de l’offre de surfaces produites par la puissance publique aux besoins des entreprises industrielles ou tertiaires est recherchée en priorité par les acteurs de la régulation économique territoriale, les actions déployées changent de nature en se diversifiant.
Cette volonté d’intervenir s’inscrit ainsi dans une logique nouvelle de concurrence et de compétition entre les villes ou les territoires infranationaux, qui justifie le recours à des méthodes managériales et stratégiques, guidant des actions de promotion, de marketing, de prospection et de création d’image pour mettre en valeur les atouts économiques du territoire local. La recherche de flexibilité et de pragmatisme dans l’action économique locale incite à prôner moins de rigidité dans les prescriptions d’urbanisme et les documents de planification, notamment quant à la limitation de l’accueil des activités économiques et particulièrement industrielles dans les zones centrales des villes.
De ce point de vue, le SDAU de l’agglomération lyonnaise adopté en 1978 apparaît comme totalement inadapté aux nouvelles contraintes de développement économique territorial imposées par le contexte de crise. Elaboré selon les critères de croissance qui prévalent à la fin des années 1960, il est obsolète avant même sa publication. Il prévoit en effet de limiter les implantations industrielles aux seuls quartiers de Vaise et de Gerland dans Lyon, et de reporter le gros de l’expansion des activités non tertiaires en dehors de l’agglomération, conformément aux préconisations du SDAM. Sa logique exclusive vis-à-vis de l’économie n’intègre pas de vision stratégique pour le développement du territoire local, mais uniquement une démarche de réservation des sols pour des usages futurs globalement déconnectée des problèmes émergents de positionnement de la métropole lyonnaise sur le marché des villes.
Résumé du discours du Délégué à l’Aménagement du territoire lors du Colloque de l’Association Bureaux-Provinces de décembre 1977.