L’organisation du système d’acteurs local au service des intérêts économiques lyonnais

Dès le début de l’épisode de la Charte Industrielle, la CCIL propose de prendre en charge au sein de ses services la gestion d’un Bureau de développement de la région lyonnaise, ou Bureau d’Industrialisation, voué à l’accueil des investisseurs économiques potentiels. La création de l’ADERLY concrétise ce projet et officialise la position de leader des autorités consulaires et du patronat dans la mise en œuvre des orientations de principe de la politique économique lyonnaise.

La responsabilité de l’ADERLY est en effet confiée à un permanent de l’organisme consulaire, placé à la tête d’une équipe de techniciens spécialisés sur les questions économiques. La CCIL tire sa légitimité à se saisir officiellement de la nouvelle tâche de développement économique local de son expérience technique acquise dans le domaine de l’économie (réalisation et gestion d’équipements collectifs à vocation économique, aménagement de zones industrielles, représentation et assistance des entreprises) et de sa qualité d’établissement public au service de l’intérêt général. Cette double légitimité institutionnelle et technique lui est conférée à la fois par l’Etat de manière indirecte (tutelle des ministères de l’Equipement et des Finances), par les responsables de la COURLY qui voient dans l’ADERLY l’outil indispensable de la mise en œuvre de la politique économique locale, grâce aux compétences pointues des services consulaires, et par le GIL, principal syndicat patronal lyonnais et majoritaire dans l’assemblée élue de la CCIL.

Ce positionnement convergeant des acteurs locaux s’exprime notamment par le vote unanime de la participation de la COURLY à l’ADERLY en conseil communautaire 160 , qui « donne une caution morale et politique au travail déjà entrepris fin 1972 par la direction du développement économique de la CCIL qui doit être l’outil opérationnel de l’ADERLY » 161 . Des votes semblables au sein de l’assemblée de la CCIL et du conseil d’administration du GIL confirment le caractère prioritaire et partagé, par les acteurs publics et privés locaux, de la question du développement économique dans l’agglomération lyonnaise. La création de l’ADERLY marque ainsi la double reconnaissance du pouvoir de gouvernement local, territorial de la Communauté urbaine, et de l’appui technique et politique nécessaire apporté par la CCIL et par les représentants patronaux dans la conduite de la politique économique locale, en l’absence de compétence d’intervention économique spécifique au sein de la COURLY.

Les membres fondateurs de l’ADERLY sont rapidement rejoints par la plupart des organismes publics, étatiques et locaux, concernés par les questions de régulation économique et d’aménagement du territoire dans la métropole lyonnaise (CGR, OREAM, DDE, Mission régionale, SERL, Comité d’expansion régional, EPIDA…), et par les représentants des principales entreprises de l’agglomération (CCIL, 1974). Les premières années, l’association est administrée par un conseil de direction composée de cinq à huit membres sans président 162 , afin d’éviter que l’un des trois organismes fondateurs ne prenne le dessus sur les autres et pour faciliter aussi un affichage politique et médiatique neutre, sans connotation administrative ou publique (COURLY) ni patronale (GIL, CCIL). La poursuite de l’intérêt général économique local à l’échelle de la région lyonnaise est ainsi mise en avant dans la présentation des missions de l’ADERLY 163 . Seuls les organismes financeurs siègent au conseil de direction de l’association.

Cependant, la mainmise du patronat sur l’ADERLY est particulièrement visible à travers son mode de gestion par la CCIL (Bureau de développement économique) et par la très forte implication des représentants des intérêts économiques locaux dans le fonctionnement de l’association. Le Bureau de Développement Economique de la CCIL, outil opérationnel de l’ADERLY, est ainsi chargé d’animer les différents groupes de travail ou commissions spécialisées, de faire réaliser les opérations promotionnelles de caractère général définies par les membres et d’assumer le rôle d’accueil, d’information, d’aide et d’orientation auprès des entreprises désireuses de s’agrandir ou de s’implanter dans l’agglomération. Il assure enfin le rôle de rapporteur et d’organe d’exécution pour l’association, sans toutefois se substituer aux organismes d’études existants.

Parallèlement, un conseil composé d’industriels avertis (membres de la CCIL, du GIL ou des grands syndicats professionnels lyonnais) est institué en « Club de promotion », réunissant les principaux dirigeants des grandes entreprises nationales ou multinationales implantées dans la métropole lyonnaise. L’Association des Cadres et Dirigeants de l’Industrie pour le progrès social et économique (ACADI) rassemble ainsi les figures emblématiques de la grande industrie à Lyon, comme P. Berliet, A. Riboud (BSN), C. Mérieux, J. Courbier (Chimique de Gerland), R. Gillet (Rhône-Poulenc), R. Pelletier (CGE 164 ), P. Jouven (PUK 165 ) et J. Montet (Rhône-Progil).

Elle joue le rôle d’« outil de propagande » 166 , véritable groupe de pression qui relaie les actions et les intérêts des fondateurs de l’ADERLY (i.e. le patronat lyonnais issu de la grande industrie) auprès des autorités politiques locales et nationales. Elle intervient notamment dans le cadre des travaux de l’Association Grand Delta et au cours des réflexions concernant l’orientation de la politique économique dans la métropole lyonnaise, menées par la DATAR, l’OREAM et les représentants des intérêts politiques et économiques locaux au début des années 1970. Ses membres sont régulièrement conviés aux réunions organisées par les responsables politiques de la COURLY ou par les instances consulaires, afin de débattre notamment des enjeux de la problématique industrielle face à ceux de l’urbanisation et de la planification. Les réunions « Urbanisation/ACADI » permettent ainsi aux autorités publiques locales, politiques et techniques (COURLY, SERL, ATURCO), de s’informer des besoins et intérêts des grandes firmes industrielles et de s’imprégner des conceptions managériales et pragmatiques issues du monde des entreprises, pour gérer plus efficacement l’aménagement spatial dans l’agglomération (voir infra).

L’intégration des représentants patronaux liés aux grands groupes industriels nationaux dans le nouveau système d’acteurs local montre que l’enjeu de fond pour le patronat lyonnais comme pour les élus locaux est surtout la reprise en main de la conduite de la politique économique sur le territoire de l’agglomération lyonnaise, et pas tellement la remise en cause des objectifs et des principes de la régulation étatique. Ce n’est en effet pas tant la contestation des orientations métropolitaines et tertiaires de la politique économique de l’Etat qui est sous-tendue par l’adoption de la Charte Industrielle puis par la création de l’ADERLY, que la volonté affirmée des responsables économiques et politiques lyonnais de voir leur légitimité et leur capacité de gestion du développement économique sur le territoire enfin reconnues par les autorités centrales. Pour les représentants patronaux, il s’agit aussi d’influencer plus directement l’orientation de l’intervention publique en matière économique et d’améliorer la prise en considération des besoins concrets et spécifiques des entreprises dans la conduite de l’action.

La création de l’ADERLY, la définition des missions et le mode de gestion choisi marquent ainsi le retour du milieu économique local dans la gestion des affaires économiques de l’agglomération, qui se réorganise pour avoir plus d’influence sur la conduite de la politique économique et de l’aménagement du territoire au niveau local. La construction d’une capacité d’expertise économique et territoriale locale par le Comité d’expansion lyonnais, apte à participer à la définition de la politique économique dans l’agglomération lyonnaise, a en effet été contrariée par l’intervention dominatrice des services de l’Etat durant les années 1960 (voir supra, Section 2). La création de l’ADERLY offre donc une nouvelle possibilité pour le patronat lyonnais de participer activement à l’orientation et à la conduite de la politique économique locale, par l’entremise de la CCIL, le partenariat avec les autorités politiques de l’agglomération (COURLY) lui conférant en outre une nouvelle légitimité pour intervenir dans le débat public.

L’ADERLY est toutefois contestée dans sa forme décisionnelle et organisationnelle par les élus de l’opposition socialo-communiste à la COURLY et par les représentants des syndicats de salariés, qui reprochent ouvertement le parti pris de l’association, favorable aux grandes entreprises et aux chefs d’entreprises, au détriment des intérêts des travailleurs et de la société civile de l’agglomération lyonnaise. Ils sont tenus en dehors de l’association (les représentants de la COURLY sont issus de la majorité en place et les syndicats ouvriers ne sont pas représentés), qui s’ouvre en revanche aux représentants des grandes firmes implantées dans l’agglomération (Elf, EDF, Berliet – RVI, CNR, Delle-Alsthom…) et aux représentants des services publics techniques ou administratifs (OREAM, DDE, SERL, Mission régionale…).

La prise de pouvoir du patronat dans l’élaboration et la conduite de la nouvelle politique économique de l’agglomération lyonnaise s’appuie ainsi sur l’accord tacite et le partenariat institutionnel conclus avec les autorités politiques locales, mais également sur celui plus implicite des autorités gouvernementales nationales. Ce système de participation et de gestion partenariale de l’action publique est mis en œuvre dans l’agglomération lyonnaise dès le début des années 1970, avant même la survenue avérée de la crise économique. Il s’apparente beaucoup à ce que désigne la notion de gouvernance (voir supra, 1ère partie). Il permet notamment de faire pénétrer les idées et la manière, propres au monde des entreprises, d’aborder les questions économiques au cœur des modes de gestion de l’action publique et des démarches de définition et de conduite de la politique économique locale.

Notes
160.

« Adoption des statuts à la COURLY à l’unanimité », Bref Rhône-Alpes, 01/05/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

161.

Masson J.-P., « Lyon redécouvre sa vocation industrielle », Le Progrès, 07/05/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

162.

« Adoption des statuts à la COURLY à l’unanimité », Bref Rhône-Alpes, 01/05/1974. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

163.

Conférence de presse organisée par L. Pradel le 9 juillet 1973. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.

164.

Compagnie Générale d’Electricité.

165.

Péchiney Ugine Kuhlmann.

166.

Trassoudaine L., « Les dossiers de la rentrée : créer des emplois. Un projet pour industrialiser l’Ouest lyonnais », L’Echo Liberté, 16/09/1972. Source : Archives du GIL-MEDEF Lyon-Rhône.